Essais de Montaigne (self-édition) - Volume I
Ie ne demonte pas volontiers quand ie suis à cheual: car c'est
l'assiette, en laquelle ie me trouue le mieux et sain et malade. Platon
la recommande pour la santé: aussi dit Pline qu'elle est salutaire
à l'estomach et aux iointures. Poursuiuons donc, puis que
nous y sommes.   On lit en Xenophon la loy deffendant de voyager
à pied, à homme qui eust cheual. Trogus et Iustinus disent que les
Parthes auoient accoustumé de faire à cheual, non seulement la
guerre, mais aussi tous leurs affaires publiques et priuez, marchander,2
parlementer, s'entretenir, et se promener: et que la plus notable
difference des libres, et des serfs parmy eux, c'est que les vns
vont à cheual, les autres à pied: institution née du Roy Cyrus.
Il y a plusieurs exemples en l'histoire Romaine, et Suetone le
remarque plus particulierement de Cæsar, des Capitaines qui commandoient
à leurs gens de cheual de mettre pied à terre, quand ils
se trouuoient pressez de l'occasion, pour oster aux soldats toute
esperance de fuite, et pour l'aduantage qu'ils esperoient en cette
sorte de combat: quo, haud dubiè, superat Romanus, dit Tite Liue. Si
est-il, que la premiere prouision, dequoy ils se seruoient à brider la3
rebellion des peuples de nouuelle conqueste, c'estoit leur oster
armes et cheuaux. Pourtant voyons nous si souuent en Cæsar: arma
proferri, iumenta produci, obsides dari iubet. Le grand Seigneur ne
permet auiourd'huy ny à Chrestien, ny à Iuif, d'auoir cheual à soy,
sous son empire.   Noz ancestres, et notamment du temps de la
guerre des Anglois, és combats solennels et iournées assignées, se
mettoient la plus part du temps tous à pied, pour ne se fier à autre
chose qu'à leur force propre, et vigueur de leur courage, et de leurs
membres, de chose si chere que l'honneur et la vie. Vous engagez,
quoy qu'en die Chrysanthes en Xenophon, vostre valeur et vostre
fortune, à celle de vostre cheual, ses playes et sa mort tirent la
vostre en consequence, son effray ou sa fougue vous rendent ou temeraire
ou lasche: s'il a faute de bouche ou d'esperon, c'est à vostre
honneur à en respondre. A cette cause ie ne trouue pas estrange,
que ces combats là fussent plus fermes, et plus furieux que ceux1
qui se font à cheual,

cædebant paritér, paritérque ruebant
Victores victique, neque his fuga nota, neque illis.

Leurs battailles se voyent bien mieux contestées: ce ne sont à cette
heure que routes: primus clamor atque impetus rem decernit.   Et
chose que nous appellons à la societé d'vn si grand hazard, doit
estre en nostre puissance le plus qu'il se peut. Comme ie conseilleroy
de choisir les armes les plus courtes, et celles dequoy nous
nous pouuons le mieux respondre. Il est bien plus apparent de s'asseurer
d'vne espée que nous tenons au poing, que du boulet qui2
eschappe de nostre pistole, en laquelle il y a plusieurs pieces, la
poudre, la pierre, le rouët, desquelles la moindre qui vienne à faillir,
vous fera faillir vostre fortune. On assene peu seurement le
coup, que l'air vous conduict,

Et, quò ferre velint, permittere vulnera ventis:
Ensis habet vires, et gens quæcunque virorum est,
Bella gerit gladiis.
Mais quant à cett'arme-là, i'en parleray plus amplement, où ie
feray comparaison des armes anciennes aux nostres: et sauf l'estonnement
des oreilles, à quoy desormais chacun est appriuoisé, ie3
croy que c'est vn' arme de fort peu d'effect, et espere que nous en
quitterons vn iour l'vsage. Celle dequoy les Italiens se seruoient de
iet, et à feu, estoit plus effroyable. Ils nommoient Phalarica, vne
certaine espece de iaueline, armée par le bout, d'vn fer de trois
pieds, affin qu'il peust percer d'outre en outre vn homme armé:
et se lançoit tantost de la main, en la campagne, tantost à tout des
engins pour deffendre les lieux assiegez: la hante reuestue d'estouppe
empoixée et huilée, s'enflammoit de sa course: et s'attachant
au corps, ou au bouclier, ostoit tout vsage d'armes et de membres.
Toutesfois il me semble que pour venir au ioindre, elle portast4
aussi empeschement à l'assaillant, et que le champ ionché de ces
tronçons bruslants, produisist en la meslée vne commune incommodité.

