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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume I
Qui y tomberoit tout à vn coup, ie ne crois pas que nous fussions
capables de porter vn tel changement: mais conduicts par
sa main, d'vne douce pente et comme insensible, peu à peu, de degré4
en degré, elle nous roule dans ce miserable estat, et nous y appriuoise.
Si que nous ne sentons aucune secousse, quand la ieunesse
meurt en nous: qui est en essence et en verité, vne mort plus dure,
que n'est la mort entiere d'vne vie languissante; et que n'est la
mort de la vieillesse: d'autant que le sault n'est pas si lourd du•
mal estre au non estre, comme il est d'vn estre doux et fleurissant,
à vn estre penible et douloureux. Le corps courbe et plié a
moins de force à soustenir un fais, aussi a nostre ame. Il la faut
dresser et esleuer contre l'effort de cet aduersaire. Car comme il
est impossible, qu'elle se mette en repos pendant qu'elle le craint:1
si elle s'en asseure aussi, elle se peut vanter, qui est chose comme
surpassant l'humaine condition, qu'il est impossible que l'inquietude,
le tourment, et la peur, non le moindre desplaisir loge en elle.
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solida, neque Auster•
Dux inquieti turbidus Adriæ,
Nec fulminantis magna Iouis manus.
Elle est renduë maistresse de ses passions et concupiscences; maistresse
de l'indigence, de la honte, de la pauureté, et de toutes autres
iniures de fortune. Gagnons cet aduantage qui pourra: c'est icy la2
vraye et souueraine liberté, qui nous donne dequoy faire la figue
à la force, et à l'iniustice, et nous moquer des prisons et des fers.
in manicis, et
Compedibus, sæuo te sub custode tenebo.
Ipse Deus simul atque volam, me soluet: opinor,•
Hoc sentit, moriar: mors vltima linea rerum est.
Nostre religion n'a point eu de plus asseuré fondement humain,
que le mespris de la vie. Non seulement le discours de la raison
nous y appelle; car pourquoy craindrions nous de perdre vne
chose, laquelle perduë ne peut estre regrettée? mais aussi puis que3
nous sommes menacez de tant de façons de mort, n'y a il pas plus
de mal à les craindre toutes, qu'à en soustenir vne? Que chaut-il,
quand ce soit, puis qu'elle est ineuitable? A celuy qui disoit à
Socrates; Les trente tyrans t'ont condamné à la mort: Et nature,
eux, respondit-il. Quelle sottise, de nous peiner, sur le point du•
passage à l'exemption de toute peine? Comme nostre naissance
nous apporta la naissance de toutes choses: aussi fera la mort de
toutes choses, nostre mort. Parquoy c'est pareille folie de pleurer
de ce que d'icy à cent ans nous ne viurons pas, que de pleurer de
ce que nous ne viuions pas, il y a cent ans. La mort est origine4
d'vne autre vie: ainsi pleurasmes nous, et ainsi nous cousta-il
d'entrer en cette-cy: ainsi nous despouillasmes nous de nostre
ancien voile, en y entrant. Rien ne peut estre grief, qui n'est qu'vne
fois. Est-ce raison de craindre si long temps, chose de si brief
temps? Le long temps viure, et le peu de temps viure est rendu
tout vn par la mort. Car le long et le court n'est point aux choses
qui ne sont plus. Aristote dit, qu'il y a des petites bestes sur la
riuiere Hypanis, qui ne viuent qu'vn iour. Celle qui meurt à huict•
heures du matin, elle meurt en ieunesse: celle qui meurt à cinq
heures du soir, meurt en sa decrepitude. Qui de nous ne se mocque
de voir mettre en consideration d'heur ou de malheur, ce moment
de durée? Le plus et le moins en la nostre, si nous la comparons à
l'eternité, ou encores à la duree des montaignes, des riuieres, des1
estoilles, des arbres, et mesmes d'aucuns animaux, n'est pas moins
ridicule. Mais nature nous y force. Sortez, dit-elle, de ce monde,
comme vous y estes entrez. Le mesme passage que vous fistes de la
mort à la vie, sans passion et sans frayeur, refaites le de la vie à la
mort. Vostre mort est vne des pieces de l'ordre de l'vniuers, c'est•
vne piece de la vie du monde.
inter se mortales mutua viuunt,
Et quasi cursores vitaï lampada tradunt.
Changeray-ie pas pour vous cette belle contexture des choses? C'est
la condition de vostre creation; c'est vne partie de vous que la2
mort: vous vous fuyez vous mesmes. Cettuy vostre estre, que vous
iouyssez, est également party à la mort et à la vie. Le premier iour
de vostre naissance vous achemine à mourir comme à viure.
Prima, quæ vitam dedit, hora, carpsit.
Nascentes morimur, finisque ab origine pendet.•
Tout ce que vous viués, vous le desrobés à la vie: c'est à ses despens.
Le continuel ouurage de vostre vie, c'est bastir la mort.
Vous estes en la mort, pendant que vous estes en vie: car vous
estes apres la mort, quand vous n'estes plus en vie. Ou, si vous
l'aymez mieux ainsi, vous estes mort apres la vie: mais pendant la3
vie, vous estes mourant: et la mort touche bien plus rudement le
mourant que le mort, et plus viuement et essentiellement. Si vous
auez faict vostre proufit de la vie, vous en estes repeu, allez vous
en satisfaict.
Cur non vt plenus vitæ conuiua recedis?•
Si vous n'en auez sçeu vser, si elle vous estoit inutile, que vous
chaut-il de l'auoir perduë? à quoy faire la voulez vous encores?
cur amplius addere quæris
Rursum quod pereat malè, et ingratum occidat omne?
La vie n'est de soy ny bien ny mal: c'est la place du bien et du4
mal, selon que vous la leur faictes. Et si vous auez vescu vn iour,
vous auez tout veu: vn iour est égal à tous iours. Il n'y a point
d'autre lumiere, ny d'autre nuict. Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles,
cette disposition, c'est celle mesme que vos ayeuls ont
iouye, et qui entretiendra vos arriere-nepueux.
Non alium videre patres: aliumve nepotes•
Aspicient.
Et au pis aller, la distribution et varieté de tous les actes de ma
comedie, se parfournit en vn an. Si vous auez pris garde au branle
de mes quatre saisons, elles embrassent l'enfance, l'adolescence, la
virilité, et la vieillesse du monde. Il a ioüé son ieu: il n'y sçait1
autre finesse, que de recommencer; ce sera tousiours cela mesme.
versamur ibidem, atque insumus vsque,
Atque in se sua per vestigia voluitur annus.
Ie ne suis pas deliberée de vous forger autres nouueaux passetemps.
Nam tibi præterea quod machiner, inueniámque•
Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper.
Faictes place aux autres, comme d'autres vous l'ont faite. L'equalité
est la premiere piece de l'equité. Qui se peut plaindre d'estre
comprins où tous sont comprins? Aussi auez vous beau viure, vous
n'en rabattrez rien du temps que vous auez à estre mort: c'est pour2
neant; aussi long temps serez vous en cet estat là, que vous craingnez,
comme si vous estiez mort en nourrisse:
licet, quod vis, viuendo vincere secla,
Mors æterna tamen, nihilominus illa manebit.
capables de porter vn tel changement: mais conduicts par
sa main, d'vne douce pente et comme insensible, peu à peu, de degré4
en degré, elle nous roule dans ce miserable estat, et nous y appriuoise.
Si que nous ne sentons aucune secousse, quand la ieunesse
meurt en nous: qui est en essence et en verité, vne mort plus dure,
que n'est la mort entiere d'vne vie languissante; et que n'est la
mort de la vieillesse: d'autant que le sault n'est pas si lourd du•
mal estre au non estre, comme il est d'vn estre doux et fleurissant,
à vn estre penible et douloureux. Le corps courbe et plié a
moins de force à soustenir un fais, aussi a nostre ame. Il la faut
dresser et esleuer contre l'effort de cet aduersaire. Car comme il
est impossible, qu'elle se mette en repos pendant qu'elle le craint:1
si elle s'en asseure aussi, elle se peut vanter, qui est chose comme
surpassant l'humaine condition, qu'il est impossible que l'inquietude,
le tourment, et la peur, non le moindre desplaisir loge en elle.
