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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume I
Or sus, pourquoy de tant de discours, qui persuadent diuersement3
les hommes de mespriser la mort, et de porter la douleur,
n'en trouuons nous quelcun qui face pour nous? Et de tant d'especes
d'imaginations qui l'ont persuadé à autruy, que chacun n'en applique
il à soy vn le plus selon son humeur? S'il ne peut digerer
la drogue forte et abstersiue, pour desraciner le mal, au moins•
qu'il la prenne lenitiue pour le soulager. Opinio est quædam effeminata
ac leuis: nec in dolore magis, quàm eadem in voluptate: qua,
quum liquescimus fluimusque mollitia, apis aculeum sine clamore ferre
non possumus... Totum in eo est, vt tibi imperes. Au demeurant on
n'eschappe pas à la philosophie, pour faire valoir outre mesure•
l'aspreté des douleurs, et humaine foiblesse. Car on la contraint
de se reietter à ces inuincibles repliques: S'il est mauuais de
viure en necessité, au moins de viure en necessité, il n'est aucune
necessité. Nul n'est mal long temps qu'à sa faute. Qui n'a le
cœur de souffrir ny la mort ny la vie; qui ne veut ny resister ni1
fuir, que luy feroit-on?
les hommes de mespriser la mort, et de porter la douleur,
n'en trouuons nous quelcun qui face pour nous? Et de tant d'especes
d'imaginations qui l'ont persuadé à autruy, que chacun n'en applique
il à soy vn le plus selon son humeur? S'il ne peut digerer
la drogue forte et abstersiue, pour desraciner le mal, au moins•
qu'il la prenne lenitiue pour le soulager. Opinio est quædam effeminata
ac leuis: nec in dolore magis, quàm eadem in voluptate: qua,
quum liquescimus fluimusque mollitia, apis aculeum sine clamore ferre
non possumus... Totum in eo est, vt tibi imperes. Au demeurant on
n'eschappe pas à la philosophie, pour faire valoir outre mesure•
l'aspreté des douleurs, et humaine foiblesse. Car on la contraint
de se reietter à ces inuincibles repliques: S'il est mauuais de
viure en necessité, au moins de viure en necessité, il n'est aucune
necessité. Nul n'est mal long temps qu'à sa faute. Qui n'a le
cœur de souffrir ny la mort ny la vie; qui ne veut ny resister ni1
fuir, que luy feroit-on?
CHAPITRE XLI. (TRADUCTION LIV. I, CH. XLI.)
De ne communiquer sa gloire.
DE toutes les resueries du monde, la plus receuë et plus vniuerselle,
est le soing de la reputation et de la gloire, que nous
espousons iusques à quitter les richesses, le repos, la vie et la
santé, qui sont biens effectuels et substantiaux, pour suyure cette•
vaine image, et cette simple voix, qui n'a ny corps ny prise:
La fama ch'inuaghisce a vn dolce suono
Gli superbi mortali, et par' si bella,
E vn echo, vn sogno, anzi d'vn sogno vn' ombra
Ch' ad ogni vento si delegua et sgombra.2
est le soing de la reputation et de la gloire, que nous
espousons iusques à quitter les richesses, le repos, la vie et la
santé, qui sont biens effectuels et substantiaux, pour suyure cette•
vaine image, et cette simple voix, qui n'a ny corps ny prise:
La fama ch'inuaghisce a vn dolce suono
Gli superbi mortali, et par' si bella,
E vn echo, vn sogno, anzi d'vn sogno vn' ombra
Ch' ad ogni vento si delegua et sgombra.2
Et des humeurs des-raisonnables des hommes, il semble que les
philosophes mesmes se défacent plus tard et plus enuis de cette-cy
que de nulle autre: c'est la plus reuesche et opiniastre. Quia
etiam bene proficientes animos tentare non cessat. Il n'en est guiere
de laquelle la raison accuse si clairement la vanité: mais elle a•
ses racines si vifues en nous, que ie ne sçay si iamais aucun s'en
est peu nettement descharger. Apres que vous auez tout dict et
tout creu, pour la desaduouer, elle produict contre vostre discours
vne inclination si intestine, que vous auez peu que tenir à l'encontre.
Car comme dit Cicero, ceux mesmes qui la combatent,3
encores veulent-ils, que les liures, qu'ils en escriuent, portent au
front leur nom, et se veulent rendre glorieux de ce qu'ils ont mesprisé
la gloire. Toutes autres choses tombent en commerce.
Nous prestons nos biens et nos vies au besoin de nos amis: mais
de communiquer son honneur, et d'estrener autruy de sa gloire,
il ne se voit gueres. Catulus Luctatius en la guerre contre les
Cymbres, ayant faict tous efforts pour arrester ses soldats qui•
fuioient deuant les ennemis, se mit luy-mesmes entre les fuyards,
et contrefit le coüard, affin qu'ils semblassent plustost suiure leur
Capitaine, que fuyr l'ennemy: c'estoit abandonner sa reputation,
pour couurir la honte d'autruy. Quand Charles cinquiesme passa
en Prouence, l'an mil cinq cens trente sept, on tient que Antoine1
de Leue voyant l'Empereur resolu de ce voyage, et l'estimant luy
estre merueilleusement glorieux, opinoit toutesfois le contraire,
et le desconseilloit, à cette fin que toute la gloire et honneur de
ce conseil, en fust attribué à son maistre: et qu'il fust dict, son
bon aduis et sa preuoyance auoit esté telle, que contre l'opinion•
de tous, il eust mis à fin vne si belle entreprinse: qui estoit l'honorer
à ses despens. Les Ambassadeurs Thraciens, consolans Archileonide
mere de Brasidas, de la mort de son fils, et le haut-louans,
iusques à dire, qu'il n'auoit point laissé son pareil: elle
refusa cette louange priuee et particuliere, pour la rendre au2
public: Ne me dites pas cela, fit-elle, ie sçay que la ville de Sparte
a plusieurs citoyens plus grands et plus vaillans qu'il n'estoit.
En la bataille de Crecy, le Prince de Gales, encores fort ieune,
auoit l'auant-garde à conduire: le principal effort du rencontre,
fust en cet endroit: les Seigneurs qui l'accompagnoient se trouuans•
en dur party d'armes, manderent au Roy Edoüard de s'approcher,
pour les secourir: il s'enquit de l'estat de son fils, et
luy ayant esté respondu, qu'il estoit viuant et à cheual: Ie luy
ferois, dit-il, tort de luy aller maintenant desrober l'honneur de la
victoire de ce combat, qu'il a si long temps soustenu: quelque3
hazard qu'il y ait, elle sera toute sienne: et n'y voulut aller ny
enuoyer: sçachant s'il y fust allé, qu'on eust dit que tout estoit
perdu sans son secours, et qu'on luy eust attribué l'aduantage de
cet exploit. Semper enim quod postremum adiectum est, id rem totam
videtur traxisse. Plusieurs estimoient à Rome, et se disoit communément•
que les principaux beaux-faits de Scipion estoient en partie
deuz à Lælius, qui toutesfois alla tousiours promouuant et secondant
la grandeur et gloire de Scipion, sans aucun soing de la sienne. Et
Theopompus Roy de Sparte à celuy qui luy disoit que la chose publique
demeuroit sur ses pieds, pour autant qu'il sçauoit bien commander:4
C'est plustost, dit-il, parce que le peuple sçait bien obeyr.
philosophes mesmes se défacent plus tard et plus enuis de cette-cy
que de nulle autre: c'est la plus reuesche et opiniastre. Quia
etiam bene proficientes animos tentare non cessat. Il n'en est guiere
de laquelle la raison accuse si clairement la vanité: mais elle a•
ses racines si vifues en nous, que ie ne sçay si iamais aucun s'en
est peu nettement descharger. Apres que vous auez tout dict et
tout creu, pour la desaduouer, elle produict contre vostre discours
vne inclination si intestine, que vous auez peu que tenir à l'encontre.
Car comme dit Cicero, ceux mesmes qui la combatent,3
encores veulent-ils, que les liures, qu'ils en escriuent, portent au
front leur nom, et se veulent rendre glorieux de ce qu'ils ont mesprisé
la gloire. Toutes autres choses tombent en commerce.
Nous prestons nos biens et nos vies au besoin de nos amis: mais
de communiquer son honneur, et d'estrener autruy de sa gloire,
il ne se voit gueres. Catulus Luctatius en la guerre contre les
Cymbres, ayant faict tous efforts pour arrester ses soldats qui•
fuioient deuant les ennemis, se mit luy-mesmes entre les fuyards,
et contrefit le coüard, affin qu'ils semblassent plustost suiure leur
Capitaine, que fuyr l'ennemy: c'estoit abandonner sa reputation,
pour couurir la honte d'autruy. Quand Charles cinquiesme passa
en Prouence, l'an mil cinq cens trente sept, on tient que Antoine1
de Leue voyant l'Empereur resolu de ce voyage, et l'estimant luy
estre merueilleusement glorieux, opinoit toutesfois le contraire,
et le desconseilloit, à cette fin que toute la gloire et honneur de
ce conseil, en fust attribué à son maistre: et qu'il fust dict, son
bon aduis et sa preuoyance auoit esté telle, que contre l'opinion•
de tous, il eust mis à fin vne si belle entreprinse: qui estoit l'honorer
à ses despens. Les Ambassadeurs Thraciens, consolans Archileonide
mere de Brasidas, de la mort de son fils, et le haut-louans,
iusques à dire, qu'il n'auoit point laissé son pareil: elle
refusa cette louange priuee et particuliere, pour la rendre au2
public: Ne me dites pas cela, fit-elle, ie sçay que la ville de Sparte
a plusieurs citoyens plus grands et plus vaillans qu'il n'estoit.