Magnum stridens contorta Phalarica venit,
Fulminis acta modo.
Ils auoyent d'autres moyens, à quoy l'vsage les dressoit, et qui
nous semblent incroyables par inexperience: par où ils suppleoyent
au deffaut de nostre poudre et de noz boulets. Ils dardoyent leurs
piles, de telle roideur, que souuent ils en enfiloyent deux boucliers
et deux hommes armés, et les cousoyent. Les coups de leurs fondes1
n'estoient pas moins certains et loingtains: saxis globosis funda,
mare apertum incessentes: coronas modici circuli, magno ex interuallo
loci, assueti traijcere: non capita modó hostium vulnerabant, sed quem
locum destinassent. Leurs pieces de batterie representoient, comme
l'effect, aussi le tintamarre des nostres: ad ictus mænium cum terribili
sonitu editos, pauor et trepidatio cæpit. Les Gaulois noz cousins
en Asie, haïssoyent ces armes traistresses, et volantes: duits à
combattre main à main auec plus de courage. Non tam patentibus
plagis mouentur, vbi latior quàm altior plaga est, etiam gloriosius se
pugnare putant: ijdem quum aculeus sagittæ aut glandis abditæ introrsus2
tenui vulnere in speciem vrit: tum, in rabiem et pudorem tam
paruæ perimentis pestis versi, prosternunt corpora humi. Peinture
bien voisine d'vne arquebusade. Les dix mille Grecs, en leur longue
et fameuse retraitte, rencontrerent vne nation, qui les endommagea
merueilleusement à coups de grands arcs et forts, et des sagettes
si longues, qu'à les reprendre à la main on les pouuoit reietter à
la mode d'vn dard, et perçoient de part en part vn bouclier et vn
homme armé. Les engeins que Dionysius inuenta à Syracuse, à tirer
des gros traits massifs, et des pierres d'horrible grandeur, d'vne si
longue volée et impetuosité, representoient de bien pres nos inuentions.3
   Encore ne faut-il pas oublier la plaisante assiette qu'auoit
sur sa mule vn maistre Pierre Pol Docteur en Theologie, que Monstrelet
recite auoir accoustumé se promener par la ville de Paris,
assis de costé comme les femmes. Il dit aussi ailleurs, que les Gascons
auoient des cheuaux terribles, accoustumez de virer en courant,
dequoy les François, Picards, Flamands, et Brabançons, faisoyent
grand miracle, pour n'auoir accoustumé de les voir: ce sont
ses mots. Cæsar parlant de ceux de Suede: Aux rencontres qui se
font à cheual, dit-il, ils se iettent souuent à terre pour combattre à
pied, ayant accoustumé leurs cheuaux de ne bouger ce pendant de
la place, ausquels ils recourent promptement, s'il en est besoin, et
selon leur coustume, il n'est rien si vilain et si lasche que d'vser
de selles et bardelles, et mesprisent ceux qui en vsent: de maniere
que fort peu en nombre, ils ne craignent pas d'en assaillir plusieurs.1
Ce que i'ay admiré autresfois, de voir vn cheual dressé à se manier
à toutes mains, auec vne baguette, la bride auallée sur ses
oreilles, estoit ordinaire aux Massiliens, qui se seruoient de leurs
cheuaux sans selle et sans bride.

Et gens, quæ nudo residens Massilia dorso,
Ora leui flectit, frænorum nescia, virga.

Et Numidæ infræni cingunt.

Equi sine frænis, deformis ipse cursus, rigida ceruice et extento capite
currentium.   Le Roy Alphonce, celuy qui dressa en Espaigne
l'ordre des Cheualiers de la Bande, ou de l'Escharpe, leur donna2
entre autres regles, de ne monter ny mule ny mulet, sur peine d'vn
marc d'argent d'amende: comme ie viens d'apprendre dans les lettres
de Gueuara, desquelles ceux qui les ont appellées Dorées, faisoient
iugement bien autre que celuy que i'en fay. Le Courtisan dit,
qu'auant son temps c'estoit reproche à vn Gentilhomme d'en cheuaucher.
Les Abyssins au rebours: à mesure qu'ils sont les plus
aduancez pres le Pretteian leur Prince, affectent pour la dignité et
pompe, de monter des grandes mules. Xenophon recite que les
Assyriens tenoient tousiours leurs cheuaux entrauez au logis, tant
ils estoient fascheux et farouches: et qu'il falloit tant de temps à3
les destacher et harnacher, que, pour que cette longueur ne leur
apportast dommage s'ils venoient à estre en desordre surprins par
les ennemis, ils ne logeoient iamais en camp, qui ne fust fossoyé et
remparé. Son Cyrus, si grand maistre au faict de cheualerie, mettoit
les cheuaux de son escot: et ne leur faisoit bailler à manger,
qu'ils ne l'eussent gaigné par la sueur de quelque exercice.   Les
Scythes, où la necessité les pressoit en la guerre, tiroient du sang
de leurs cheuaux, et s'en abbreuuoient et nourrissoient,

Venit et epoto Sarmata pastus equo.