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solida, neque Auster•
Dux inquieti turbidus Adriæ,
Nec fulminantis magna Iouis manus.
Elle est renduë maistresse de ses passions et concupiscences; maistresse
de l'indigence, de la honte, de la pauureté, et de toutes autres
iniures de fortune. Gagnons cet aduantage qui pourra: c'est icy la2
vraye et souueraine liberté, qui nous donne dequoy faire la figue
à la force, et à l'iniustice, et nous moquer des prisons et des fers.
in manicis, et
Compedibus, sæuo te sub custode tenebo.
Ipse Deus simul atque volam, me soluet: opinor,•
Hoc sentit, moriar: mors vltima linea rerum est.
Nostre religion n'a point eu de plus asseuré fondement humain,
que le mespris de la vie. Non seulement le discours de la raison
nous y appelle; car pourquoy craindrions nous de perdre vne
chose, laquelle perduë ne peut estre regrettée? mais aussi puis que3
nous sommes menacez de tant de façons de mort, n'y a il pas plus
de mal à les craindre toutes, qu'à en soustenir vne? Que chaut-il,
quand ce soit, puis qu'elle est ineuitable? A celuy qui disoit à
Socrates; Les trente tyrans t'ont condamné à la mort: Et nature,
eux, respondit-il. Quelle sottise, de nous peiner, sur le point du•
passage à l'exemption de toute peine? Comme nostre naissance
nous apporta la naissance de toutes choses: aussi fera la mort de
toutes choses, nostre mort. Parquoy c'est pareille folie de pleurer
de ce que d'icy à cent ans nous ne viurons pas, que de pleurer de
ce que nous ne viuions pas, il y a cent ans. La mort est origine4
d'vne autre vie: ainsi pleurasmes nous, et ainsi nous cousta-il
d'entrer en cette-cy: ainsi nous despouillasmes nous de nostre
ancien voile, en y entrant. Rien ne peut estre grief, qui n'est qu'vne
fois. Est-ce raison de craindre si long temps, chose de si brief
temps? Le long temps viure, et le peu de temps viure est rendu
tout vn par la mort. Car le long et le court n'est point aux choses
qui ne sont plus. Aristote dit, qu'il y a des petites bestes sur la
riuiere Hypanis, qui ne viuent qu'vn iour. Celle qui meurt à huict•
heures du matin, elle meurt en ieunesse: celle qui meurt à cinq
heures du soir, meurt en sa decrepitude. Qui de nous ne se mocque
de voir mettre en consideration d'heur ou de malheur, ce moment
de durée? Le plus et le moins en la nostre, si nous la comparons à
l'eternité, ou encores à la duree des montaignes, des riuieres, des1
estoilles, des arbres, et mesmes d'aucuns animaux, n'est pas moins
ridicule. Mais nature nous y force. Sortez, dit-elle, de ce monde,
comme vous y estes entrez. Le mesme passage que vous fistes de la
mort à la vie, sans passion et sans frayeur, refaites le de la vie à la
mort. Vostre mort est vne des pieces de l'ordre de l'vniuers, c'est•
vne piece de la vie du monde.
inter se mortales mutua viuunt,
Et quasi cursores vitaï lampada tradunt.
Changeray-ie pas pour vous cette belle contexture des choses? C'est
la condition de vostre creation; c'est vne partie de vous que la2
mort: vous vous fuyez vous mesmes. Cettuy vostre estre, que vous
iouyssez, est également party à la mort et à la vie. Le premier iour
de vostre naissance vous achemine à mourir comme à viure.
Prima, quæ vitam dedit, hora, carpsit.
Nascentes morimur, finisque ab origine pendet.•
Tout ce que vous viués, vous le desrobés à la vie: c'est à ses despens.
Le continuel ouurage de vostre vie, c'est bastir la mort.
Vous estes en la mort, pendant que vous estes en vie: car vous
estes apres la mort, quand vous n'estes plus en vie. Ou, si vous
l'aymez mieux ainsi, vous estes mort apres la vie: mais pendant la3
vie, vous estes mourant: et la mort touche bien plus rudement le
mourant que le mort, et plus viuement et essentiellement. Si vous
auez faict vostre proufit de la vie, vous en estes repeu, allez vous
en satisfaict.
Cur non vt plenus vitæ conuiua recedis?•
Si vous n'en auez sçeu vser, si elle vous estoit inutile, que vous
chaut-il de l'auoir perduë? à quoy faire la voulez vous encores?
cur amplius addere quæris
Rursum quod pereat malè, et ingratum occidat omne?
La vie n'est de soy ny bien ny mal: c'est la place du bien et du4
mal, selon que vous la leur faictes. Et si vous auez vescu vn iour,
vous auez tout veu: vn iour est égal à tous iours. Il n'y a point
d'autre lumiere, ny d'autre nuict. Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles,
cette disposition, c'est celle mesme que vos ayeuls ont
iouye, et qui entretiendra vos arriere-nepueux.
Non alium videre patres: aliumve nepotes•
Aspicient.
Et au pis aller, la distribution et varieté de tous les actes de ma
comedie, se parfournit en vn an. Si vous auez pris garde au branle
de mes quatre saisons, elles embrassent l'enfance, l'adolescence, la
virilité, et la vieillesse du monde. Il a ioüé son ieu: il n'y sçait1
autre finesse, que de recommencer; ce sera tousiours cela mesme.
versamur ibidem, atque insumus vsque,
Atque in se sua per vestigia voluitur annus.
Ie ne suis pas deliberée de vous forger autres nouueaux passetemps.
Nam tibi præterea quod machiner, inueniámque•
Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper.
Faictes place aux autres, comme d'autres vous l'ont faite. L'equalité
est la premiere piece de l'equité. Qui se peut plaindre d'estre
comprins où tous sont comprins? Aussi auez vous beau viure, vous
n'en rabattrez rien du temps que vous auez à estre mort: c'est pour2
neant; aussi long temps serez vous en cet estat là, que vous craingnez,
comme si vous estiez mort en nourrisse:
licet, quod vis, viuendo vincere secla,
Mors æterna tamen, nihilominus illa manebit.
Et si vous mettray en tel point, auquel vous n'aurez aucun mescontentement.•
In vera nescis nullum fore morte alium te,
Qui possit viuus tibi te lugere peremptum,
Stánsque iacentem.
Ny ne desirerez la vie que vous plaignez tant.3
Nec sibi enim quisquam tum se vitámque requirit,
Nec desiderium nostri nos afficit vllum.
In vera nescis nullum fore morte alium te,
Qui possit viuus tibi te lugere peremptum,
Stánsque iacentem.
Ny ne desirerez la vie que vous plaignez tant.3
Nec sibi enim quisquam tum se vitámque requirit,
Nec desiderium nostri nos afficit vllum.
La mort est moins à craindre que rien, s'il y auoit quelque chose
de moins, que rien.
multo mortem minus ad nos esse putandum,•
Si minus esse potest quàm quod nihil esse videmus.
Elle ne vous concerne ny mort ny vif. Vif, par ce que vous estes:
mort, par ce que vous n'estes plus. D'auantage nul ne meurt auant
son heure. Ce que vous laissez de temps, n'estoit non plus vostre,
que celuy qui s'est passé auant vostre naissance: et ne vous touche4
non plus.
Respice enim quàm nil ad nos antè acta vetustas
Temporis æterni fuerit.
de moins, que rien.
multo mortem minus ad nos esse putandum,•
Si minus esse potest quàm quod nihil esse videmus.
Elle ne vous concerne ny mort ny vif. Vif, par ce que vous estes:
mort, par ce que vous n'estes plus. D'auantage nul ne meurt auant
son heure. Ce que vous laissez de temps, n'estoit non plus vostre,
que celuy qui s'est passé auant vostre naissance: et ne vous touche4
non plus.