En la bataille de Crecy, le Prince de Gales, encores fort ieune,
auoit l'auant-garde à conduire: le principal effort du rencontre,
fust en cet endroit: les Seigneurs qui l'accompagnoient se trouuans•
en dur party d'armes, manderent au Roy Edoüard de s'approcher,
pour les secourir: il s'enquit de l'estat de son fils, et
luy ayant esté respondu, qu'il estoit viuant et à cheual: Ie luy
ferois, dit-il, tort de luy aller maintenant desrober l'honneur de la
victoire de ce combat, qu'il a si long temps soustenu: quelque3
hazard qu'il y ait, elle sera toute sienne: et n'y voulut aller ny
enuoyer: sçachant s'il y fust allé, qu'on eust dit que tout estoit
perdu sans son secours, et qu'on luy eust attribué l'aduantage de
cet exploit. Semper enim quod postremum adiectum est, id rem totam
videtur traxisse. Plusieurs estimoient à Rome, et se disoit communément•
que les principaux beaux-faits de Scipion estoient en partie
deuz à Lælius, qui toutesfois alla tousiours promouuant et secondant
la grandeur et gloire de Scipion, sans aucun soing de la sienne. Et
Theopompus Roy de Sparte à celuy qui luy disoit que la chose publique
demeuroit sur ses pieds, pour autant qu'il sçauoit bien commander:4
C'est plustost, dit-il, parce que le peuple sçait bien obeyr.
Comme les femmes, qui succedoient aux pairries, auoient, nonobstant
leur sexe, droit d'assister et opiner aux causes, qui appartiennent
à la iurisdiction des pairs: aussi les pairs ecclesiastiques,
nonobstant leur profession, estoient tenus d'assister nos
Roys en leurs guerres, non seulement de leurs amis et seruiteurs,
mais de leur personne. Aussi l'Euesque de Beauuais, se trouuant
auec Philippe Auguste en la bataille de Bouuines, participoit bien•
fort courageusement à l'effect: mais il luy sembloit, ne deuoir
toucher au fruit et gloire de cet exercice sanglant et violent. Il
mena de sa main plusieurs des ennemis à raison, ce iour là, et les
donnoit au premier Gentilhomme qu'il trouuoit, à esgosiller, ou
prendre prisonniers, luy en resignant toute l'execution. Et le feit1
ainsi de Guillaume Comte de Salsberi à messire Iean de Nesle.
D'vne pareille subtilité de conscience, à cet autre: il vouloit bien
assommer, mais non pas blesser: et pourtant ne combattoit que de
masse. Quelcun en mes iours, estant reproché par le Roy d'auoir
mis les mains sur vn prestre, le nioit fort et ferme: c'estoit qu'il•
l'auoit battu et foulé aux pieds.
leur sexe, droit d'assister et opiner aux causes, qui appartiennent
à la iurisdiction des pairs: aussi les pairs ecclesiastiques,
nonobstant leur profession, estoient tenus d'assister nos
Roys en leurs guerres, non seulement de leurs amis et seruiteurs,
mais de leur personne. Aussi l'Euesque de Beauuais, se trouuant
auec Philippe Auguste en la bataille de Bouuines, participoit bien•
fort courageusement à l'effect: mais il luy sembloit, ne deuoir
toucher au fruit et gloire de cet exercice sanglant et violent. Il
mena de sa main plusieurs des ennemis à raison, ce iour là, et les
donnoit au premier Gentilhomme qu'il trouuoit, à esgosiller, ou
prendre prisonniers, luy en resignant toute l'execution. Et le feit1
ainsi de Guillaume Comte de Salsberi à messire Iean de Nesle.
D'vne pareille subtilité de conscience, à cet autre: il vouloit bien
assommer, mais non pas blesser: et pourtant ne combattoit que de
masse. Quelcun en mes iours, estant reproché par le Roy d'auoir
mis les mains sur vn prestre, le nioit fort et ferme: c'estoit qu'il•
l'auoit battu et foulé aux pieds.
CHAPITRE XLII. (TRADUCTION LIV. I, CH. XLII.)
De l'inegualité qui est entre nous.
PLVTARQVE dit en quelque lieu, qu'il ne trouue point si grande distance
de beste à beste, comme il trouue d'homme à homme. Il
parle de la suffisance de l'ame et qualitez internes. A la verité ie
trouue si loing d'Epaminundas, comme ie l'imagine, iusques à tel2
que ie cognois, ie dy capable de sens commun, que i'encherirois volontiers
sur Plutarque: et dirois qu'il y a plus de distance de tel
à tel homme, qu'il n'y a de tel homme à telle beste:
Hem! vir viro quid præstat!
et qu'il y a autant de degrez d'esprits, qu'il y a d'icy au ciel de•
brasses, et autant innumerables. Mais à propos de l'estimation
des hommes, c'est merueille que sauf nous, aucune chose ne s'estime
que par ses propres qualitez. Nous loüons vn cheual de ce qu'il est
vigoureux et adroit,
Volucrem3
Sic laudamus equum, facili cui plurima palma
Feruet, et exultat rauco victoria circo,
non de son harnois: vn leurier, de sa vistesse, non de son colier:
vn oyseau, de son aile, non de ses longes et sonnettes. Pourquoy de
mesmes n'estimons nous vn homme par ce qui est sien? Il a vn grand
train, vn beau palais, tant de credit, tant de rente: tout cela est autour
de luy, non en luy. Vous n'achetez pas vn chat en poche: si•
vous marchandez vn cheual, vous luy ostez ses bardes, vous le voyez
nud et à descouuert. Ou s'il est couuert, comme on les presentoit
anciennement aux Princes à vendre, c'est par les parties moins necessaires,
à fin que vous ne vous amusiez pas à la beauté de son
poil, ou largeur de sa croupe, et que vous vous arrestiez principalement1
à considerer les iambes, les yeux, et le pied, qui sont les
membres les plus vtiles,
Regibus hic mos est: vbi equos mercantur, opertos
Inspiciunt; ne si facies, vt sæpe, decora
Molli fulta pede est, emptorem inducat hiantem,•
Quôd pulchræ clunes, breue quôd caput, ardua ceruix.
Pourquoy estimant vn homme l'estimez vous tout enueloppé et empacqueté?
Il ne nous faict montre que des parties, qui ne sont aucunement
siennes: et nous cache celles, par lesquelles seules on
peut vrayement iuger de son estimation. C'est le prix de l'espée que2
vous cerchez, non de la guaine: vous n'en donnerez à l'aduenture
pas vn quatrain, si vous l'auez despouillée. Il le faut iuger par luy
mesme, non par ses atours. Et comme dit tres-plaisamment vn ancien:
Sçauez vous pourquoy vous l'estimez grand? vous y comptez
la hauteur de ses patins. La base n'est pas de la statue. Mesurez le•
sans ses eschaces. Qu'il mette à part ses richesses et honneurs, qu'il
se presente en chemise. A il le corps propre à ses functions, sain et
allegre? Quelle ame a il? Est elle belle, capable, et heureusement
pourueue de toutes ses pieces? Est elle riche du sien, ou de l'autruy?
La fortune n'y a elle que voir? Si les yeux ouuerts elle attend les3
espées traites: s'il ne luy chaut par où luy sorte la vie, par la
bouche, ou par le gosier: si elle est rassise, equable et contente:
c'est ce qu'il faut veoir, et iuger par là les extremes differences qui
sont entre nous. Est-il
sapiens, sibique imperiosus;•
Quem neque pauperies, neque mors, neque vincula terrent;
Responsare cupidinibus, contemnere honores
Fortis; et in seipso totus teres atque rotundus,
Externi ne quid valeat per læue morari,
In quem manca ruit semper fortuna?4
Vn tel homme est cinq cens brasses au dessus des Royaumes et des
Duchez: il est luy mesmes à soy son empire.
Sapiens, pol! ipse fingit fortunam sibi.
Que luy reste il à desirer?
Nónne videmus,•
Nil aliud sibi naturam latrare, nisi vt quoi
Corpore seiunctus dolor absit, mente fruatur
Iucundo sensu, cura semotus metúque?
Comparez luy la tourbe de nos hommes, stupide, basse, seruile,
instable, et continuellement flotante en l'orage des passions diuerses,
qui la poussent et repoussent, pendant toute d'autruy: il y a plus•
d'esloignement que du ciel à la terre: et toutefois l'aueuglement de
nostre vsage est tel, que nous en faisons peu ou point d'estat. Là
où, si nous considerons vn paisan et vn Roy, vn noble et vn villain,
vn magistrat et vn homme priué, vn riche et vn pauure, il se presente
soudain à nos yeux vn' extreme disparité, qui ne sont differents1
par maniere de dire qu'en leurs chausses. En Thrace, le Roy
estoit distingué de son peuple d'vne plaisante maniere, et bien r'encherie.