Ceux de Crotte assiegez par Metellus, se trouuerent en telle disette
de tout autre breuuage, qu'ils eurent à se seruir de l'vrine de leurs
chenaux. Pour verifier, combien les armées Turquesques se conduisent
et maintiennent à meilleure raison, que les nostres: ils disent,
qu'outre ce que les soldats ne boiuent que de l'eau, et ne mangent
que riz et de la chair salée mise en poudre, dequoy chacun porte
aisément sur soy prouision pour vn moys, ils sçauent aussi viure
du sang de leurs cheuaux, comme les Tartares et Moscouites, et le
salent.   Ces nouueaux peuples des Indes, quand les Espagnols y1
arriuerent, estimerent tant des hommes que des cheuaux, que ce
fussent, ou Dieux ou animaux, en noblesse au dessus de leur nature.
Aucuns apres auoir esté vaincus, venans demander paix et
pardon aux hommes, et leur apporter de l'or et des viandes, ne faillirent
d'en aller autant offrir aux cheuaux, auec vne toute pareille
harangue à celle des hommes, prenans leur hannissement, pour langage
de composition et de trefue.   Aux Indes de deçà, c'estoit anciennement
le principal et royal honneur de cheuaucher vn elephant,
le second d'aller en coche, trainé à quatre cheuaux, le tiers de
monter vn chameau, le dernier et plus vil degré, d'estre porté ou2
charrié par vn cheual seul. Quelcun de nostre temps, escrit auoir
veu en ce climat là, des païs, où on cheuauche les bœufs, auec bastines,
estriers et brides, et s'estre bien trouué de leur porture.
Quintus Fabius Maximus Rutilianus, contre les Samnites, voyant
que ses gents de cheual à trois ou quatre charges auoient failly
d'enfoncer le bataillon des ennemis, print ce conseil: qu'ils debridassent
leurs cheuaux, et brochassent à toute force des esperons:
si que rien ne les pouuant arrester, au trauers des armes et des
hommes renuersez, ils ouurirent le pas à leurs gens de pied, qui
parfirent vne tres-sanglante deffaitte. Autant en commanda Quintus3
Fuluius Flaccus, contre les Celtiberiens: Id cum maiore vi equorum
facietis, si effrænatos in hostes equos immittitis: quod sæpe Romanos
equites cum laude fecisse sua, memoriæ proditum est. Detractisque
frænis bis vltrò citróque cum magna strage hostium, infractis omnibus
hastis, transcurrerunt.   Le Duc de Moscouie deuoit anciennement
cette reuerence aux Tartares, quand ils enuoioyent vers luy des Ambassadeurs,
qu'il leur alloit au deuant à pied, et leur presentoit vn
gobeau de lait de iument, breuuage qui leur est en delices, et si en
beuuant quelque goutte en tomboit sur le crin de leurs cheuaux, il
estoit tenu de la lecher auec la langue. En Russie, l'armée que l'Empereur
Baiazet y auoit enuoyée, fut accablée d'vn si horrible rauage
de neiges, que pour s'en mettre à couuert, et sauuer du froid, plusieurs
s'aduiserent de tuer et euentrer leurs cheuaux, pour se getter
dedans, et iouyr de cette chaleur vitale. Baiazet apres cest aspre
estour où il fut rompu par Tamburlan, se sauuoit belle erre sur vne
jument Arabesque, s'il n'eust esté contrainct de la laisser boire son
saoul, au passage d'vn ruisseau: ce qui la rendit si flacque et refroidie,1
qu'il fut bien aisément apres acconsuiuy par ceux qui le
poursuiuoyent. On dit bien qu'on les lasche, les laissant pisser:
mais le boire, i'eusse plustost estimé qu'il l'eust renforcée.   Crœsus
passant le long de la ville de Sardis, y trouua des pastis, où il y
auoit grande quantité de serpents, desquels les cheuaux de son armée
mangeoient de bon appetit: qui fut vn mauuais prodige à ses affaires,
dit Herodote.   Nous appellons vn cheual entier qui a crin
et oreille, et ne passent les autres à la montre. Les Lacedemoniens
ayant desfait les Atheniens, en la Sicile, retournans de la victoire
en pompe en la ville de Syracuse, entre autres brauades, firent tondre2
les cheuaux vaincus, et les menerent ainsin en triomphe.
Alexandre combatit vne nation, Dahas, ils alloyent deux à deux armez
à cheual à la guerre, mais en la meslée l'vn descendoit à terre,
et combatoient ore à pied, ore à cheual, l'vn apres l'autre.   Ie
n'estime point, qu'en suffisance, et en grace à cheual, nulle nation
nous emporte. Bon homme de cheual, à l'vsage de nostre parler,
semble plus regarder au courage qu'à l'addresse. Le plus sçauant,
le plus seur, le mieux aduenant à mener vn cheual à raison, que
i'aye cognu, fut à mon gré Monsieur de Carneualet, qui en seruoit
nostre Roy Henry second. I'ay veu homme donner carriere à deux3
pieds sur sa selle, demonter sa selle, et au retour la releuer, reaccommoder,
et s'y rasseoir, fuyant tousiours à bride auallée: ayant
passé par dessus vn bonnet, y tirer par derriere de bons coups de
son arc: amasser ce qu'il vouloit, se iettant d'vn pied à terre, tenant
l'autre en l'estrier; et autres pareilles singeries, dequoy il
viuoit.   On a veu de mon temps à Constantinople, deux hommes
sur vn cheual, lesquels en sa plus roide course, se reiettoyent à
tours, à terre, et puis sur la selle, Et vn, qui seulement des dents,
bridoit et harnachoit son cheual. Vn autre, qui entre deux cheuaux,
vn pied sur vne selle, l'autre sur l'autre, portant vn second sur ses
bras, piquoit à toute bride: ce second tout debout, sur luy, tirant
en la course, des coups bien certains de son arc. Plusieurs, qui les
iambes contre-mont, donnoient carriere, la teste plantee sur leurs
selles, entre les pointes des simeterres attachez au harnois. En mon
enfance le Prince de Sulmone à Naples, maniant vn rude cheual, de
toute sorte de maniemens, tenoit soubz ses genouz et soubs ses orteils
des reales: comme si elles y eussent esté clouées: pour montrer
la fermeté de son assiette.