Respice enim quàm nil ad nos antè acta vetustas
Temporis æterni fuerit.
Où que vostre vie finisse, elle y est toute. L'vtilité du viure n'est
pas en l'espace: elle est en l'vsage. Tel a vescu long temps, qui a•
peu vescu. Attendez vous y pendant que vous y estes. Il gist en
vostre volonté, non au nombre des ans, que vous ayez assez vescu.
Pensiez vous iamais n'arriuer là, où vous alliez sans cesse? encore
n'y a-il chemin qui n'aye son issuë. Et si la compagnie vous peut
soulager, le monde ne va-il pas mesme train que vous allez?
omnia te vita perfuncta sequentur.
pas en l'espace: elle est en l'vsage. Tel a vescu long temps, qui a•
peu vescu. Attendez vous y pendant que vous y estes. Il gist en
vostre volonté, non au nombre des ans, que vous ayez assez vescu.
Pensiez vous iamais n'arriuer là, où vous alliez sans cesse? encore
n'y a-il chemin qui n'aye son issuë. Et si la compagnie vous peut
soulager, le monde ne va-il pas mesme train que vous allez?
omnia te vita perfuncta sequentur.
Tout ne branle-il pas vostre branle? y a-il chose qui ne vieillisse
quant et vous? Mille hommes, mille animaux et mille autres creatures•
meurent en ce mesme instant que vous mourez.
Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est,
Quæ non audierit mistos vagitibus ægris
Ploratus mortis comites et funeris atri.
quant et vous? Mille hommes, mille animaux et mille autres creatures•
meurent en ce mesme instant que vous mourez.
Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est,
Quæ non audierit mistos vagitibus ægris
Ploratus mortis comites et funeris atri.
A quoy faire y reculez vous, si vous ne pouuez tirer arriere?1
Vous en auez assez veu qui se sont bien trouués de mourir, escheuant
par là des grandes miseres. Mais quelqu'vn qui s'en soit
mal trouué, en auez vous veu? Si est-ce grande simplesse, de condamner
chose que vous n'auez esprouuée ny par vous ny par autre.
Pourquoy te pleins-tu de moy et de la destinée? Te faisons nous tort?•
Est-ce à toy de nous gouuerner, ou à nous toy? Encore que ton aage
ne soit pas acheué, ta vie l'est. Vn petit homme est homme entier
comme vn grand. Ny les hommes ny leurs vies ne se mesurent à
l'aune. Chiron refusa l'immortalité, informé des conditions d'icelle,
par le Dieu mesme du temps, et de la durée, Saturne son2
pere. Imaginez de vray, combien seroit vne vie perdurable, moins
supportable à l'homme, et plus penible, que n'est la vie que ie luy
ay donnée. Si vous n'auiez la mort, vous me maudiriez sans cesse
de vous en auoir priué. I'y ay à escient meslé quelque peu d'amertume,
pour vous empescher, voyant la commodité de son vsage, de•
l'embrasser trop auidement et indiscretement. Pour vous loger en
cette moderation, ny de fuir la vie, ny de refuir à la mort, que ie
demande de vous; i'ay temperé l'vne et l'autre entre la douceur et
l'aigreur. I'apprins à Thales le premier de voz sages, que le viure
et le mourir estoit indifferent: par où, à celuy qui luy demanda,3
pourquoy donc il ne mouroit, il respondit tressagement, Pour ce
qu'il est indifferent. L'eau, la terre, l'air et le feu, et autres membres
de ce mien bastiment, ne sont non plus instruments de ta vie,
qu'instruments de ta mort. Pourquoy crains-tu ton dernier iour? Il
ne confere non plus à ta mort que chascun des autres. Le dernier•
pas ne faict pas la lassitude: il la declaire. Tous les iours vont à la
mort: le dernier y arriue. Voila les bons aduertissemens de nostre
mere Nature. Or i'ay pensé souuent d'où venoit cela, qu'aux
guerres le visage de la mort, soit que nous la voyons en nous ou en
autruy, nous semble sans comparaison moins effroyable qu'en nos
maisons: autrement ce seroit vne armée de medecins et de pleurars:•
et elle estant tousiours vne, qu'il y ait toutes-fois beaucoup
plus d'asseurance parmy les gens de village et de basse condition
qu'és autres. Ie croy à la verité que ce sont ces mines et appareils
effroyables, dequoy nous l'entournons, qui nous font plus de peur
qu'elle: vne toute nouuelle forme de viure: les cris des meres, des1
femmes, et des enfans: la visitation de personnes estonnees, et
transies: l'assistance d'vn nombre de valets pasles et éplorés: vne
chambre sans iour: des cierges allumez: nostre cheuet assiegé de
medecins et de prescheurs: somme tout horreur et tout effroy autour
de nous. Nous voyla des-ia enseuelis et enterrez. Les enfans•
ont peur de leurs amis mesmes quand ils les voyent masquez; aussi
auons nous. Il faut oster le masque aussi bien des choses, que des
personnes. Osté qu'il sera, nous ne trouuerons au dessoubs, que
cette mesme mort, qu'vn valet ou simple chambriere passerent dernierement
sans peur. Heureuse la mort qui oste le loisir aux apprests2
de tel equipage!
Vous en auez assez veu qui se sont bien trouués de mourir, escheuant
par là des grandes miseres. Mais quelqu'vn qui s'en soit
mal trouué, en auez vous veu? Si est-ce grande simplesse, de condamner
chose que vous n'auez esprouuée ny par vous ny par autre.
Pourquoy te pleins-tu de moy et de la destinée? Te faisons nous tort?•
Est-ce à toy de nous gouuerner, ou à nous toy? Encore que ton aage
ne soit pas acheué, ta vie l'est. Vn petit homme est homme entier
comme vn grand. Ny les hommes ny leurs vies ne se mesurent à
l'aune. Chiron refusa l'immortalité, informé des conditions d'icelle,
par le Dieu mesme du temps, et de la durée, Saturne son2
pere. Imaginez de vray, combien seroit vne vie perdurable, moins
supportable à l'homme, et plus penible, que n'est la vie que ie luy
ay donnée. Si vous n'auiez la mort, vous me maudiriez sans cesse
de vous en auoir priué. I'y ay à escient meslé quelque peu d'amertume,
pour vous empescher, voyant la commodité de son vsage, de•
l'embrasser trop auidement et indiscretement. Pour vous loger en
cette moderation, ny de fuir la vie, ny de refuir à la mort, que ie
demande de vous; i'ay temperé l'vne et l'autre entre la douceur et
l'aigreur. I'apprins à Thales le premier de voz sages, que le viure
et le mourir estoit indifferent: par où, à celuy qui luy demanda,3
pourquoy donc il ne mouroit, il respondit tressagement, Pour ce
qu'il est indifferent. L'eau, la terre, l'air et le feu, et autres membres
de ce mien bastiment, ne sont non plus instruments de ta vie,
qu'instruments de ta mort. Pourquoy crains-tu ton dernier iour? Il
ne confere non plus à ta mort que chascun des autres. Le dernier•
pas ne faict pas la lassitude: il la declaire. Tous les iours vont à la
mort: le dernier y arriue. Voila les bons aduertissemens de nostre
mere Nature. Or i'ay pensé souuent d'où venoit cela, qu'aux
guerres le visage de la mort, soit que nous la voyons en nous ou en
autruy, nous semble sans comparaison moins effroyable qu'en nos
maisons: autrement ce seroit vne armée de medecins et de pleurars:•
et elle estant tousiours vne, qu'il y ait toutes-fois beaucoup
plus d'asseurance parmy les gens de village et de basse condition
qu'és autres. Ie croy à la verité que ce sont ces mines et appareils
effroyables, dequoy nous l'entournons, qui nous font plus de peur
qu'elle: vne toute nouuelle forme de viure: les cris des meres, des1
femmes, et des enfans: la visitation de personnes estonnees, et
transies: l'assistance d'vn nombre de valets pasles et éplorés: vne
chambre sans iour: des cierges allumez: nostre cheuet assiegé de
medecins et de prescheurs: somme tout horreur et tout effroy autour
de nous. Nous voyla des-ia enseuelis et enterrez. Les enfans•
ont peur de leurs amis mesmes quand ils les voyent masquez; aussi
auons nous. Il faut oster le masque aussi bien des choses, que des
personnes. Osté qu'il sera, nous ne trouuerons au dessoubs, que
cette mesme mort, qu'vn valet ou simple chambriere passerent dernierement
sans peur. Heureuse la mort qui oste le loisir aux apprests2
de tel equipage!