Il auoit vne religion à part: vn Dieu tout à luy, qu'il n'appartenoit
à ses subiects d'adorer: c'estoit Mercure. Et luy, dedaignoit
les leurs, Mars, Bacchus, Diane. Ce ne sont pourtant que peintures,•
qui ne font aucune dissemblance essentielle. Car comme les ioüeurs
de comedie, vous les voyez sur l'eschaffaut faire vne mine de Duc et
d'Empereur, mais tantost apres, les voyla deuenuz valets et crocheteurs
miserables, qui est leur nayfue et originelle condition: aussi
l'Empereur, duquel la pompe vous esblouit en public:2
Scilicet et grandes viridi cum luce smaragdi
Auro includuntur, teritúrque thalassina vestis
Assiduè, et Veneris sudorem exercita potat,
voyez le derriere le rideau, ce n'est rien qu'vn homme commun, et
à l'aduenture plus vil que le moindre de ses subiects. Ille beatus•
introrsum est: istius bracteata felicitas est. La coüardise, l'irresolution,
l'ambition, le despit et l'enuie l'agitent comme vn autre:
Non enim gazæ, neque consularis
Summouet lictor miseros tumultus
Mentis et curas laqueata circum3
Tecta volantes:
et le soing et la crainte le tiennent à la gorge au milieu de ses
armées.
Re veráque metus hominum, curæque sequaces,
Nec metuunt sonitus armorum, nec fera tela,•
Audactérque inter reges, rerúmque potentes
Versantur, neque fulgorem reuerentur ab auro.
La fieubre, la migraine et la goutte l'espargnent elles non plus que
nous? Quand la vieillesse luy sera sur les espaules, les archers de
sa garde l'en deschargeront ils? Quand la frayeur de la mort le4
transira, se r'asseurera il par l'assistance des Gentils-hommes de
sa chambre? Quand il sera en ialousie et caprice, nos bonnettades
le remettront elles? Ce ciel de lict tout enflé d'or et de perles, n'a
aucune vertu à rappaiser les tranchées d'vne verte colique.
Nec calidæ citius decedunt corpore febres,•
Textilibus si in picturis ostróque rubenti
Iacteris, quàm si plebeia in veste cubandum est.
Les flateurs du grand Alexandre, luy faisoyent à croire qu'il estoit
fils de Iupiter: vn iour estant blessé, regardant escouler le sang de
sa playe: Et bien qu'en dites vous? fit-il: est-ce pas icy vn sang1
vermeil, et purement humain? il n'est pas de la trampe de celuy
que Homere fait escouler de la playe des Dieux. Hermodorus le
poëte auoit fait des vers en l'honneur d'Antigonus, où il l'appelloit
fils du Soleil: et luy au contraire: Celuy, dit-il, qui vuide ma
chaize percée, sçait bien qu'il n'en est rien. C'est vn homme pour•
tous potages. Et si de soy-mesmes c'est vn homme mal né, l'empire
de l'vniuers ne le sçauroit rabiller.
Puellæ
Hunc rapiant; quicquid calcauerit hic, rosa fiat.
Quoy pour cela, si c'est vne ame grossiere et stupide? la volupté2
mesme et le bon heur, ne s'apperçoiuent point sans vigueur et sans
esprit.
Hæc perinde sunt, vt illius animus, qui ea possidet,
Qui vti scit, ei bona; illi qui non vtitur rectè, mala.
Les biens de la fortune tous tels qu'ils sont, encores faut il auoir le•
sentiment propre à les sauourer. C'est le iouïr, non le posseder, qui
nous rend heureux.
Non domus et fundus, non æris aceruus et auri,
Ægroto domini deduxit corpore febres,
Non animo curas; valeat possessor oportet,3
Qui comportatis rebus benè cogitat vti.
Qui cupit, aut metuit, iuuat illum sic domus aut res,
Vt lippum pictæ tabulæ, fomenta podagram.
Il est vn sot, son goust est mousse et hebeté; il n'en iouït non plus
qu'vn morfondu de la douceur du vin Grec, ou qu'vn cheual de la•
richesse du harnois, duquel on l'a paré. Tout ainsi comme Platon
dit, que la santé, la beauté, la force, les richesses, et tout ce qui
s'appelle bien, est egalement mal à l'iniuste, comme bien au iuste,
et le mal au rebours. Et puis, où le corps et l'ame sont en mauuais
estat, à quoy faire ces commoditez externes? veu que la moindre4
picqueure d'espingle, et passion de l'ame, est suffisante à nous oster
le plaisir de la monarchie du monde. A la premiere strette que luy
donne la goutte, il a beau estre Sire et Majesté,
Totus et argento conflatus, totus et auro,
perd il pas le souuenir de ses palais et de ses grandeurs? S'il est en
colere, sa principauté le garde elle de rougir, de paslir, de grincer•
les dents comme vn fol? Or si c'est vn habile homme et bien né,
la royauté adiouste peu à son bon heur:
Si ventri bene, si lateri est, pedibúsque tuis, nil
Diuitiæ poterunt regales addere maius:
il voit que ce n'est que biffe et piperie. Oui à l'aduenture il sera de1
l'aduis du Roy Seleucus, Que qui sçauroit le poix d'vn sceptre, ne
daigneroit l'amasser quand il le trouueroit à terre: il le disoit pour
les grandes et penibles charges, qui touchent vn bon Roy. Certes ce
n'est pas peu de chose que d'auoir à regler autruy, puis qu'à regler
nous mesmes, il se presente tant de difficultez. Quant au commander,•
qui semble estre si doux; considerant l'imbecillité du iugement
humain, et la difficulté du chois és choses nouuelles et doubteuses,
ie suis fort de cet aduis, qu'il est bien plus aisé et plus plaisant de
suiure, que de guider: et que c'est vn grand seiour d'esprit de
n'auoir à tenir qu'vne voye tracée, et à respondre que de soy:2
Vt satiùs multo iam sit, parere quietum,
Quàm regere imperio res velle.
Ioint que Cyrus disoit, qu'il n'appartenoit de commander à homme,
qui ne vaille mieux que ceux à qui il commande. Mais le Roy
Hieron en Xenophon dict d'auantage, qu'à la iouyssance des voluptez•
mesmes, ils sont de pire condition que les priuez: d'autant que l'aysance
et la facilité, leur oste l'aigredouce pointe que nous y trouuons.
Pinguis amor nimiùmque potens, in tædia nobis
Vertitur, et, stomacho dulcis vt esca, nocet.3
Pensons nous que les enfans de cœur prennent grand plaisir à la
musique? La sacieté la leur rend plustost ennuyeuse. Les festins,
les danses, les masquarades, les tournois reiouyssent ceux qui ne
les voyent pas souuent, et qui ont desiré de les voir: mais à qui en
faict ordinaire, le goust en deuient fade et mal plaisant: ny les•
dames ne chatouillent celuy qui en iouyt à cœur saoul. Qui ne se
donne loisir d'auoir soif, ne sçauroit prendre plaisir à boire. Les
farces des bateleurs nous res-iouissent, mais aux ioüeurs elles seruent
de coruée. Et qu'il soit ainsi, ce sont delices aux Princes, c'est
leur feste, de se pouuoir quelque fois trauestir, et démettre à la façon
de viure basse et populaire.
Plerumque gratæ principibus vices,
Mundæque paruo sub lare pauperum
Cœnæ, sine aulæis et ostro,•
Solicitam explicuere frontem.
Il n'est rien si empeschant, si desgouté que l'abondance. Quel appetit
ne se rebuteroit, à veoir trois cents femmes à sa merci, comme
les a le grand Seigneur en son serrail? Et quel appetit et visage de
chasse, s'estoit reserué celuy de ses ancestres, qui n'alloit iamais1
aux champs, à moins de sept mille fauconniers? Et outre cela, ie
croy, que ce lustre de grandeur, apporte non legeres incommoditez
à la iouyssance des plaisirs plus doux: ils sont trop esclairez et
trop en butte. Et ie ne sçay comment on requiert plus d'eux de
cacher et couurir leur faute. Car ce qui est à nous indiscretion, à•
eux le peuple iuge que ce soit tyrannie, mespris, et desdain des
loix. Et outre l'inclination au vice, il semble qu'ils y adioustent encore
le plaisir de gourmander, et sousmettre à leurs pieds les obseruances
publiques. De vray Platon en son Gorgias, definit tyran celuy
qui a licence en vne cité d'y faire tout ce qui luy plaist. Et souuent2
à cette cause, la montre et publication de leur vice, blesse plus que
le vice mesme. Chacun craint à estre espié et contrerollé: ils le sont
iusques à leurs contenances et à leurs pensees; tout le peuple estimant
auoir droict et interest d'en iuger. Outre ce que les taches
s'agrandissent selon l'eminence et clarté du lieu, où elles sont assises:•
et qu'vn seing et vne verrue au front, paroissent plus que ne faict
ailleurs vne balafre. Voyla pourquoy les poëtes feignent les amours
de Iupiter conduites soubs autre visage que le sien: et de tant de
practiques amoureuses qu'ils luy attribuent, il n'en est qu'vne seule,
ce me semble, où il se trouue en sa grandeur et Maiesté. Mais reuenons3
à Hieron: il recite aussi combien il sent d'incommoditez en
sa royauté, pour ne pouuoir aller et voyager en liberté, estant comme
prisonnier dans les limites de son païs: et qu'en toutes ses actions
il se trouue enueloppé d'vne facheuse presse. De vray, à voir les
nostres tous seuls à table, assiegez de tant de parleurs et regardans•
inconnuz, i'en ay eu souuent plus de piété que d'enuie. Le Roy
Alphonse disoit que les asnes estoyent en cela de meilleure condition
que les Roys: leurs maistres les laissent paistre à leur aise, là
où les Roys ne peuuent pas obtenir cela de leurs seruiteurs. Et ne
m'est iamais tombé en fantasie, que ce fust quelque notable commodité4
à la vie d'vn homme d'entendement, d'auoir vne vingtaine de
contrerolleurs à sa chaise percée: ny que les seruices d'vn homme
qui a dix mille liures de rente, ou qui a pris Casal, ou defendu
Siene, luy soyent plus commodes et acceptables, que d'vn bon valet
et bien experimenté. Les auantages principesques sont quasi auantages
imaginaires. Chaque degré de fortune a quelque image de
principauté. Cæsar appelle Roytelets, tous les Seigneurs ayans iustice•
en France de son temps. De vray, sauf le nom de Sire, on
va bien auant auec nos Roys. Et voyez aux Prouinces esloingnées de
la Cour, nommons Bretaigne pour exemple, le train, les subiects,
les officiers, les occupations, le seruice et cerimonie d'vn Seigneur
retiré et casanier, nourry entre ses valets; et voyez aussi le vol de1
son imagination, il n'est rien plus royal: il oyt parler de son maistre
vne fois l'an, comme du Roy de Perse: et ne le recognoit, que par
quelque vieux cousinage, que son secretaire tient en registre. A la
verité nos loix sont libres assez; et le pois de la souueraineté ne
touche vn Gentil-homme François, à peine deux fois en sa vie. La•
subiection essentielle et effectuelle, ne regarde d'entre nous, que
ceux qui s'y conuient, et qui ayment à s'honnorer et enrichir par tel
seruice: car qui se veut tapir en son foyer, et sçait conduire sa maison
sans querelle, et sans procés, il est aussi libre que le Duc de
Venise. Paucos seruitus, plures seruitutem tenent. Mais sur tout2
Hieron faict cas, dequoy il se voit priué de toute amitié et societé
mutuelle: en laquelle consiste le plus parfait et doux fruict de la
vie humaine. Car quel tesmoignage d'affection et de bonne volonté,
puis-ie tirer de celuy, qui me doit, vueille il ou non, tout ce qu'il
peut? Puis-ie faire estat de son humble parler et courtoise reuerence,•
veu qu'il n'est pas en luy de me la refuser? L'honneur que nous receuons
de ceux qui nous craignent, ce n'est pas honneur: ces respects
se doiuent à la Royauté, non à moy.