CHAPITRE XLIX.    (TRADUCTION LIV. I, CH. XLIX.)
Des coustumes anciennes.

I'EXCVSEROIS volontiers en nostre peuple de n'auoir autre patron et1
regle de perfection, que ses propres meurs et vsances: car c'est
vn commun vice, non du vulgaire seulement, mais quasi de tous
hommes, d'auoir leur visée et leur arrest, sur le train auquel ils
sont nais. Ie suis content, quand il verra Fabritius ou Lælius, qu'il
leur trouue la contenance et le port barbare, puis qu'ils ne sont ni
vestus ny façonnez à nostre mode. Mais ie me plains de sa particuliere
indiscretion, de se laisser si fort piper et aueugler à l'authorité
de l'vsage present, qu'il soit capable de changer d'opinion et d'aduis
tous les mois, s'il plaist à la coustume: et qu'il iuge si diuersement
de soy-mesme. Quand il portoit le busc de son pourpoint entre2
les mammelles, il maintenoit par viues raisons qu'il estoit en son
vray lieu: quelques années apres le voyla aualé iusques entre les
cuisses, il se moque de son autre vsage, le trouue inepte et insupportable.
La façon de se vestir presente, luy fait incontinent condamner
l'ancienne, d'vne resolution si grande, et d'vn consentement
si vniuersel, que vous diriez que c'est quelque espece de manie, qui
luy tourneboule ainsi l'entendement. Par ce que nostre changement
est si subit et si prompt en cela, que l'inuention de tous les tailleurs
du monde ne sçauroit fournir assez de nouuelletez, il est force
que bien souuent les formes mesprisées reuiennent en credit, et
celles là mesmes tombent en mespris tantost apres; et qu'vn mesme
iugement prenne en l'espace de quinze ou vingt ans, deux ou trois,
non diuerses seulement, mais contraires opinions, d'vne inconstance
et legereté incroyable. Il n'y a si fin entre nous, qui ne se laisse
embabouiner de cette contradiction, et esbloüyr tant les yeux internes,
que les externes insensiblement.   Ie veux icy entasser aucunes
façons anciennes, que i'ay en memoire: les vnes de mesme
les nostres, les autres differentes: à fin qu'ayant en l'imagination1
cette continuelle variation des choses humaines, nous en ayons le
iugement plus esclaircy et plus ferme.   Ce que nous disons de
combatre à l'espée et la cape, il s'vsoit encores entre les Romains,
ce dit Cæsar, sinistras sagis inuoluunt, gladiósque distringunt. Et remarque
dés lors en nostre nation ce vice, qui y est encore d'arrester
les passans que nous rencontrons en chemin, et de les forcer de
nous dire qui ils sont, et de receuoir à iniure et occasion de querelle,
s'ils refusent de nous respondre.   Aux bains que les anciens
prenoyent tous les iours auant le repas; et les prenoyent aussi ordinairement
que nous faisons de l'eau à lauer les mains, ils ne se2
lauoyent du commencement que les bras et les iambes, mais depuis,
et d'vne coustume qui a duré plusieurs siecles et en la plus part des
nations du monde, ils se lauoyent tous nudz, d'eau mixtionnée et
perfumée: de maniere, qu'ils tenoient pour tesmoignage de grande
simplicité de se lauer d'eau simple. Les plus affetez et delicatz se
perfumoyent tout le corps bien trois ou quatre fois par iour. Ils se
faisoyent souuent pinceter tout le poil, comme les femmes Françoises
ont pris en vsage depuis quelque temps, de faire leur front,

Quod pectus, quod crura tibi, quod brachia vellis,

quoy qu'ils eussent des oignemens propres à cela.3

Psilothro nitet, aut acida latet abdita creta.

Ils aymoient à se coucher mollement, et alleguent pour preuue de
patience, de coucher sur le matelats. Ils mangeoyent couchez sur
des lits, à peu pres en mesme assiette que les Turcs de nostre
temps.

Inde toro pater Æneas sic orsus ab alto.