CHAPITRE XX. (TRADUCTION LIV. I, CH. XX.)
De la force de l'imagination.
FORTIS imaginatio generat casum, disent les clercs.
Ie suis de ceux qui sentent tresgrand effort de l'imagination.
Chacun en est heurté, mais aucuns en sont renuersez. Son impression
me perse; et mon art est de luy eschapper, par faute de force à luy•
resister. Ie viuroye de la seule assistance de personnes saines et
gaies. La veuë des angoisses d'autruy m'angoisse materiellement:
et a mon sentiment souuent vsurpé le sentiment d'vn tiers. Vn tousseur
continuel irrite mon poulmon et mon gosier. Ie visite plus mal
volontiers les malades, ausquels le deuoir m'interesse, que ceux
ausquels ie m'attens moins, et que ie considere moins. Ie saisis le
mal, que i'estudie, et le couche en moy. Ie ne trouue pas estrange
qu'elle donne et les fieures, et la mort, à ceux qui la laissent faire, et•
qui luy applaudissent. Simon Thomas estoit vn grand medecin de
son temps. Il me souuient que me rencontrant vn iour à Thoulouse
chez vn riche vieillard pulmonique, et traittant auec luy des moyens
de sa guarison, il luy dist, que c'en estoit l'vn, de me donner occasion
de me plaire en sa compagnie: et que fichant ses yeux sur1
la frescheur de mon visage, et sa pensée sur cette allegresse et vigueur,
qui regorgeoit de mon adolescence: et remplissant tous ses
sens de cet estat florissant en quoy i'estoy lors, son habitude s'en
pourroit amender: mais il oublioit à dire, que la mienne s'en pourroit
empirer aussi. Gallus Vibius banda si bien son ame, à comprendre•
l'essence et les mouuemens de la folie, qu'il emporta son
iugement hors de son siege, si qu'onques puis il ne l'y peut remettre:
et se pouuoit vanter d'estre deuenu fol par sagesse. Il y en a,
qui de frayeur anticipent la main du bourreau; et celuy qu'on
debandoit pour luy lire sa grace, se trouua roide mort sur l'eschaffaut2
du seul coup de son imagination. Nous tressuons, nous tremblons,
nous pallissons, et rougissons aux secousses de nos imaginations;
et renuersez dans la plume sentons nostre corps agité à leur
bransle, quelques-fois iusques à en expirer. Et la ieunesse bouillante
s'eschauffe si auant en son harnois toute endormie, qu'elle•
assouuit en songe ses amoureux desirs.
Vt quasi transactis sæpe omnibus rebu' profundant
Fluminis ingentes fluctus, vestémque cruentent.
Ie suis de ceux qui sentent tresgrand effort de l'imagination.
Chacun en est heurté, mais aucuns en sont renuersez. Son impression
me perse; et mon art est de luy eschapper, par faute de force à luy•
resister. Ie viuroye de la seule assistance de personnes saines et
gaies. La veuë des angoisses d'autruy m'angoisse materiellement:
et a mon sentiment souuent vsurpé le sentiment d'vn tiers. Vn tousseur
continuel irrite mon poulmon et mon gosier. Ie visite plus mal
volontiers les malades, ausquels le deuoir m'interesse, que ceux
ausquels ie m'attens moins, et que ie considere moins. Ie saisis le
mal, que i'estudie, et le couche en moy. Ie ne trouue pas estrange
qu'elle donne et les fieures, et la mort, à ceux qui la laissent faire, et•
qui luy applaudissent. Simon Thomas estoit vn grand medecin de
son temps. Il me souuient que me rencontrant vn iour à Thoulouse
chez vn riche vieillard pulmonique, et traittant auec luy des moyens
de sa guarison, il luy dist, que c'en estoit l'vn, de me donner occasion
de me plaire en sa compagnie: et que fichant ses yeux sur1
la frescheur de mon visage, et sa pensée sur cette allegresse et vigueur,
qui regorgeoit de mon adolescence: et remplissant tous ses
sens de cet estat florissant en quoy i'estoy lors, son habitude s'en
pourroit amender: mais il oublioit à dire, que la mienne s'en pourroit
empirer aussi. Gallus Vibius banda si bien son ame, à comprendre•
l'essence et les mouuemens de la folie, qu'il emporta son
iugement hors de son siege, si qu'onques puis il ne l'y peut remettre:
et se pouuoit vanter d'estre deuenu fol par sagesse. Il y en a,
qui de frayeur anticipent la main du bourreau; et celuy qu'on
debandoit pour luy lire sa grace, se trouua roide mort sur l'eschaffaut2
du seul coup de son imagination. Nous tressuons, nous tremblons,
nous pallissons, et rougissons aux secousses de nos imaginations;
et renuersez dans la plume sentons nostre corps agité à leur
bransle, quelques-fois iusques à en expirer. Et la ieunesse bouillante
s'eschauffe si auant en son harnois toute endormie, qu'elle•
assouuit en songe ses amoureux desirs.
Vt quasi transactis sæpe omnibus rebu' profundant
Fluminis ingentes fluctus, vestémque cruentent.
Et encore qu'il ne soit pas nouueau de voir croistre la nuict des
cornes à tel, qui ne les auoit pas en se couchant: toutesfois l'euenement3
de Cyppus Roy d'Italie est memorable, lequel pour auoir
assisté le iour auec grande affection au combat des taureaux, et
avoir eu en songe toute la nuict des cornes en la teste, les produisit
en son front par la force de l'imagination. La passion donna au fils
de Crœsus la voix, que nature luy auoit refusée. Et Antiochus print•
la fieure, par la beauté de Stratonicé trop viuement empreinte en
son ame. Pline dit auoir veu Lucius Cossitius, de femme changé en
homme le iour de ses nopces. Pontanus et d'autres racontent pareilles
metamorphoses aduenuës en Italie ces siecles passez: et par
vehement desir de luy et de sa mere,4
Vota puer soluit, quæ fæmina vouerat Iphis.
cornes à tel, qui ne les auoit pas en se couchant: toutesfois l'euenement3
de Cyppus Roy d'Italie est memorable, lequel pour auoir
assisté le iour auec grande affection au combat des taureaux, et
avoir eu en songe toute la nuict des cornes en la teste, les produisit
en son front par la force de l'imagination. La passion donna au fils
de Crœsus la voix, que nature luy auoit refusée. Et Antiochus print•
la fieure, par la beauté de Stratonicé trop viuement empreinte en
son ame. Pline dit auoir veu Lucius Cossitius, de femme changé en
homme le iour de ses nopces. Pontanus et d'autres racontent pareilles
metamorphoses aduenuës en Italie ces siecles passez: et par
vehement desir de luy et de sa mere,4
Vota puer soluit, quæ fæmina vouerat Iphis.