Maximum hoc regni bonum est,
Quod facta domini cogitur populus sui3
Quâm ferre, tam laudare.
Vois-ie pas que le meschant, le bon Roy, celuy qu'on haït, celuy
qu'on ayme, autant en a l'vn que l'autre: de mesmes apparences,
de mesme ceremonie, estoit seruy mon predecesseur, et le sera mon
successeur. Si mes subiects ne m'offencent pas, ce n'est tesmoignage•
d'aucune bonne affection: pourquoy le prendray-ie en cette part-là,
puis qu'ils ne pourroient quand ils voudroient? Nul ne me suit pour
l'amitié, qui soit entre luy et moy: car il ne s'y sçauroit coudre
amitié, où il y a si peu de relation et de correspondance. Ma hauteur
m'a mis hors du commerce des hommes: il y a trop de disparité•
et de disproportion. Ils me suiuent par contenance et par coustume,
ou plus tost que moy ma fortune, pour en accroistre la leur. Tout
ce qu'ils me dient, et font, ce n'est que fard, leur liberté estant
bridée de toutes parts par la grande puissance que i'ay sur eux: ie
ne voy rien autour de moy que couuert et masqué. Ses courtisans1
loüoient vn iour Iulian l'Empereur de faire bonne iustice: Ie m'enorgueillirois
volontiers, dit-il, de ces loüanges, si elles venoient de
personnes, qui ozassent accuser ou mesloüer mes actions contraires,
quand elles y seroient. Toutes les vraies commoditez qu'ont les
Princes, leurs sont communes auec les hommes de moyenne fortune.•
C'est à faire aux Dieux, de monter des cheuaux aislez, et se paistre
d'Ambrosie: ils n'ont point d'autre sommeil et d'autre appetit que
le nostre: leur acier n'est pas de meilleure trempe, que celuy dequoy
nous nous armons; leur couronne ne les couure ny du soleil,
ny de la pluie. Diocletian qui en portoit vne si reuerée et si fortunée,2
la resigna pour se retirer au plaisir d'vne vie priuée: et quelque
temps apres, la necessité des affaires publiques, requerant qu'il
reuinst à prendre la charge, il respondit à ceux qui l'en prioient:
Vous n'entreprendriez pas de me persuader cela, si vous auiez veu
le bel ordre des arbres, que i'ay moymesme planté chez moy, et les•
beaux melons que i'y ay semez. A l'aduis d'Anacharsis le plus
heureux estat d'vne police, seroit où toutes autres choses estants
esgales, la precedence se mesureroit à la vertu, et le rebut au vice.
de beste à beste, comme il trouue d'homme à homme. Il
parle de la suffisance de l'ame et qualitez internes. A la verité ie
trouue si loing d'Epaminundas, comme ie l'imagine, iusques à tel2
que ie cognois, ie dy capable de sens commun, que i'encherirois volontiers
sur Plutarque: et dirois qu'il y a plus de distance de tel
à tel homme, qu'il n'y a de tel homme à telle beste:
Hem! vir viro quid præstat!
et qu'il y a autant de degrez d'esprits, qu'il y a d'icy au ciel de•
brasses, et autant innumerables. Mais à propos de l'estimation
des hommes, c'est merueille que sauf nous, aucune chose ne s'estime
que par ses propres qualitez. Nous loüons vn cheual de ce qu'il est
vigoureux et adroit,
Volucrem3
Sic laudamus equum, facili cui plurima palma
Feruet, et exultat rauco victoria circo,
non de son harnois: vn leurier, de sa vistesse, non de son colier:
vn oyseau, de son aile, non de ses longes et sonnettes. Pourquoy de
mesmes n'estimons nous vn homme par ce qui est sien? Il a vn grand
train, vn beau palais, tant de credit, tant de rente: tout cela est autour
de luy, non en luy. Vous n'achetez pas vn chat en poche: si•
vous marchandez vn cheual, vous luy ostez ses bardes, vous le voyez
nud et à descouuert. Ou s'il est couuert, comme on les presentoit
anciennement aux Princes à vendre, c'est par les parties moins necessaires,
à fin que vous ne vous amusiez pas à la beauté de son
poil, ou largeur de sa croupe, et que vous vous arrestiez principalement1
à considerer les iambes, les yeux, et le pied, qui sont les
membres les plus vtiles,
Regibus hic mos est: vbi equos mercantur, opertos
Inspiciunt; ne si facies, vt sæpe, decora
Molli fulta pede est, emptorem inducat hiantem,•
Quôd pulchræ clunes, breue quôd caput, ardua ceruix.
Pourquoy estimant vn homme l'estimez vous tout enueloppé et empacqueté?
Il ne nous faict montre que des parties, qui ne sont aucunement
siennes: et nous cache celles, par lesquelles seules on
peut vrayement iuger de son estimation. C'est le prix de l'espée que2
vous cerchez, non de la guaine: vous n'en donnerez à l'aduenture
pas vn quatrain, si vous l'auez despouillée. Il le faut iuger par luy
mesme, non par ses atours. Et comme dit tres-plaisamment vn ancien:
Sçauez vous pourquoy vous l'estimez grand? vous y comptez
la hauteur de ses patins. La base n'est pas de la statue. Mesurez le•
sans ses eschaces. Qu'il mette à part ses richesses et honneurs, qu'il
se presente en chemise. A il le corps propre à ses functions, sain et
allegre? Quelle ame a il? Est elle belle, capable, et heureusement
pourueue de toutes ses pieces? Est elle riche du sien, ou de l'autruy?
La fortune n'y a elle que voir? Si les yeux ouuerts elle attend les3
espées traites: s'il ne luy chaut par où luy sorte la vie, par la
bouche, ou par le gosier: si elle est rassise, equable et contente:
c'est ce qu'il faut veoir, et iuger par là les extremes differences qui
sont entre nous. Est-il
sapiens, sibique imperiosus;•
Quem neque pauperies, neque mors, neque vincula terrent;
Responsare cupidinibus, contemnere honores
Fortis; et in seipso totus teres atque rotundus,
Externi ne quid valeat per læue morari,
In quem manca ruit semper fortuna?4
Vn tel homme est cinq cens brasses au dessus des Royaumes et des
Duchez: il est luy mesmes à soy son empire.
Sapiens, pol! ipse fingit fortunam sibi.
Que luy reste il à desirer?
Nónne videmus,•
Nil aliud sibi naturam latrare, nisi vt quoi
Corpore seiunctus dolor absit, mente fruatur
Iucundo sensu, cura semotus metúque?
Comparez luy la tourbe de nos hommes, stupide, basse, seruile,
instable, et continuellement flotante en l'orage des passions diuerses,
qui la poussent et repoussent, pendant toute d'autruy: il y a plus•
d'esloignement que du ciel à la terre: et toutefois l'aueuglement de
nostre vsage est tel, que nous en faisons peu ou point d'estat. Là
où, si nous considerons vn paisan et vn Roy, vn noble et vn villain,
vn magistrat et vn homme priué, vn riche et vn pauure, il se presente
soudain à nos yeux vn' extreme disparité, qui ne sont differents1
par maniere de dire qu'en leurs chausses. En Thrace, le Roy
estoit distingué de son peuple d'vne plaisante maniere, et bien r'encherie.