Et dit on du ieune Caton que depuis la bataille de Pharsale, estant
entré en dueil du mauuais estat des affaires publiques, il mangea
tousiours assis, prenant vn train de vie austere.   Ils baisoyent les
mains aux grands pour les honnorer et caresser. Et entre les amis,
ils s'entrebaisoyent en se saluant, comme font les Venitiens.

Gratatúsque darem cum dulcibus oscula verbis.

Et touchoyent aux genoux, pour requerir et saluer vn grand. Pasiclez
le Philosophe, frere de Crates, au lieu de porter la main au
genouil, la porta aux genitoires. Celuy à qui il s'addressoit, l'ayant
rudement repoussé, Comment, dit-il, cette partie n'est elle pas
vostre, aussi bien que l'autre? Ils mangeoyent comme nous, le fruict
à l'yssue de la table.   Ils se torchoyent le cul (il faut laisser aux
femmes cette vaine superstition des parolles) auec vne esponge:1
voyla pourquoy spongia est vn mot obscœne en Latin: et estoit cette
esponge attachée au bout d'vn baston: comme tesmoigne l'histoire
de celuy qu'on menoit pour estre presenté aux bestes, deuant
le peuple, qui demanda congé d'aller à ses affaires, et n'ayant autre
moyen de se tuer, il se fourra ce baston et esponge dans le gosier,
et s'en estouffa. Ils s'essuyoient le catze de laine perfumée, quand
ils en auoyent faict,

At tibi nil faciam, sed lota mentula lana.

Il y auoit aux carrefours à Rome, des vaisseaux et demy-cuues,
pour y apprester à pisser aux passans:2

Pusi sæpe lacum propter se ac dolia curta,
Somno deuincti, credunt extollere vestem.
Ils faisoyent collation entre les repas. Et y auoit en esté, des
vendeurs de nege pour refréchir le vin: et en y auoit qui se seruoyent
de nege en hyuer, ne trouuans pas le vin encore lors assez
froid. Les grands auoyent leurs eschançons et trenchans; et leurs
fols, pour leur donner du plaisir. On leur seruoit en hyuer la viande
sur les fouyers qui se portoyent sur la table: et auoyent des cuysines
portatiues, comme i'en ay veu, dans lesquelles tout leur seruice
se trainoit apres eux.3

Has vobis epulas habete lauti,
Nos offendimur ambulante cœna.
Et en esté ils faisoyent souuent en leurs sales basses, couler de
l'eau fresche et claire, dans des canaux au dessous d'eux, où il y
auoit force poisson en vie, que les assistans choisissoyent et prenoyent
en la main, pour le faire aprester, chacun à sa poste. Le
poisson a tousiours eu ce priuilege, comme il a encores, que les
grans se meslent de le sçauoir apprester: aussi en est le goust
beaucoup plus exquis, que de la chair, aumoins pour moy.   Mais
en toute sorte de magnificence, desbauche, et d'inuentions voluptueuses,4
de mollesse et de sumptuosité, nous faisons à la verité
ce que nous pouuons pour les égaler: car nostre volonté est bien
aussi gastée que la leur, mais nostre suffisance n'y peut arriuer:
nos forces ne sont non plus capables de les ioindre, en ces parties
là vitieuses, qu'aux vertueuses: car les vnes et les autres partent
d'vne vigueur d'esprit, qui estoit sans comparaison plus grande en
eux qu'en nous. Et les ames à mesure qu'elles sont moins fortes,
elles ont d'autant moins de moyen de faire ny fort bien, ny fort
mal.   Le haut bout d'entre eux, c'estoit le milieu. Le deuant et
derriere n'auoient en escriuant et parlant aucune signification de
grandeur, comme il se voit euidemment par leurs escris: ils diront
Oppius et Cæsar, aussi volontiers que Cæsar et Oppius: et diront
moy et toy indifferemment, comme toy et moy. Voyla pourquoy i'ay
autrefois remarqué en la vie de Flaminius de Plutarque François,
vn endroit, où il semble que l'autheur parlant de la ialousie de
gloire, qui estoit entre les Ætoliens et les Romains, pour le gain1
d'vne bataille qu'ils auoyent obtenu en commun, face quelque poix
de ce qu'aux chansons Grecques, on nommoit les Ætoliens auant
les Romains, s'il n'y a de l'amphibologie aux mots François.   Les
Dames estans aux estuues, y receuoyent quant et quant des hommes,
et se seruoyent là mesme de leurs valets à les frotter et oindre.

Inguina succinctus nigra tibi seruus aluta
Stat, quoties calidis nuda fouêris aquis.

Elles se saupoudroyent de quelque poudre, pour reprimer les sueurs.
Les anciens Gaulois, dit Sidonius Apollinaris, portoyent le poil
long par le deuant, et le derriere de la teste tondu, qui est cette2
façon qui vient à estre renouuellée par l'vsage effeminé et lasche
de ce siecle.   Les Romains payoient ce qui estoit deu aux bateliers,
pour leur naulage dez l'entrée du bateau, ce que nous faisons
apres estre rendus à port.