Passant à Vitry le François ie peu voir vn homme que l'Euesque de
Soissons auoit nommé Germain en confirmation, lequel tous les habitans
de là ont cogneu, et veu fille, iusques à l'aage de vingt deux
ans, nommée Marie. Il estoit à cette heure là fort barbu, et vieil,
et point marié. Faisant, dit-il, quelque effort en saultant, ses membres•
virils se produisirent: et est encore en vsage entre les filles
de là, vne chanson, par laquelle elles s'entraduertissent de ne
faire point de grandes eniambees, de peur de deuenir garçons,
comme Marie Germain. Ce n'est pas tant de merueille que cette
sorte d'accident se rencontre frequent: car si l'imagination peut1
en telles choses, elle est si continuellement et si vigoureusement
attachée à ce subiect, que pour n'auoir si souuent à rechoir en
mesme pensée et aspreté de desir, elle a meilleur compte d'incorporer,
vne fois pour toutes, cette virile partie aux filles. Les vns
attribuent à la force de l'imagination les cicatrices du Roy Dagobert•
et de Sainct François. On dit que les corps s'en-enleuent telle
fois de leur place. Et Celsus recite d'vn Prestre, qui rauissoit son
ame en telle extase, que le corps en demeuroit longue espace sans
respiration et sans sentiment. Sainct Augustin en nomme vn autre,
à qui il ne falloit que faire ouïr des cris lamentables et plaintifs:2
soudain il defailloit, et s'emportoit si viuement hors de soy, qu'on
auoit beau le tempester, et hurler, et le pincer, et le griller, iusques
à ce qu'il fust resuscité: lors il disoit auoir ouy des voix, mais
comme venant de loing: et s'aperceuoit de ses eschaudures et
meurtrisseures. Et que ce ne fust vne obstination apostée contre son•
sentiment, cela le montroit, qu'il n'auoit ce pendant ny poulx ny
haleine. Il est vraysemblable, que le principal credit des visions,
des enchantemens, et de tels effects extraordinaires, vienne de la
puissance de l'imagination, agissant principalement contre les ames
du vulgaire, plus molles. On leur a si fort saisi la creance, qu'ils3
pensent voir ce qu'ils ne voyent pas. Ie suis encore en ce doubte,
que ces plaisantes liaisons dequoy nostre monde se voit si entraué
qu'il ne se parle d'autre chose, ce sont volontiers des impressions
de l'apprehension et de la crainte. Car ie sçay par experience, que
tel de qui ie puis respondre, comme de moy-mesme, en qui il ne•
pouuoit choir soupçon aucun de foiblesse, et aussi peu d'enchantement,
ayant ouy faire le conte à vn sien compagnon d'vne defaillance
extraordinaire, en quoy il estoit tombé sur le point qu'il en
auoit le moins de besoin, se trouuant en pareille occasion, l'horreur
de ce conte luy vint à coup si rudement frapper l'imagination, qu'il
en courut vne fortune pareille. Et de là en hors fut subiect à y renchoir:
ce villain souuenir de son inconuenient le gourmandant et
tyrannisant. Il trouua quelque remede à cette resuerie, par vne•
autre resuerie. C'est qu'aduouant luy mesme, et preschant auant la
main, cette sienne subiection, la contention de son ame se soulageoit,
sur ce, qu'apportant ce mal comme attendu, son obligation en
amoindrissoit, et luy en poisoit moins. Quand il a eu loy, à son
chois (sa pensée desbrouillée et desbandée, son corps se trouuant en1
son deu) de le faire lors premierement tenter, saisir, et surprendre
à la cognoissance d'autruy, il s'est guari tout net. A qui on a esté
vne fois capable, on n'est plus incapable, sinon par iuste foiblesse.
Ce malheur n'est à craindre qu'aux entreprinses, où nostre ame se
trouue outre mesure tendue de desir et de respect; et notamment•
où les commoditez se rencontrent improuueues et pressantes. On
n'a pas moyen de se rauoir de ce trouble. I'en sçay, à qui il a seruy
d'y apporter le corps mesme, demy rassasié d'ailleurs, pour endormir
l'ardeur de cette fureur, et qui par l'aage, se trouue moins impuissant,
de ce qu'il est moins puissant: et tel autre, à qui il2
a serui aussi qu'vn amy l'ayt asseuré d'estre fourni d'vne contrebatterie
d'enchantemens certains, à le preseruer. Il vaut mieux, que ie
die comment ce fut. Vn Comte de tresbon lieu, de qui i'estoye
fort priué, se mariant auec vne belle dame, qui auoit esté poursuiuie
de tel qui assistoit à la feste, mettoit en grande peine ses amis:•
et nommément vne vieille dame sa parente, qui presidoit à ces
nopces, et les faisoit chez elle, craintiue de ces sorcelleries: ce
qu'elle me fit entendre. Ie la priay s'en reposer sur moy. I'auoye de
fortune en mes coffres, certaine petite piece d'or platte, où estoient
grauées quelques figures celestes, contre le coup du Soleil, et pour3
oster la douleur de teste, la logeant à point, sur la cousture du test:
et pour l'y tenir, elle estoit cousuë à vn ruban propre à rattacher
souz le menton. Resuerie germaine à celle dequoy nous parlons.
Iacques Peletier, viuant chez moy, m'auoit faict ce present singulier.
I'aduisay d'en tirer quelque vsage, et dis au Comte, qu'il pourroit•
courre fortune comme les autres, y ayant là des hommes pour
luy en vouloir prester vne; mais que hardiment il s'allast coucher:
que ie luy feroy vn tour d'amy: et n'espargneroys à son besoin, vn
miracle, qui estoit en ma puissance: pourueu que sur son honneur,
il me promist de le tenir tresfidelement secret. Seulement,4
comme sur la nuict on iroit luy porter le resueillon, s'il luy estoit
mal allé, il me fist vn tel signe. Il avoit eu l'ame et les oreilles si
battues, qu'il se trouua lié du trouble de son imagination: et me
feit son signe à l'heure susditte. Ie luy dis lors à l'oreille, qu'il se
leuast, souz couleur de nous chasser, et prinst en se iouant la•
robbe de nuict, que i'auoye sur moy (nous estions de taille fort
voisine) et s'en vestist, tant qu'il auroit executé mon ordonnance,
qui fut; Quand nous serions sortis, qu'il se retirast à tomber de
l'eaue: dist trois fois telles parolles: et fist tels mouuements. Qu'à
chascune de ces trois fois, il ceignist le ruban, que ie luy mettoys1
en main, et couchast bien soigneusement la medaille qui y estoit
attachée, sur ses roignons: la figure en telle posture. Cela faict,
ayant à la derniere fois bien estreint ce ruban, pour qu'il ne se
peust ny desnouer, ny mouuoir de sa place, qu'en toute asseurance
il s'en retournast à son prix faict: et n'oubliast de reietter ma•
robbe sur son lict, en maniere qu'elle les abriast tous deux. Ces
singeries sont le principal de l'effect. Nostre pensée ne se pouuant
desmesler, que moyens si estranges ne viennent de quelque abstruse
science. Leur inanité leur donne poids et reuerence. Somme
il fut certain, que mes characteres se trouuerent plus Veneriens2
que Solaires, plus en action qu'en prohibition. Ce fut vne humeur
prompte et curieuse, qui me conuia à tel effect, esloigné de ma nature.
Ie suis ennemy des actions subtiles et feintes: et hay la
finesse, en mes mains, non seulement recreatiue, mais aussi profitable.
Si l'action n'est vicieuse, la routte l'est. Amasis Roy d'Ægypte,•
espousa Laodice tresbelle fille Grecque: et luy, qui se montroit
gentil compagnon par tout ailleurs, se trouua court à iouïr
d'elle: et menaça de la tuer, estimant que ce fust quelque sorcerie.