Il auoit vne religion à part: vn Dieu tout à luy, qu'il n'appartenoit
à ses subiects d'adorer: c'estoit Mercure. Et luy, dedaignoit
les leurs, Mars, Bacchus, Diane. Ce ne sont pourtant que peintures,•
qui ne font aucune dissemblance essentielle. Car comme les ioüeurs
de comedie, vous les voyez sur l'eschaffaut faire vne mine de Duc et
d'Empereur, mais tantost apres, les voyla deuenuz valets et crocheteurs
miserables, qui est leur nayfue et originelle condition: aussi
l'Empereur, duquel la pompe vous esblouit en public:2
Scilicet et grandes viridi cum luce smaragdi
Auro includuntur, teritúrque thalassina vestis
Assiduè, et Veneris sudorem exercita potat,
voyez le derriere le rideau, ce n'est rien qu'vn homme commun, et
à l'aduenture plus vil que le moindre de ses subiects. Ille beatus•
introrsum est: istius bracteata felicitas est. La coüardise, l'irresolution,
l'ambition, le despit et l'enuie l'agitent comme vn autre:
Non enim gazæ, neque consularis
Summouet lictor miseros tumultus
Mentis et curas laqueata circum3
Tecta volantes:
et le soing et la crainte le tiennent à la gorge au milieu de ses
armées.
Re veráque metus hominum, curæque sequaces,
Nec metuunt sonitus armorum, nec fera tela,•
Audactérque inter reges, rerúmque potentes
Versantur, neque fulgorem reuerentur ab auro.
La fieubre, la migraine et la goutte l'espargnent elles non plus que
nous? Quand la vieillesse luy sera sur les espaules, les archers de
sa garde l'en deschargeront ils? Quand la frayeur de la mort le4
transira, se r'asseurera il par l'assistance des Gentils-hommes de
sa chambre? Quand il sera en ialousie et caprice, nos bonnettades
le remettront elles? Ce ciel de lict tout enflé d'or et de perles, n'a
aucune vertu à rappaiser les tranchées d'vne verte colique.
Nec calidæ citius decedunt corpore febres,•
Textilibus si in picturis ostróque rubenti
Iacteris, quàm si plebeia in veste cubandum est.
Les flateurs du grand Alexandre, luy faisoyent à croire qu'il estoit
fils de Iupiter: vn iour estant blessé, regardant escouler le sang de
sa playe: Et bien qu'en dites vous? fit-il: est-ce pas icy vn sang1
vermeil, et purement humain? il n'est pas de la trampe de celuy
que Homere fait escouler de la playe des Dieux. Hermodorus le
poëte auoit fait des vers en l'honneur d'Antigonus, où il l'appelloit
fils du Soleil: et luy au contraire: Celuy, dit-il, qui vuide ma
chaize percée, sçait bien qu'il n'en est rien. C'est vn homme pour•
tous potages. Et si de soy-mesmes c'est vn homme mal né, l'empire
de l'vniuers ne le sçauroit rabiller.
Puellæ
Hunc rapiant; quicquid calcauerit hic, rosa fiat.
Quoy pour cela, si c'est vne ame grossiere et stupide? la volupté2
mesme et le bon heur, ne s'apperçoiuent point sans vigueur et sans
esprit.
Hæc perinde sunt, vt illius animus, qui ea possidet,
Qui vti scit, ei bona; illi qui non vtitur rectè, mala.
Les biens de la fortune tous tels qu'ils sont, encores faut il auoir le•
sentiment propre à les sauourer. C'est le iouïr, non le posseder, qui
nous rend heureux.
Non domus et fundus, non æris aceruus et auri,
Ægroto domini deduxit corpore febres,
Non animo curas; valeat possessor oportet,3
Qui comportatis rebus benè cogitat vti.
Qui cupit, aut metuit, iuuat illum sic domus aut res,
Vt lippum pictæ tabulæ, fomenta podagram.
Il est vn sot, son goust est mousse et hebeté; il n'en iouït non plus
qu'vn morfondu de la douceur du vin Grec, ou qu'vn cheual de la•
richesse du harnois, duquel on l'a paré. Tout ainsi comme Platon
dit, que la santé, la beauté, la force, les richesses, et tout ce qui
s'appelle bien, est egalement mal à l'iniuste, comme bien au iuste,
et le mal au rebours. Et puis, où le corps et l'ame sont en mauuais
estat, à quoy faire ces commoditez externes? veu que la moindre4
picqueure d'espingle, et passion de l'ame, est suffisante à nous oster
le plaisir de la monarchie du monde. A la premiere strette que luy
donne la goutte, il a beau estre Sire et Majesté,
Totus et argento conflatus, totus et auro,
perd il pas le souuenir de ses palais et de ses grandeurs? S'il est en
colere, sa principauté le garde elle de rougir, de paslir, de grincer•
les dents comme vn fol? Or si c'est vn habile homme et bien né,
la royauté adiouste peu à son bon heur:
Si ventri bene, si lateri est, pedibúsque tuis, nil
Diuitiæ poterunt regales addere maius:
il voit que ce n'est que biffe et piperie. Oui à l'aduenture il sera de1
l'aduis du Roy Seleucus, Que qui sçauroit le poix d'vn sceptre, ne
daigneroit l'amasser quand il le trouueroit à terre: il le disoit pour
les grandes et penibles charges, qui touchent vn bon Roy. Certes ce
n'est pas peu de chose que d'auoir à regler autruy, puis qu'à regler
nous mesmes, il se presente tant de difficultez. Quant au commander,•
qui semble estre si doux; considerant l'imbecillité du iugement
humain, et la difficulté du chois és choses nouuelles et doubteuses,
ie suis fort de cet aduis, qu'il est bien plus aisé et plus plaisant de
suiure, que de guider: et que c'est vn grand seiour d'esprit de
n'auoir à tenir qu'vne voye tracée, et à respondre que de soy:2
Vt satiùs multo iam sit, parere quietum,
Quàm regere imperio res velle.
Ioint que Cyrus disoit, qu'il n'appartenoit de commander à homme,
qui ne vaille mieux que ceux à qui il commande. Mais le Roy
Hieron en Xenophon dict d'auantage, qu'à la iouyssance des voluptez•
mesmes, ils sont de pire condition que les priuez: d'autant que l'aysance
et la facilité, leur oste l'aigredouce pointe que nous y trouuons.
Pinguis amor nimiùmque potens, in tædia nobis
Vertitur, et, stomacho dulcis vt esca, nocet.3
Pensons nous que les enfans de cœur prennent grand plaisir à la
musique? La sacieté la leur rend plustost ennuyeuse. Les festins,
les danses, les masquarades, les tournois reiouyssent ceux qui ne
les voyent pas souuent, et qui ont desiré de les voir: mais à qui en
faict ordinaire, le goust en deuient fade et mal plaisant: ny les•
dames ne chatouillent celuy qui en iouyt à cœur saoul. Qui ne se
donne loisir d'auoir soif, ne sçauroit prendre plaisir à boire. Les
farces des bateleurs nous res-iouissent, mais aux ioüeurs elles seruent
de coruée. Et qu'il soit ainsi, ce sont delices aux Princes, c'est
leur feste, de se pouuoir quelque fois trauestir, et démettre à la façon
de viure basse et populaire.
Plerumque gratæ principibus vices,
Mundæque paruo sub lare pauperum
Cœnæ, sine aulæis et ostro,•
Solicitam explicuere frontem.
Il n'est rien si empeschant, si desgouté que l'abondance. Quel appetit
ne se rebuteroit, à veoir trois cents femmes à sa merci, comme
les a le grand Seigneur en son serrail? Et quel appetit et visage de
chasse, s'estoit reserué celuy de ses ancestres, qui n'alloit iamais1
aux champs, à moins de sept mille fauconniers? Et outre cela, ie
croy, que ce lustre de grandeur, apporte non legeres incommoditez
à la iouyssance des plaisirs plus doux: ils sont trop esclairez et
trop en butte. Et ie ne sçay comment on requiert plus d'eux de
cacher et couurir leur faute. Car ce qui est à nous indiscretion, à•
eux le peuple iuge que ce soit tyrannie, mespris, et desdain des
loix. Et outre l'inclination au vice, il semble qu'ils y adioustent encore
le plaisir de gourmander, et sousmettre à leurs pieds les obseruances
publiques. De vray Platon en son Gorgias, definit tyran celuy
qui a licence en vne cité d'y faire tout ce qui luy plaist. Et souuent2
à cette cause, la montre et publication de leur vice, blesse plus que
le vice mesme. Chacun craint à estre espié et contrerollé: ils le sont
iusques à leurs contenances et à leurs pensees; tout le peuple estimant
auoir droict et interest d'en iuger. Outre ce que les taches
s'agrandissent selon l'eminence et clarté du lieu, où elles sont assises:•
et qu'vn seing et vne verrue au front, paroissent plus que ne faict
ailleurs vne balafre. Voyla pourquoy les poëtes feignent les amours
de Iupiter conduites soubs autre visage que le sien: et de tant de
practiques amoureuses qu'ils luy attribuent, il n'en est qu'vne seule,
ce me semble, où il se trouue en sa grandeur et Maiesté. Mais reuenons3
à Hieron: il recite aussi combien il sent d'incommoditez en
sa royauté, pour ne pouuoir aller et voyager en liberté, estant comme
prisonnier dans les limites de son païs: et qu'en toutes ses actions
il se trouue enueloppé d'vne facheuse presse. De vray, à voir les
nostres tous seuls à table, assiegez de tant de parleurs et regardans•
inconnuz, i'en ay eu souuent plus de piété que d'enuie. Le Roy
Alphonse disoit que les asnes estoyent en cela de meilleure condition
que les Roys: leurs maistres les laissent paistre à leur aise, là
où les Roys ne peuuent pas obtenir cela de leurs seruiteurs. Et ne
m'est iamais tombé en fantasie, que ce fust quelque notable commodité4
à la vie d'vn homme d'entendement, d'auoir vne vingtaine de
contrerolleurs à sa chaise percée: ny que les seruices d'vn homme
qui a dix mille liures de rente, ou qui a pris Casal, ou defendu
Siene, luy soyent plus commodes et acceptables, que d'vn bon valet
et bien experimenté. Les auantages principesques sont quasi auantages
imaginaires. Chaque degré de fortune a quelque image de
principauté. Cæsar appelle Roytelets, tous les Seigneurs ayans iustice•
en France de son temps. De vray, sauf le nom de Sire, on
va bien auant auec nos Roys. Et voyez aux Prouinces esloingnées de
la Cour, nommons Bretaigne pour exemple, le train, les subiects,
les officiers, les occupations, le seruice et cerimonie d'vn Seigneur
retiré et casanier, nourry entre ses valets; et voyez aussi le vol de1
son imagination, il n'est rien plus royal: il oyt parler de son maistre
vne fois l'an, comme du Roy de Perse: et ne le recognoit, que par
quelque vieux cousinage, que son secretaire tient en registre. A la
verité nos loix sont libres assez; et le pois de la souueraineté ne
touche vn Gentil-homme François, à peine deux fois en sa vie. La•
subiection essentielle et effectuelle, ne regarde d'entre nous, que
ceux qui s'y conuient, et qui ayment à s'honnorer et enrichir par tel
seruice: car qui se veut tapir en son foyer, et sçait conduire sa maison
sans querelle, et sans procés, il est aussi libre que le Duc de
Venise. Paucos seruitus, plures seruitutem tenent. Mais sur tout2
Hieron faict cas, dequoy il se voit priué de toute amitié et societé
mutuelle: en laquelle consiste le plus parfait et doux fruict de la
vie humaine. Car quel tesmoignage d'affection et de bonne volonté,
puis-ie tirer de celuy, qui me doit, vueille il ou non, tout ce qu'il
peut? Puis-ie faire estat de son humble parler et courtoise reuerence,•
veu qu'il n'est pas en luy de me la refuser? L'honneur que nous receuons
de ceux qui nous craignent, ce n'est pas honneur: ces respects
se doiuent à la Royauté, non à moy.