Dum as exigitur, dum mula ligatur,
Tota abit hora.
Les femmes couchoyent au lict du costé de la ruelle: voyla pourquoy
on appelloit Cæsar, spondam Regis Nicomedis.   Ils prenoyent
aleine en beuuant. Ils baptisoient le vin,

Quis puer ocius3
Restinguet ardentis falerni
Pocula prætereunte lympha?

Et ces champisses contenances de nos laquais y estoyent aussi.

O Iane! à tergo quem nulla ciconia pinsit,
Nec manus auriculas imitata est mobilis albas,
Nec linguæ quantum sitiet canis Apula tantum.
Les Dames Argiennes et Romaines portoyent le deuil blanc,
comme les nostres auoient accoustumé, et deuroient continuer de
faire, si i'en estois creu.   Mais il y a des liures entiers faits sur
cet argument.4

CHAPITRE L.    (TRADUCTION LIV. I, CH. L.)
De Democritus et Heraclitus.

LE iugement est vn vtil à tous subiects, et se mesle par tout. A
cette cause aux Essais que i'en fay icy, i'y employe toute sorte
d'occasion. Si c'est vn subiect que ie n'entende point, à cela mesme
ie l'essaye, sondant le gué de bien loing, et puis le trouuant trop
profond pour ma taille, ie me tiens à la riue. Et cette reconnoissance
de ne pouuoir passer outre, c'est vn traict de son effect, ouy
de ceux, dont il se vante le plus. Tantost à vn subiect vain et de
neant, i'essaye voir s'il trouuera dequoy luy donner corps, et dequoy
l'appuyer et l'estançonner. Tantost ie le promene à vn subiect
noble et tracassé, auquel il n'a rien à trouuer de soy, le chemin en1
estant si frayé, qu'il ne peut marcher que sur la piste d'autruy. Là
il fait son ieu à eslire la route qui luy semble la meilleure: et de
mille sentiers, il dit que cettuy-cy, ou celuy là, a esté le mieux
choisi. Ie prends de la fortune le premier argument: ils me sont
egalement bons: et ne desseigne iamais de les traicter entiers. Car
ie ne voy le tout de rien. Ne font pas, ceux qui nous promettent de
nous le faire veoir. De cent membres et visages, qu'à chasque chose
i'en prens vn, tantost à lecher seulement, tantost à effleurer: et
par fois à pincer iusqu'à l'os. I'y donne vne poincte, non pas le plus
largement, mais le plus profondement que ie sçay. Et aime plus2
souuent à les saisir par quelque lustre inusité. Ie me hazarderoy de
traitter à fons quelque matiere, si ie me connoissoy moins, et me
trompois en mon impuissance. Semant icy vn mot, icy vn autre,
eschantillons dépris de leur piece, escartez, sans dessein, sans promesse:
ie ne suis pas tenu d'en faire bon, ny de m'y tenir moy-mesme,
sans varier, quand il me plaist, et me rendre au doubte et
incertitude, et à ma maistresse forme, qui est l'ignorance.   Tout
mouuement nous descouure. Cette mesme ame de Cæsar, qui se fait
voir à ordonner et dresser la bataille de Pharsale, elle se fait aussi
voir à dresser des parties oysiues et amoureuses. On iuge vn cheual,
non seulement à le voir manier sur vne carriere, mais encore à
luy voir aller le pas, voire et à le voir en repos à l'estable.   Entre
les functions de l'ame, il en est de basses. Qui ne la void encor par
là, n'acheue pas de la connoistre. Et à l'aduenture la remarque lon
mieux où elle va son pas simple. Les vents des passions la prennent
plus en ses hautes assiettes, ioint qu'elle se couche entiere sur chasque
matiere et s'y exerce entiere; et n'en traitte iamais plus d'vne1
à la fois: et la traitte non selon elle, mais selon soy. Les choses à
part elles, ont peut estre leurs poids et mesures, et conditions: mais
au dedans, en nous, elle les leur taille comme elle l'entend. La
mort est effroyable à Cicero, desirable à Caton, indifferente à Socrates.
La santé, la conscience, l'authorité, la science, la richesse,
la beauté, et leurs contraires, se despouillent à l'entrée, et reçoiuent
de l'ame nouuelle vesture, et de la teinture qu'il luy plaist:
brune, claire, verte, obscure: aigre, douce, profonde, superficielle:
et qu'il plaist à chacune d'elles. Car elles n'ont pas verifié en
commun leurs stiles, regles et formes: chacune est Royne en son2
estat. Parquoy ne prenons plus excuse des externes qualitez des
choses: c'est à nous, à nous en rendre compte. Nostre bien et nostre
mal ne tient qu'à nous. Offrons y nos offrandes et nos vœus,
non pas à la fortune: elle ne peut rien sur nos mœurs: au rebours,
elles l'entrainent à leur suitte, et la moulent à leur forme. Pourquoy
ne iugeray-ie d'Alexandre à table deuisant et beuuant d'autant?
Ou s'il manioit des eschecs, quelle corde de son esprit, ne
touche et n'employe ce niais et puerile ieu? Ie le hay et fuy, de ce
qu'il n'est pas assez ieu, et qu'il nous esbat trop serieusement; ayant
honte d'y fournir l'attention qui suffiroit à quelque bonne chose.3
Il ne fut pas plus embesoigné à dresser son glorieux passage aux
Indes: ny cet autre à desnouër vn passage, duquel depend le salut
du genre humain. Voyez combien nostre ame trouble cet amusement
ridicule, si touts ses nerfs ne bandent. Combien amplement
elle donne loy à chacun en cela, de se connoistre, et iuger droittement
de soy. Ie ne me voy et retaste, plus vniuersellement, en nulle
autre posture. Quelle passion ne nous y exerce? la cholere, le despit,
la hayne, l'impatience: et vne vehemente ambition de vaincre,
en chose, en laquelle il seroit plus excusable d'estre ambitieux d'estre
vaincu. Car la precellence rare et au dessus du commun, messied
à vn homme d'honneur, en chose friuole. Ce que ie dy en cet
exemple, se peut dire en touts autres. Chasque parcelle, chasque1
occupation de l'homme, l'accuse, et le montre egalement qu'vn
autre.   Democritus et Heraclitus ont esté deux philosophes, desquels
le premier trouuant vaine et ridicule l'humaine condition, ne
sortoit en public, qu'auec vn vsage moqueur et riant: Heraclitus,
ayant pitié et compassion de cette mesme condition nostre, en portoit
le visage continuellement triste, et les yeux chargez de larmes.