Comme és choses qui consistent en fantasie, elle le reietta à la deuotion:
et ayant faict ses vœus et promesses à Venus, il se trouua3
diuinement remis, dés la premiere nuict, d'apres ses oblations et
sacrifices. Or elles ont tort de nous recueillir de ces contenances
mineuses, querelleuses et fuyardes, qui nous esteignent en nous
allumant. La bru de Pythagoras, disoit, que la femme qui se
couche auec vn homme, doit auec sa cotte laisser quant et quant la•
honte, et la reprendre auec sa cotte. L'ame de l'assaillant troublée
de plusieurs diuerses allarmes, se perd aisement. Et à qui l'imagination
a faict vne fois souffrir cette honte (et elle ne la fait souffrir
qu'aux premieres accointances, d'autant qu'elles sont plus ardantes
et aspres; et aussi qu'en cette premiere cognoissance qu'on donne
de soy, on craint beaucoup plus de faillir) ayant mal commencé, il
entre en fieure et despit de cet accident, qui luy dure aux occasions
suiuantes. Les mariez, le temps estant tout leur, ne doiuent ny•
presser ny taster leur entreprinse, s'ils ne sont prests. Et vault
mieux faillir indecemment, à estreiner la couche nuptiale, pleine
d'agitation et de fieure, attendant vne et vne autre commodité plus
priuée et moins allarmée, que de tomber en vne perpetuelle misere,
pour s'estre estonné et desesperé du premier refus. Auant la possession1
prinse, le patient se doibt à saillies et diuers temps, legerement
essayer et offrir, sans se piquer et opiniastrer, à se conuaincre
definitiuement soy-mesme. Ceux qui sçauent leurs membres de
nature dociles, qu'ils se soignent seulement de contre-pipper leur
fantasie. On a raison de remarquer l'indocile liberté de ce membre,•
s'ingerant si importunément lors que nous n'en auons que
faire, et defaillant si importunément lors que nous en auons le plus
affaire: et contestant de l'authorité, si imperieusement, auec nostre
volonté, refusant auec tant de fierté et d'obstination noz solicitations
et mentales et manuelles. Si toutesfois en ce qu'on gourmande2
sa rebellion, et qu'on en tire preuue de sa condemnation, il m'auoit
payé pour plaider sa cause: à l'aduenture mettroy-ie en souspeçon
noz autres membres ses compagnons, de luy estre allé dresser par
belle enuie, de l'importance et douceur de son vsage, cette querelle
apostée, et auoir par complot, armé le monde à l'encontre de luy,•
le chargeant malignement seul de leur faute commune. Car ie vous
donne à penser, s'il y a vne seule des parties de nostre corps, qui
ne refuse à nostre volonté souuent son operation, et qui souuent ne
s'exerce contre nostre volonté: elles ont chacune des passions
propres, qui les esueillent et endorment, sans nostre congé. A3
quant de fois tesmoignent les mouuements forcez de nostre visage,
les pensées que nous tenions secrettes, et nous trahissent aux
assistants? Cette mesme cause qui anime ce membre, anime aussi
sans nostre sceu, le cœur, le poulmon, et le pouls: la veue d'vn
obiect agreable, respandant imperceptiblement en nous la flamme•
d'vne emotion fieureuse. N'y a-il que ces muscles et ces veines,
qui s'eleuent et se couchent, sans l'adueu non seulement de nostre
volonté, mais aussi de notre pensée? Nous ne commandons pas à
noz cheueux de se herisser, et à nostre peau de fremir de desir ou
de crainte. La main se porte souuent où nous ne l'enuoyons pas.
La langue se transit, et la voix se fige à son heure. Lors mesme•
que n'ayans de quoy frire, nous le luy deffendrions volontiers,
l'appetit de manger et de boire ne laisse pas d'emouuoir les parties,
qui luy sont subiettes, ny plus ny moins que cet autre appetit: et
nous abandonne de mesme, hors de propos, quand bon luy semble.
Soissons auoit nommé Germain en confirmation, lequel tous les habitans
de là ont cogneu, et veu fille, iusques à l'aage de vingt deux
ans, nommée Marie. Il estoit à cette heure là fort barbu, et vieil,
et point marié. Faisant, dit-il, quelque effort en saultant, ses membres•
virils se produisirent: et est encore en vsage entre les filles
de là, vne chanson, par laquelle elles s'entraduertissent de ne
faire point de grandes eniambees, de peur de deuenir garçons,
comme Marie Germain. Ce n'est pas tant de merueille que cette
sorte d'accident se rencontre frequent: car si l'imagination peut1
en telles choses, elle est si continuellement et si vigoureusement
attachée à ce subiect, que pour n'auoir si souuent à rechoir en
mesme pensée et aspreté de desir, elle a meilleur compte d'incorporer,
vne fois pour toutes, cette virile partie aux filles. Les vns
attribuent à la force de l'imagination les cicatrices du Roy Dagobert•
et de Sainct François. On dit que les corps s'en-enleuent telle
fois de leur place. Et Celsus recite d'vn Prestre, qui rauissoit son
ame en telle extase, que le corps en demeuroit longue espace sans
respiration et sans sentiment. Sainct Augustin en nomme vn autre,
à qui il ne falloit que faire ouïr des cris lamentables et plaintifs:2
soudain il defailloit, et s'emportoit si viuement hors de soy, qu'on
auoit beau le tempester, et hurler, et le pincer, et le griller, iusques
à ce qu'il fust resuscité: lors il disoit auoir ouy des voix, mais
comme venant de loing: et s'aperceuoit de ses eschaudures et
meurtrisseures. Et que ce ne fust vne obstination apostée contre son•
sentiment, cela le montroit, qu'il n'auoit ce pendant ny poulx ny
haleine. Il est vraysemblable, que le principal credit des visions,
des enchantemens, et de tels effects extraordinaires, vienne de la
puissance de l'imagination, agissant principalement contre les ames
du vulgaire, plus molles. On leur a si fort saisi la creance, qu'ils3
pensent voir ce qu'ils ne voyent pas. Ie suis encore en ce doubte,
que ces plaisantes liaisons dequoy nostre monde se voit si entraué
qu'il ne se parle d'autre chose, ce sont volontiers des impressions
de l'apprehension et de la crainte. Car ie sçay par experience, que
tel de qui ie puis respondre, comme de moy-mesme, en qui il ne•
pouuoit choir soupçon aucun de foiblesse, et aussi peu d'enchantement,
ayant ouy faire le conte à vn sien compagnon d'vne defaillance
extraordinaire, en quoy il estoit tombé sur le point qu'il en
auoit le moins de besoin, se trouuant en pareille occasion, l'horreur
de ce conte luy vint à coup si rudement frapper l'imagination, qu'il
en courut vne fortune pareille. Et de là en hors fut subiect à y renchoir:
ce villain souuenir de son inconuenient le gourmandant et
tyrannisant. Il trouua quelque remede à cette resuerie, par vne•
autre resuerie. C'est qu'aduouant luy mesme, et preschant auant la
main, cette sienne subiection, la contention de son ame se soulageoit,
sur ce, qu'apportant ce mal comme attendu, son obligation en
amoindrissoit, et luy en poisoit moins. Quand il a eu loy, à son
chois (sa pensée desbrouillée et desbandée, son corps se trouuant en1
son deu) de le faire lors premierement tenter, saisir, et surprendre
à la cognoissance d'autruy, il s'est guari tout net. A qui on a esté
vne fois capable, on n'est plus incapable, sinon par iuste foiblesse.
Ce malheur n'est à craindre qu'aux entreprinses, où nostre ame se
trouue outre mesure tendue de desir et de respect; et notamment•
où les commoditez se rencontrent improuueues et pressantes. On
n'a pas moyen de se rauoir de ce trouble. I'en sçay, à qui il a seruy
d'y apporter le corps mesme, demy rassasié d'ailleurs, pour endormir
l'ardeur de cette fureur, et qui par l'aage, se trouue moins impuissant,
de ce qu'il est moins puissant: et tel autre, à qui il2
a serui aussi qu'vn amy l'ayt asseuré d'estre fourni d'vne contrebatterie
d'enchantemens certains, à le preseruer. Il vaut mieux, que ie
die comment ce fut. Vn Comte de tresbon lieu, de qui i'estoye
fort priué, se mariant auec vne belle dame, qui auoit esté poursuiuie
de tel qui assistoit à la feste, mettoit en grande peine ses amis:•
et nommément vne vieille dame sa parente, qui presidoit à ces
nopces, et les faisoit chez elle, craintiue de ces sorcelleries: ce
qu'elle me fit entendre. Ie la priay s'en reposer sur moy. I'auoye de
fortune en mes coffres, certaine petite piece d'or platte, où estoient
grauées quelques figures celestes, contre le coup du Soleil, et pour3
oster la douleur de teste, la logeant à point, sur la cousture du test:
et pour l'y tenir, elle estoit cousuë à vn ruban propre à rattacher
souz le menton. Resuerie germaine à celle dequoy nous parlons.