Maximum hoc regni bonum est,
Quod facta domini cogitur populus sui3
Quâm ferre, tam laudare.
Vois-ie pas que le meschant, le bon Roy, celuy qu'on haït, celuy
qu'on ayme, autant en a l'vn que l'autre: de mesmes apparences,
de mesme ceremonie, estoit seruy mon predecesseur, et le sera mon
successeur. Si mes subiects ne m'offencent pas, ce n'est tesmoignage•
d'aucune bonne affection: pourquoy le prendray-ie en cette part-là,
puis qu'ils ne pourroient quand ils voudroient? Nul ne me suit pour
l'amitié, qui soit entre luy et moy: car il ne s'y sçauroit coudre
amitié, où il y a si peu de relation et de correspondance. Ma hauteur
m'a mis hors du commerce des hommes: il y a trop de disparité•
et de disproportion. Ils me suiuent par contenance et par coustume,
ou plus tost que moy ma fortune, pour en accroistre la leur. Tout
ce qu'ils me dient, et font, ce n'est que fard, leur liberté estant
bridée de toutes parts par la grande puissance que i'ay sur eux: ie
ne voy rien autour de moy que couuert et masqué. Ses courtisans1
loüoient vn iour Iulian l'Empereur de faire bonne iustice: Ie m'enorgueillirois
volontiers, dit-il, de ces loüanges, si elles venoient de
personnes, qui ozassent accuser ou mesloüer mes actions contraires,
quand elles y seroient. Toutes les vraies commoditez qu'ont les
Princes, leurs sont communes auec les hommes de moyenne fortune.•
C'est à faire aux Dieux, de monter des cheuaux aislez, et se paistre
d'Ambrosie: ils n'ont point d'autre sommeil et d'autre appetit que
le nostre: leur acier n'est pas de meilleure trempe, que celuy dequoy
nous nous armons; leur couronne ne les couure ny du soleil,
ny de la pluie. Diocletian qui en portoit vne si reuerée et si fortunée,2
la resigna pour se retirer au plaisir d'vne vie priuée: et quelque
temps apres, la necessité des affaires publiques, requerant qu'il
reuinst à prendre la charge, il respondit à ceux qui l'en prioient:
Vous n'entreprendriez pas de me persuader cela, si vous auiez veu
le bel ordre des arbres, que i'ay moymesme planté chez moy, et les•
beaux melons que i'y ay semez. A l'aduis d'Anacharsis le plus
heureux estat d'vne police, seroit où toutes autres choses estants
esgales, la precedence se mesureroit à la vertu, et le rebut au vice.
Quand le Roy Pyrrhus entreprenoit de passer en Italie, Cyneas
son sage conseiller luy voulant faire sentir la vanité de son ambition:3
Et bien Sire, luy demanda-il, à quelle fin dressez vous cette
grande entreprinse? Pour me faire maistre de l'Italie, respondit-il
soudain: Et puis, suyuit Cyneas, cela faict? Ie passeray, dit l'autre,
en Gaule et en Espaigne: Et apres? Ie m'en iray subiuguer l'Afrique,
et en fin, quand i'auray mis le monde en ma subiection, ie me reposeray•
et viuray content et à mon aise. Pour Dieu, Sire, rechargea
lors Cyneas, dictes moy, à quoy il tient que vous ne soyez des à
present, si vous voulez, en cet estat? Pourquoy ne vous logez vous
des cette heure, où vous dites aspirer, et vous espargnez tant de trauail
et de hazard, que vous iettez entre deux?
Nimirum quia non bene norat quæ esset habendi•
Finis, et omnino quoad crescat vera voluptas.
son sage conseiller luy voulant faire sentir la vanité de son ambition:3
Et bien Sire, luy demanda-il, à quelle fin dressez vous cette
grande entreprinse? Pour me faire maistre de l'Italie, respondit-il
soudain: Et puis, suyuit Cyneas, cela faict? Ie passeray, dit l'autre,
en Gaule et en Espaigne: Et apres? Ie m'en iray subiuguer l'Afrique,
et en fin, quand i'auray mis le monde en ma subiection, ie me reposeray•
et viuray content et à mon aise. Pour Dieu, Sire, rechargea
lors Cyneas, dictes moy, à quoy il tient que vous ne soyez des à
present, si vous voulez, en cet estat? Pourquoy ne vous logez vous
des cette heure, où vous dites aspirer, et vous espargnez tant de trauail
et de hazard, que vous iettez entre deux?
Nimirum quia non bene norat quæ esset habendi•
Finis, et omnino quoad crescat vera voluptas.
Ie m'en vais clorre ce pas par vn verset ancien, que ie trouue
singulierement beau à ce propos:
Mores cuique sui fingunt fortunam.
singulierement beau à ce propos:
Mores cuique sui fingunt fortunam.
CHAPITRE XLIII. (TRADUCTION LIV. I, CH. XLIII.)
Des lois somptuaires.
LA façon dequoy nos loix essayent à regler les foles et vaines despences1
des tables, et vestemens, semble estre contraire à sa fin.
Le vray moyen, ce seroit d'engendrer aux hommes le mespris de
l'or et de la soye, comme de choses vaines et inutiles: et nous leur
augmentons l'honneur et le prix, qui est vne bien inepte façon pour
en dégouster les hommes. Car dire ainsi, Qu'il n'y aura que les•
Princes qui mangent du turbot, qui puissent porter du velours et
de la tresse d'or, et l'interdire au peuple, qu'est-ce autre chose que
mettre en credit ces choses là, et faire croistre l'enuie à chacun
d'en vser? Que les Roys quittent hardiment ces marques de grandeur,
ils en ont assez d'autres; tels excez sont plus excusables à2
tout autre qu'à vn Prince. Par l'exemple de plusieurs nations, nous
pouuons apprendre assez de meilleures façons de nous distinguer
exterieurement, et nos degrez (ce que i'estime à la verité, estre
bien requis en vn Estat) sans nourrir pour cet effect, cette corruption
et incommodité si apparente. C'est merueille comme la•
coustume en ces choses indifferentes plante aisément et soudain le
pied de son authorité. A peine fusmes nous vn an, pour le dueil du
Roy Henry second, à porter du drap à la Cour, il est certain que
desia à l'opinion d'vn chacun, les soyes estoient venuës à telle vilité,
que si vous en voyiez quelqu'vn vestu, vous en faisiez incontinent3
quelque homme de ville. Elles estoient demeurées en partage
aux medecins et aux chirurgiens: et quoy qu'vn chacun fust
à peu pres vestu de mesme, si y auoit-il d'ailleurs assez de distinctions
apparentes, des qualitez des hommes. Combien soudainement
viennent en honneur parmy nos armées, les pourpoins crasseux de•
chamois et de toille; et la pollisseure et richesse des vestements à
reproche et à mespris? Que les Roys commencent à quitter ces despences,
ce sera faict en vn mois sans edict, et sans ordonnance;
nous irons tous apres. La loy deuroit dire au rebours, Que le cramoisy
et l'orfeuerie est defenduë à toute espece de gens, sauf aux1
basteleurs et aux courtisanes. De pareille inuention corrigea Zeleucus,
les meurs corrompuës des Locriens. Ses ordonnances estoient
telles: Que la femme de condition libre, ne puisse mener
apres elle plus d'vne chambriere, sinon lors qu'elle sera yure:
ny ne puisse sortir hors la ville de nuict, ny porter ioyaux d'or à•
l'entour de sa personne, ny robbe enrichie de broderie, si elle n'est
publique et putain: que sauf les ruffiens, à homme ne loise porter
en son doigt anneau d'or, ny robbe delicate, comme sont celles des
draps tissus en la ville de Milet. Et ainsi par ces exceptions honteuses,
il diuertissoit ingenieusement ses citoyens des superfluitez2
et delices pernicieuses. C'estoit vne tres-vtile maniere d'attirer par
honneur et ambition, les hommes à leur deuoir et à l'obeissance.
des tables, et vestemens, semble estre contraire à sa fin.