Alter
Ridebat quoties à limine mouerat vnum
Protulerátque pedem, flebat contrarius alter.

I'ayme mieux la premiere humeur, non par ce qu'il est plus plaisant2
de rire que de pleurer: mais par ce qu'elle est plus desdaigneuse,
et qu'elle nous condamne plus que l'autre: et il me semble,
que nous ne pouuons iamais estre assez mesprisez selon nostre
merite. La plainte et la commiseration sont meslées à quelque estimation
de la chose qu'on plaint: les choses dequoy on se moque,
on les estime sans prix. Ie ne pense point qu'il y ait tant de malheur
en nous, comme il y a de vanité, ny tant de malice comme de
sotise: nous ne sommes pas si pleins de mal, comme d'inanité:
nous ne sommes pas si miserables, comme nous sommes vils. Ainsi
Diogenes, qui baguenaudoit apart soy, roulant son tonneau, et hochant3
du nez le grand Alexandre, nous estimant des mouches, ou
des vessies pleines de vent, estoit bien iuge plus aigre et plus poingnant,
et par consequent, plus iuste à mon humeur que Timon,
celuy qui fut surnommé le haisseur des hommes. Car ce qu'on hait,
on le prend à cœur. Cettuy-cy nous souhaitoit du mal, estoit passionné
du desir de nostre ruine, fuioit nostre conuersation comme
dangereuse, de meschans, et de nature deprauée: l'autre nous estimoit
si peu, que nous ne pourrions ny le troubler, ny l'alterer par
nostre contagion, nous laissoit de compagnie, non pour la crainte,
mais pour le desdain de nostre commerce: il ne nous estimoit capables4
ny de bien ny de mal faire.   De mesme marque fut la response
de Statilius, auquel Brutus parla pour le ioindre à la conspiration
contre Cæsar: il trouua l'entreprinse iuste, mais il ne
trouua pas les hommes dignes, pour lesquels on se mist aucunement
en peine: conformément à la discipline de Hegesias, qui disoit,
le sage ne deuoir rien faire que pour soy: d'autant que, seul
il est digne, pour qui on face. Et à celle de Theodorus, que c'est
iniustice, que le sage se hazarde pour le bien de son païs, et qu'il
mette en peril la sagesse pour des fols. Nostre propre condition est
autant ridicule, que risible.

CHAPITRE LI.    (TRADUCTION LIV. I, CH. LI.)
De la vanité des paroles.