Iacques Peletier, viuant chez moy, m'auoit faict ce present singulier.
I'aduisay d'en tirer quelque vsage, et dis au Comte, qu'il pourroit•
courre fortune comme les autres, y ayant là des hommes pour
luy en vouloir prester vne; mais que hardiment il s'allast coucher:
que ie luy feroy vn tour d'amy: et n'espargneroys à son besoin, vn
miracle, qui estoit en ma puissance: pourueu que sur son honneur,
il me promist de le tenir tresfidelement secret. Seulement,4
comme sur la nuict on iroit luy porter le resueillon, s'il luy estoit
mal allé, il me fist vn tel signe. Il avoit eu l'ame et les oreilles si
battues, qu'il se trouua lié du trouble de son imagination: et me
feit son signe à l'heure susditte. Ie luy dis lors à l'oreille, qu'il se
leuast, souz couleur de nous chasser, et prinst en se iouant la•
robbe de nuict, que i'auoye sur moy (nous estions de taille fort
voisine) et s'en vestist, tant qu'il auroit executé mon ordonnance,
qui fut; Quand nous serions sortis, qu'il se retirast à tomber de
l'eaue: dist trois fois telles parolles: et fist tels mouuements. Qu'à
chascune de ces trois fois, il ceignist le ruban, que ie luy mettoys1
en main, et couchast bien soigneusement la medaille qui y estoit
attachée, sur ses roignons: la figure en telle posture. Cela faict,
ayant à la derniere fois bien estreint ce ruban, pour qu'il ne se
peust ny desnouer, ny mouuoir de sa place, qu'en toute asseurance
il s'en retournast à son prix faict: et n'oubliast de reietter ma•
robbe sur son lict, en maniere qu'elle les abriast tous deux. Ces
singeries sont le principal de l'effect. Nostre pensée ne se pouuant
desmesler, que moyens si estranges ne viennent de quelque abstruse
science. Leur inanité leur donne poids et reuerence. Somme
il fut certain, que mes characteres se trouuerent plus Veneriens2
que Solaires, plus en action qu'en prohibition. Ce fut vne humeur
prompte et curieuse, qui me conuia à tel effect, esloigné de ma nature.
Ie suis ennemy des actions subtiles et feintes: et hay la
finesse, en mes mains, non seulement recreatiue, mais aussi profitable.
Si l'action n'est vicieuse, la routte l'est. Amasis Roy d'Ægypte,•
espousa Laodice tresbelle fille Grecque: et luy, qui se montroit
gentil compagnon par tout ailleurs, se trouua court à iouïr
d'elle: et menaça de la tuer, estimant que ce fust quelque sorcerie.
Comme és choses qui consistent en fantasie, elle le reietta à la deuotion:
et ayant faict ses vœus et promesses à Venus, il se trouua3
diuinement remis, dés la premiere nuict, d'apres ses oblations et
sacrifices. Or elles ont tort de nous recueillir de ces contenances
mineuses, querelleuses et fuyardes, qui nous esteignent en nous
allumant. La bru de Pythagoras, disoit, que la femme qui se
couche auec vn homme, doit auec sa cotte laisser quant et quant la•
honte, et la reprendre auec sa cotte. L'ame de l'assaillant troublée
de plusieurs diuerses allarmes, se perd aisement. Et à qui l'imagination
a faict vne fois souffrir cette honte (et elle ne la fait souffrir
qu'aux premieres accointances, d'autant qu'elles sont plus ardantes
et aspres; et aussi qu'en cette premiere cognoissance qu'on donne
de soy, on craint beaucoup plus de faillir) ayant mal commencé, il
entre en fieure et despit de cet accident, qui luy dure aux occasions
suiuantes. Les mariez, le temps estant tout leur, ne doiuent ny•
presser ny taster leur entreprinse, s'ils ne sont prests. Et vault
mieux faillir indecemment, à estreiner la couche nuptiale, pleine
d'agitation et de fieure, attendant vne et vne autre commodité plus
priuée et moins allarmée, que de tomber en vne perpetuelle misere,
pour s'estre estonné et desesperé du premier refus. Auant la possession1
prinse, le patient se doibt à saillies et diuers temps, legerement
essayer et offrir, sans se piquer et opiniastrer, à se conuaincre
definitiuement soy-mesme. Ceux qui sçauent leurs membres de
nature dociles, qu'ils se soignent seulement de contre-pipper leur
fantasie. On a raison de remarquer l'indocile liberté de ce membre,•
s'ingerant si importunément lors que nous n'en auons que
faire, et defaillant si importunément lors que nous en auons le plus
affaire: et contestant de l'authorité, si imperieusement, auec nostre
volonté, refusant auec tant de fierté et d'obstination noz solicitations
et mentales et manuelles. Si toutesfois en ce qu'on gourmande2
sa rebellion, et qu'on en tire preuue de sa condemnation, il m'auoit
payé pour plaider sa cause: à l'aduenture mettroy-ie en souspeçon
noz autres membres ses compagnons, de luy estre allé dresser par
belle enuie, de l'importance et douceur de son vsage, cette querelle
apostée, et auoir par complot, armé le monde à l'encontre de luy,•
le chargeant malignement seul de leur faute commune. Car ie vous
donne à penser, s'il y a vne seule des parties de nostre corps, qui
ne refuse à nostre volonté souuent son operation, et qui souuent ne
s'exerce contre nostre volonté: elles ont chacune des passions
propres, qui les esueillent et endorment, sans nostre congé. A3
quant de fois tesmoignent les mouuements forcez de nostre visage,
les pensées que nous tenions secrettes, et nous trahissent aux
assistants? Cette mesme cause qui anime ce membre, anime aussi
sans nostre sceu, le cœur, le poulmon, et le pouls: la veue d'vn
obiect agreable, respandant imperceptiblement en nous la flamme•
d'vne emotion fieureuse. N'y a-il que ces muscles et ces veines,
qui s'eleuent et se couchent, sans l'adueu non seulement de nostre
volonté, mais aussi de notre pensée? Nous ne commandons pas à
noz cheueux de se herisser, et à nostre peau de fremir de desir ou
de crainte. La main se porte souuent où nous ne l'enuoyons pas.
La langue se transit, et la voix se fige à son heure. Lors mesme•
que n'ayans de quoy frire, nous le luy deffendrions volontiers,
l'appetit de manger et de boire ne laisse pas d'emouuoir les parties,
qui luy sont subiettes, ny plus ny moins que cet autre appetit: et
nous abandonne de mesme, hors de propos, quand bon luy semble.
Les vtils qui seruent à descharger le ventre, ont leurs propres1
dilatations et compressions, outre et contre nostre aduis, comme
ceux-cy destinés à descharger les roignons. Et ce que pour autorizer
la puissance de nostre volonté, Sainct Augustin allegue auoir
veu quelqu'vn, qui commandoit à son derriere autant de pets qu'il
en vouloit: et que Viues encherit d'vn autre exemple de son temps,•
de pets organizez, suiuants le ton des voix qu'on leur prononçoit,
ne suppose non plus pure l'obeissance de ce membre. Car en est-il
ordinairement de plus indiscret et tumultuaire? Ioint que i'en cognoy
vn, si turbulent et reuesche, qu'il y a quarante ans, qu'il tient
son maistre à peter d'vne haleine et d'vne obligation constante et2
irremittente, et le menne ainsin à la mort. Et pleust à Dieu, que ie
ne le sceusse que par les histoires, combien de fois nostre ventre
par le refus d'vn seul pet, nous menne iusques aux portes d'vne
mort tres-angoisseuse: et que l'Empereur qui nous donna liberté
de peter par tout, nous en eust donné le pouuoir. Mais nostre•
volonté, pour les droits de qui nous mettons en auant ce reproche,
combien plus vray-semblablement la pouuons nous marquer de
rebellion et sedition, par son des-reglement et desobeissance? Veut
elle tousiours ce que nous voudrions qu'elle voulsist? Ne veut elle
pas souuent ce que nous luy prohibons de vouloir; et à nostre3
euident dommage? se laisse elle non plus mener aux conclusions
de nostre raison? En fin, ie diroy pour monsieur ma partie, que
plaise à considerer, qu'en ce fait sa cause estant inseparablement
coniointe à vn consort, et indistinctement, on ne s'adresse pourtant
qu'à luy, et par les arguments et charges qui ne peuuent appartenir
à sondit consort. Car l'effect d'iceluy est bien de conuier inopportunement
par fois, mais refuser, iamais: et de conuier encore
tacitement et quietement. Partant se void l'animosité et illegalité
manifeste des accusateurs. Quoy qu'il en soit, protestant, que les•
Aduocats et Iuges ont beau quereller et sentencier: nature tirera
cependant son train: qui n'auroit faict que raison, quand elle
auroit doüé ce membre de quelque particulier priuilege. Autheur
du seul ouurage immortel, des mortels. Ouurage diuin selon Socrates:
et Amour desir d'immortalité, et Dæmon immortel luy1
mesmes. Tel à l'aduenture par cet effect de l'imagination, laisse
icy les escrouëlles, que son compagnon reporte en Espaigne.