Le vray moyen, ce seroit d'engendrer aux hommes le mespris de
l'or et de la soye, comme de choses vaines et inutiles: et nous leur
augmentons l'honneur et le prix, qui est vne bien inepte façon pour
en dégouster les hommes. Car dire ainsi, Qu'il n'y aura que les•
Princes qui mangent du turbot, qui puissent porter du velours et
de la tresse d'or, et l'interdire au peuple, qu'est-ce autre chose que
mettre en credit ces choses là, et faire croistre l'enuie à chacun
d'en vser? Que les Roys quittent hardiment ces marques de grandeur,
ils en ont assez d'autres; tels excez sont plus excusables à2
tout autre qu'à vn Prince. Par l'exemple de plusieurs nations, nous
pouuons apprendre assez de meilleures façons de nous distinguer
exterieurement, et nos degrez (ce que i'estime à la verité, estre
bien requis en vn Estat) sans nourrir pour cet effect, cette corruption
et incommodité si apparente. C'est merueille comme la•
coustume en ces choses indifferentes plante aisément et soudain le
pied de son authorité. A peine fusmes nous vn an, pour le dueil du
Roy Henry second, à porter du drap à la Cour, il est certain que
desia à l'opinion d'vn chacun, les soyes estoient venuës à telle vilité,
que si vous en voyiez quelqu'vn vestu, vous en faisiez incontinent3
quelque homme de ville. Elles estoient demeurées en partage
aux medecins et aux chirurgiens: et quoy qu'vn chacun fust
à peu pres vestu de mesme, si y auoit-il d'ailleurs assez de distinctions
apparentes, des qualitez des hommes. Combien soudainement
viennent en honneur parmy nos armées, les pourpoins crasseux de•
chamois et de toille; et la pollisseure et richesse des vestements à
reproche et à mespris? Que les Roys commencent à quitter ces despences,
ce sera faict en vn mois sans edict, et sans ordonnance;
nous irons tous apres. La loy deuroit dire au rebours, Que le cramoisy
et l'orfeuerie est defenduë à toute espece de gens, sauf aux1
basteleurs et aux courtisanes. De pareille inuention corrigea Zeleucus,
les meurs corrompuës des Locriens. Ses ordonnances estoient
telles: Que la femme de condition libre, ne puisse mener
apres elle plus d'vne chambriere, sinon lors qu'elle sera yure:
ny ne puisse sortir hors la ville de nuict, ny porter ioyaux d'or à•
l'entour de sa personne, ny robbe enrichie de broderie, si elle n'est
publique et putain: que sauf les ruffiens, à homme ne loise porter
en son doigt anneau d'or, ny robbe delicate, comme sont celles des
draps tissus en la ville de Milet. Et ainsi par ces exceptions honteuses,
il diuertissoit ingenieusement ses citoyens des superfluitez2
et delices pernicieuses. C'estoit vne tres-vtile maniere d'attirer par
honneur et ambition, les hommes à leur deuoir et à l'obeissance.
Nos Roys peuuent tout en telles reformations externes: leur
inclination y sert de loy. Quicquid principes faciunt, præcipere videntur.
Le reste de la France prend pour regle la regle de la Cour.•
Qu'ils se desplaisent de cette vilaine chaussure, qui montre si à
descouuert nos membres occultes: ce lourd grossissement de pourpoins,
qui nous faict tous autres que nous ne sommes, si incommode
à s'armer: ces longues tresses de poil effeminees: cet vsage
de baiser ce que nous presentons à nos compaignons, et nos mains3
en les saluant: ceremonie deuë autresfois aux seuls Princes: et
qu'vn Gentil-homme se trouue en lieu de respect, sans espée à son
costé, tout esbraillé, et destaché, comme s'il venoit de la garde-robbe:
et que contre la forme de nos peres, et la particuliere liberté
de la Noblesse de ce Royaume, nous nous tenons descouuerts•
bien loing autour d'eux, en quelque lieu qu'ils soyent: et comme
autour d'eux, autour de cent autres; tant nous auons de tiercelets
et quartelets de Roys: et ainsi d'autres pareilles introductions
nouuelles et vitieuses: elles se verront incontinent esuanouyes et
descriées. Ce sont erreurs superficielles, mais pourtant de mauuais
prognostique: et sommes aduertis que le massif se desment, quand
nous voyons fendiller l'enduict, et la crouste de nos parois. Platon•
en ses loix, n'estime peste au monde plus dommageable à sa
cité, que de laisser prendre liberté à la ieunesse, de changer en
accoustrements, en gestes, en danses, en exercices et en chansons,
d'vne forme à vne autre: remuant son iugement, tantost en cette
assiette, tantost en cette la: courant apres les nouuelletez, honorant1
leurs inuenteurs: par où les mœurs se corrompent, et les anciennes
institutions, viennent à desdein et à mesprix. En toutes
choses, sauf simplement aux mauuaises, la mutation est à craindre:
la mutation des saisons, des vents, des viures, des humeurs. Et
nulles loix ne sont en leur vray credit, que celles ausquelles Dieu•
a donné quelque ancienne durée: de mode, que personne ne sçache
leur naissance, ny qu'elles ayent iamais esté autres.
inclination y sert de loy. Quicquid principes faciunt, præcipere videntur.
Le reste de la France prend pour regle la regle de la Cour.•
Qu'ils se desplaisent de cette vilaine chaussure, qui montre si à
descouuert nos membres occultes: ce lourd grossissement de pourpoins,
qui nous faict tous autres que nous ne sommes, si incommode
à s'armer: ces longues tresses de poil effeminees: cet vsage
de baiser ce que nous presentons à nos compaignons, et nos mains3
en les saluant: ceremonie deuë autresfois aux seuls Princes: et
qu'vn Gentil-homme se trouue en lieu de respect, sans espée à son
costé, tout esbraillé, et destaché, comme s'il venoit de la garde-robbe:
et que contre la forme de nos peres, et la particuliere liberté
de la Noblesse de ce Royaume, nous nous tenons descouuerts•
bien loing autour d'eux, en quelque lieu qu'ils soyent: et comme
autour d'eux, autour de cent autres; tant nous auons de tiercelets
et quartelets de Roys: et ainsi d'autres pareilles introductions
nouuelles et vitieuses: elles se verront incontinent esuanouyes et
descriées. Ce sont erreurs superficielles, mais pourtant de mauuais
prognostique: et sommes aduertis que le massif se desment, quand
nous voyons fendiller l'enduict, et la crouste de nos parois. Platon•
en ses loix, n'estime peste au monde plus dommageable à sa
cité, que de laisser prendre liberté à la ieunesse, de changer en
accoustrements, en gestes, en danses, en exercices et en chansons,
d'vne forme à vne autre: remuant son iugement, tantost en cette
assiette, tantost en cette la: courant apres les nouuelletez, honorant1
leurs inuenteurs: par où les mœurs se corrompent, et les anciennes
institutions, viennent à desdein et à mesprix. En toutes
choses, sauf simplement aux mauuaises, la mutation est à craindre:
la mutation des saisons, des vents, des viures, des humeurs. Et
nulles loix ne sont en leur vray credit, que celles ausquelles Dieu•
a donné quelque ancienne durée: de mode, que personne ne sçache
leur naissance, ny qu'elles ayent iamais esté autres.
CHAPITRE XLIIII. (TRADUCTION LIV. I, CH. XLIV.)
Du dormir.
LA raison nous ordonne bien d'aller tousiours mesme chemin, mais
non toutesfois mesme train. Et ores que le sage ne doiue donner
aux passions humaines, de se fouruoyer de la droicte carriere,2
il peut bien sans interest de son deuoir, leur quitter aussi, d'en
haster ou retarder son pas, et ne se planter comme vn colosse immobile
et impassible. Quand la vertu mesme seroit incarnée, ie
croy que le poux luy battroit plus fort allant à l'assaut, qu'allant
disner: voire il est necessaire qu'elle s'eschauffe et s'esmeuue. A•
cette cause i'ay remarqué pour chose rare, de voir quelquefois les
grands personnages, aux plus hautes entreprinses et importans affaires,
se tenir si entiers en leur assiette, que de n'en accourcir pas
seulement leur sommeil. Alexandre le grand, le iour assigné à
cette furieuse bataille contre Darius, dormit si profondement, et si
haute matinée, que Parmenion fut contraint d'entrer en sa chambre,
et approchant de son lict, l'appeler deux ou trois fois par son•
nom, pour l'esueiller, le temps d'aller au combat le pressant. L'Empereur
Othon ayant resolu de se tuer, cette mesme nuit, apres auoir
mis ordre à ses affaires domestiques, partagé son argent à ses seruiteurs,
et affilé le tranchant d'vne espée dequoy il se vouloit
donner, n'attendant plus qu'à sçauoir si chacun de ses amis s'estoit1
retiré en seureté, se print si profondement à dormir, que ses valets
de chambre l'entendoient ronfler. La mort de cet Empereur a beaucoup
de choses pareilles à celle du grand Caton, et mesmes cecy:
car Caton estant prest à se deffaire, cependant qu'il attendoit qu'on
luy rapportast nouuelles si les Senateurs qu'il faisoit retirer, s'estoient•
eslargis du port d'Vtique, se mit si fort à dormir, qu'on
l'oyoit souffler de la chambre voisine: et celuy qu'il auoit enuoyé
vers le port, l'ayant esueillé, pour luy dire que la tourmente empeschoit
les Senateurs de faire voile à leur aise, il y en renuoya
encore vn autre, et se r'enfonçant dans le lict, se remit encore à2
sommeiller, iusques à ce que ce dernier l'asseura de leur partement.