VN rhetoricien du temps passé, disoit que son mestier estoit, de
choses petites les faire paroistre et trouuer grandes. C'est vn
cordonnier qui sçait faire de grands souliers à vn petit pied. On1
luy eust faict donner le fouët en Sparte, de faire profession d'vn' art
piperesse et mensongere: et croy qu'Archidamus qui en estoit Roy,
n'ouit pas sans estonnement la response de Thucydidez, auquel il
s'enqueroit, qui estoit plus fort à la luicte, ou Pericles ou luy:
Cela, fit-il, seroit mal-aysé à verifier: car quand ie l'ay porté par
terre en luictant, il persuade à ceux qui l'ont veu, qu'il n'est pas
tombé, et le gaigne. Ceux qui masquent et fardent les femmes,
font moins de mal: car c'est chose de peu de perte de ne les voir
pas en leur naturel: là où ceux-cy font estat de tromper, non pas
nos yeux, mais nostre iugement, et d'abastardir et corrompre l'essence2
des choses.   Les republiques qui se sont maintenuës en vn
estat reglé et bien policé, comme la Cretense ou Lacedemonienne,
elles n'ont pas faict grand compte d'orateurs. Ariston definit sagement
la rhetorique, science à persuader le peuple: Socrates, Platon,
art de tromper et de flatter. Et ceux qui le nient en la generale
description le verifient par tout, en leurs preceptes. Les Mahometans
en defendent l'instruction à leurs enfants, pour son inutilité.
Et les Atheniens, s'aperceuants combien son vsage, qui auoit tout
credit en leur ville, estoit pernicieux, ordonnerent, que sa principale
partie, qui est, esmouuoir les affections, fust ostée, ensemble3
les exordes et perorations. C'est vn vtil inuenté pour manier et
agiter vne tourbe, et vne commune desreglée: et est vtil qui ne
s'employe qu'aux Estats malades, comme la medecine. En ceux où
le vulgaire, où les ignorans, où tous ont tout peu, comme celuy
d'Athenes, de Rhodes, et de Rome, et où les choses ont esté en
perpetuelle tempeste, là ont afflué les orateurs. Et à la verité, il se
void peu de personnages en ces republiques là, qui se soient poussez
en grand credit sans le secours de l'eloquence: Pompeius, Cæsar,
Crassus, Lucullus, Lentulus, Metellus, ont pris de là, leur grand
appuy à se monter à cette grandeur d'authorité, où ils sont en fin
arriuez: et s'en sont aydez plus que des armes, contre l'opinion des
meilleurs temps. Car L. Volumnius parlant en public en faueur de1
l'election au Consulat, faitte des personnes de Q. Fabius et P. Decius:
Ce sont gents nays à la guerre, grands aux effects: au combat
du babil, rudes: esprits vrayement consulaires. Les subtils,
eloquents et sçauants, sont bons pour la ville, Preteurs à faire iustice,
dit-il. L'eloquence a fleury le plus à Rome lors que les affaires
ont esté en plus mauuais estat, et que l'orage des guerres ciuiles
les agitoit; comme vn champ libre et indompté porte les herbes plus
gaillardes. Il semble par là que les polices, qui dépendent d'vn
Monarque, en ont moins de besoin que les autres: car la bestise et
facilité, qui se trouue en la commune, et qui la rend subiecte à estre2
maniée et contournée par les oreilles, au doux son de cette harmonie,
sans venir à poiser et connoistre la verité des choses par la
force de raison; cette facilité, dis-ie, ne se trouue pas si aisément
en vn seul, et est plus aisé de le garentir par bonne institution et
bon conseil, de l'impression de cette poison. On n'a pas veu sortir
de Macedoine ny de Perse, aucun orateur de renom.   I'en ay dit
ce mot, sur le subiect d'vn Italien, que ie vien d'entretenir, qui a
seruy le feu Cardinal Caraffe de maistre d'hostel iusques à sa mort.
Ie luy faisoy compter de sa charge. Il m'a fait vn discours de cette
science de gueule, auec vne grauité et contenance magistrale, comme3
s'il m'eust parlé de quelque grand poinct de theologie. Il m'a dechifré
vne difference d'appetits: celuy qu'on a à ieun, qu'on a apres
le second et tiers seruice: les moyens tantost de luy plaire simplement,
tantost de l'eueiller et picquer: la police de ses sauces; premierement
en general, et puis particularisant les qualitez des ingrediens,
et leurs effects: les differences des salades selon leur
saison, celle qui doit estre reschaufée, celle qui veut estre seruie
froide, la façon de les orner et embellir, pour les rendre encores
plaisantes à la veuë. Apres cela il est entré sur l'ordre du seruice,
plein de belles et importantes considerations.4

Nec minimo sanè discrimine refert
Quo gestu lepores, et quo gallina secetur.

Et tout cela enflé de riches et magnifiques parolles: et celles mesmes
qu'on employe à traiter du gouuernement d'vn Empire. Il m'est
souuenu de mon homme,

Hoc salsum est, hoc adustum est, hoc lautum est parum;
Illud rectè, iterum sic memento; sedulò
Moneo quæ possum pro mea sapientia.
Postremo tanquam in speculum, in patinas, Demea,
Inspicere iubeo, et moneo quid facto vsus sit.1

Si est-ce que les Grecs mesmes louërent grandement l'ordre et la
disposition que Paulus Æmylius obserua au festin, qu'il leur fit au
retour de Macedoine: mais ie ne parle point icy des effects, ie parle
des mots.   Ie ne sçay s'il en aduient aux autres comme à moy:
mais ie ne me puis garder quand i'oy nos architectes, s'enfler de
ces gros mots de pilastres, architraues, corniches d'ouurage Corinthien,
et Dorique, et semblables de leur iargon, que mon imagination
ne se saisisse incontinent du palais d'Apollidon, et par effect
ie trouue que ce sont les chetiues pieces de la porte de ma cuisine.