Encore auons nous dequoy le comparer au faict d'Alexandre,
en ce grand et dangereux orage, qui le menassoit, par la sedition
du Tribun Metellus, voulant publier le decret du rappel de Pompeius
dans la ville auecques son armée, lors de l'émotion de Catilina: auquel•
decret Caton seul insistoit, et en auoient eu Metellus et luy,
de grosses paroles et grandes menasses au Senat: mais c'estoit au
lendemain en la place, qu'il falloit venir à l'execution; où Metellus,
outre la faueur du peuple et de Cæsar conspirant lors aux aduantages
de Pompeius, se deuoit trouuer, accompagné de force esclaues3
estrangers, et escrimeurs à outrance, et Caton fortifié de sa seule
constance: de sorte que ses parens, ses domestiques, et beaucoup
de gens de bien, en estoyent en grand soucy: et en y eut qui passerent
la nuict ensemble, sans vouloir reposer, ny boire, ny manger,
pour le danger qu'ils luy voyoient preparé: mesme sa femme, et•
ses sœurs ne faisoyent que pleurer et se tourmenter en sa maison:
là où luy au contraire, reconfortoit tout le monde: et apres auoir
souppé comme de coustume, s'en alla coucher et dormir de fort
profond sommeil, iusques au matin, que l'vn de ses compagnons au
Tribunat, le vint esueiller pour aller à l'escarmouche. La connoissance,4
que nous auons de la grandeur de courage, de cet homme,
par le reste de sa vie, nous peut faire iuger en toute seureté, que
cecy luy partoit d'vne ame si loing esleuée au dessus de tels accidents,
qu'il n'en daignoit entrer en ceruelle, non plus que d'accidens
ordinaires. En la bataille nauale qu'Augustus gaigna contre
Sextus Pompeius en Sicile, sur le point d'aller au combat, il se
trouua pressé d'vn si profond sommeil, qu'il fallut que ses amis
l'esueillassent, pour donner le signe de la bataille. Cela donna occasion•
à M. Antonius de luy reprocher depuis, qu'il n'auoit pas eu
le cœur, seulement de regarder les yeux ouuerts, l'ordonnance de
son armée; et de n'auoir osé se presenter aux soldats, iusques à
ce qu'Agrippa luy vint annoncer la nouuelle de la victoire, qu'il
auoit eu sur ses ennemis. Mais quant au ieune Marius, qui fit encore1
pis (car le iour de sa derniere iournée contre Sylla, apres auoir
ordonné son armée, et donné le mot et signe de la bataille, il se
coucha dessoubs vn arbre à l'ombre, pour se reposer, et s'endormit
si serré, qu'à peine se peut-il esueiller de la route et fuitte de ses
gens, n'ayant rien veu du combat) ils disent que ce fut pour estre•
si extremement aggraué de trauail, et de faute de dormir, que nature
n'en pouuoit plus. Et à ce propos les medecins aduiseront si
le dormir est si necessaire, que nostre vie en dépende; car nous
trouuons bien, qu'on fit mourir le Roy Perseus de Macedoine prisonnier
à Rome, luy empeschant le sommeil, mais Pline en allegue,2
qui ont vescu long temps sans dormir. Chez Herodote, il y a des
nations, ausquelles les hommes dorment et veillent par demy années.
Et ceux qui escriuent la vie du sage Epimenides, disent qu'il
dormit cinquante sept ans de suitte.
non toutesfois mesme train. Et ores que le sage ne doiue donner
aux passions humaines, de se fouruoyer de la droicte carriere,2
il peut bien sans interest de son deuoir, leur quitter aussi, d'en
haster ou retarder son pas, et ne se planter comme vn colosse immobile
et impassible. Quand la vertu mesme seroit incarnée, ie
croy que le poux luy battroit plus fort allant à l'assaut, qu'allant
disner: voire il est necessaire qu'elle s'eschauffe et s'esmeuue. A•
cette cause i'ay remarqué pour chose rare, de voir quelquefois les
grands personnages, aux plus hautes entreprinses et importans affaires,
se tenir si entiers en leur assiette, que de n'en accourcir pas
seulement leur sommeil. Alexandre le grand, le iour assigné à
cette furieuse bataille contre Darius, dormit si profondement, et si
haute matinée, que Parmenion fut contraint d'entrer en sa chambre,
et approchant de son lict, l'appeler deux ou trois fois par son•
nom, pour l'esueiller, le temps d'aller au combat le pressant. L'Empereur
Othon ayant resolu de se tuer, cette mesme nuit, apres auoir
mis ordre à ses affaires domestiques, partagé son argent à ses seruiteurs,
et affilé le tranchant d'vne espée dequoy il se vouloit
donner, n'attendant plus qu'à sçauoir si chacun de ses amis s'estoit1
retiré en seureté, se print si profondement à dormir, que ses valets
de chambre l'entendoient ronfler. La mort de cet Empereur a beaucoup
de choses pareilles à celle du grand Caton, et mesmes cecy:
car Caton estant prest à se deffaire, cependant qu'il attendoit qu'on
luy rapportast nouuelles si les Senateurs qu'il faisoit retirer, s'estoient•
eslargis du port d'Vtique, se mit si fort à dormir, qu'on
l'oyoit souffler de la chambre voisine: et celuy qu'il auoit enuoyé
vers le port, l'ayant esueillé, pour luy dire que la tourmente empeschoit
les Senateurs de faire voile à leur aise, il y en renuoya
encore vn autre, et se r'enfonçant dans le lict, se remit encore à2
sommeiller, iusques à ce que ce dernier l'asseura de leur partement.
Encore auons nous dequoy le comparer au faict d'Alexandre,
en ce grand et dangereux orage, qui le menassoit, par la sedition
du Tribun Metellus, voulant publier le decret du rappel de Pompeius
dans la ville auecques son armée, lors de l'émotion de Catilina: auquel•
decret Caton seul insistoit, et en auoient eu Metellus et luy,
de grosses paroles et grandes menasses au Senat: mais c'estoit au
lendemain en la place, qu'il falloit venir à l'execution; où Metellus,
outre la faueur du peuple et de Cæsar conspirant lors aux aduantages
de Pompeius, se deuoit trouuer, accompagné de force esclaues3
estrangers, et escrimeurs à outrance, et Caton fortifié de sa seule
constance: de sorte que ses parens, ses domestiques, et beaucoup
de gens de bien, en estoyent en grand soucy: et en y eut qui passerent
la nuict ensemble, sans vouloir reposer, ny boire, ny manger,
pour le danger qu'ils luy voyoient preparé: mesme sa femme, et•
ses sœurs ne faisoyent que pleurer et se tourmenter en sa maison:
là où luy au contraire, reconfortoit tout le monde: et apres auoir
souppé comme de coustume, s'en alla coucher et dormir de fort
profond sommeil, iusques au matin, que l'vn de ses compagnons au
Tribunat, le vint esueiller pour aller à l'escarmouche. La connoissance,4
que nous auons de la grandeur de courage, de cet homme,
par le reste de sa vie, nous peut faire iuger en toute seureté, que
cecy luy partoit d'vne ame si loing esleuée au dessus de tels accidents,
qu'il n'en daignoit entrer en ceruelle, non plus que d'accidens
ordinaires. En la bataille nauale qu'Augustus gaigna contre
Sextus Pompeius en Sicile, sur le point d'aller au combat, il se
trouua pressé d'vn si profond sommeil, qu'il fallut que ses amis
l'esueillassent, pour donner le signe de la bataille. Cela donna occasion•
à M. Antonius de luy reprocher depuis, qu'il n'auoit pas eu
le cœur, seulement de regarder les yeux ouuerts, l'ordonnance de
son armée; et de n'auoir osé se presenter aux soldats, iusques à
ce qu'Agrippa luy vint annoncer la nouuelle de la victoire, qu'il
auoit eu sur ses ennemis. Mais quant au ieune Marius, qui fit encore1
pis (car le iour de sa derniere iournée contre Sylla, apres auoir
ordonné son armée, et donné le mot et signe de la bataille, il se
coucha dessoubs vn arbre à l'ombre, pour se reposer, et s'endormit
si serré, qu'à peine se peut-il esueiller de la route et fuitte de ses
gens, n'ayant rien veu du combat) ils disent que ce fut pour estre•
si extremement aggraué de trauail, et de faute de dormir, que nature
n'en pouuoit plus. Et à ce propos les medecins aduiseront si
le dormir est si necessaire, que nostre vie en dépende; car nous
trouuons bien, qu'on fit mourir le Roy Perseus de Macedoine prisonnier
à Rome, luy empeschant le sommeil, mais Pline en allegue,2
qui ont vescu long temps sans dormir. Chez Herodote, il y a des
nations, ausquelles les hommes dorment et veillent par demy années.
Et ceux qui escriuent la vie du sage Epimenides, disent qu'il
dormit cinquante sept ans de suitte.