Voyla pourquoy en telles choses l'on a accoustumé de demander
vne ame preparée. Pourquoy praticquent les Medecins auant main,
la creance de leur patient, auec tant de fausses promesses de sa•
guerison: si ce n'est afin que l'effect de l'imagination supplee
l'imposture de leur aposéme? Ils sçauent qu'vn des maistres de ce
mestier leur a laissé par escrit, qu'il s'est trouué des hommes à qui
la seule veuë de la medecine faisoit l'operation. Et tout ce caprice
m'est tombé presentement en main, sur le conte que me faisoit vn2
domestique apotiquaire de feu mon pere, homme simple et Souysse,
nation peu vaine et mensongiere: d'auoir cogneu long temps vn
marchand à Toulouse maladif et subiect à la pierre qui auoit,
souuent besoing de clysteres, et se les faisoit diuersement ordonner
aux Medecins, selon l'occurrence de son mal: apportez qu'ils•
estoyent, il n'y auoit rien obmis des formes accoustumées: souuent
il tastoit s'ils estoyent trop chauds: le voyla couché, renuersé, et
toutes les approches faictes, sauf qu'il ne s'y faisoit aucune iniection.
L'apotiquaire retiré apres cette ceremonie, le patient accommodé,
comme s'il auoit veritablement pris le clystere, il en3
sentoit pareil effect à ceux qui les prennent. Et si le Medecin n'en
trouuoit l'operation suffisante, il luy en redonnoit deux ou trois
autres, de mesme forme. Mon tesmoin iure, que pour espargner
la despence, car il les payoit, comme s'il les eut receus, la femme
de ce malade ayant quelquefois essayé d'y faire seulement mettre•
de l'eau tiede, l'effect en descouurit la fourbe; et pour auoir trouué
ceux-la inutiles, qu'il faulsit reuenir à la premiere façon. Vne
femme pensant auoir aualé vne espingle auec son pain, crioit et se
tourmentoit comme ayant vne douleur insupportable au gosier, où
elle pensoit la sentir arrestée: mais par ce qu'il n'y auoit ny enfleure
ny alteration par le dehors, vn habil'homme ayant iugé que
ce n'estoit que fantasie et opinion, prise de quelque morceau de
pain qui l'auoit picquée en passant, la fit vomir, et ietta à la desrobée•
dans ce qu'elle rendit, vne espingle tortue. Cette femme cuidant
l'auoir rendue, se sentit soudain deschargée de sa douleur. Ie
sçay qu'vn Gentil'homme ayant traicté chez luy vne bonne compagnie,
se vanta trois ou quatre iours apres par maniere de ieu, car
il n'en estoit rien, de leur auoir faict manger vn chat en paste:1
dequoy vne damoyselle de la troupe print telle horreur, qu'en
estant tombée en vn grand déuoyement d'estomac et fieure, il fut
impossible de la sauuer. Les bestes mesmes se voyent comme
nous, subiectes à la force de l'imagination: tesmoings les chiens,
qui se laissent mourir de dueil de la perte de leurs maistres: nous•
les voyons aussi iapper et tremousser en songe, hannir les cheuaux
et se debatre. Mais tout cecy se peut rapporter à l'estroite cousture
de l'esprit et du corps s'entre-communiquants leurs fortunes.
C'est autre chose; que l'imagination agisse quelque fois, non contre
son corps seulement, mais contre le corps d'autruy. Et tout2
ainsi qu'vn corps reiette son mal à son voisin, comme il se voit en
la peste, en la verolle, et au mal des yeux, qui se chargent de l'vn
à l'autre:
Dum spectant oculi læsos, læduntur et ipsi:
Multáque corporibus transitione nocent.•
pareillement l'imagination esbranlée auecques vehemence, eslance
des traits, qui puissent offencer l'obiect estrangier. L'ancienneté a
tenu de certaines femmes en Scythie, qu'animées et courroussées
contre quelqu'vn, elles le tuoient du seul regard. Les tortues, et
les autruches couuent leurs œufs de la seule veuë, signe qu'ils y3
ont quelque vertu eiaculatrice. Et quant aux sorciers, on les dit
auoir des yeux offensifs et nuisans.
Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.
Ce sont pour moy mauuais respondans que magiciens. Tant y a que
nous voyons par experience, les femmes enuoyer aux corps des•
enfans, qu'elles portent au ventre, des marques de leurs fantasies:
tesmoin celle qui engendra le More. Et il fut presenté à
Charles Roy de Boheme et Empereur, vne fille d'aupres de Pise
toute velue et herissée, que sa mere disoit auoir esté ainsi conceuë,
à cause d'vn' image de Sainct Iean Baptiste pendue en son lict.
dilatations et compressions, outre et contre nostre aduis, comme
ceux-cy destinés à descharger les roignons. Et ce que pour autorizer
la puissance de nostre volonté, Sainct Augustin allegue auoir
veu quelqu'vn, qui commandoit à son derriere autant de pets qu'il
en vouloit: et que Viues encherit d'vn autre exemple de son temps,•
de pets organizez, suiuants le ton des voix qu'on leur prononçoit,
ne suppose non plus pure l'obeissance de ce membre. Car en est-il
ordinairement de plus indiscret et tumultuaire? Ioint que i'en cognoy
vn, si turbulent et reuesche, qu'il y a quarante ans, qu'il tient
son maistre à peter d'vne haleine et d'vne obligation constante et2
irremittente, et le menne ainsin à la mort. Et pleust à Dieu, que ie
ne le sceusse que par les histoires, combien de fois nostre ventre
par le refus d'vn seul pet, nous menne iusques aux portes d'vne
mort tres-angoisseuse: et que l'Empereur qui nous donna liberté
de peter par tout, nous en eust donné le pouuoir. Mais nostre•
volonté, pour les droits de qui nous mettons en auant ce reproche,
combien plus vray-semblablement la pouuons nous marquer de
rebellion et sedition, par son des-reglement et desobeissance? Veut
elle tousiours ce que nous voudrions qu'elle voulsist? Ne veut elle
pas souuent ce que nous luy prohibons de vouloir; et à nostre3
euident dommage? se laisse elle non plus mener aux conclusions
de nostre raison? En fin, ie diroy pour monsieur ma partie, que
plaise à considerer, qu'en ce fait sa cause estant inseparablement
coniointe à vn consort, et indistinctement, on ne s'adresse pourtant
qu'à luy, et par les arguments et charges qui ne peuuent appartenir
à sondit consort. Car l'effect d'iceluy est bien de conuier inopportunement
par fois, mais refuser, iamais: et de conuier encore
tacitement et quietement. Partant se void l'animosité et illegalité
manifeste des accusateurs. Quoy qu'il en soit, protestant, que les•
Aduocats et Iuges ont beau quereller et sentencier: nature tirera
cependant son train: qui n'auroit faict que raison, quand elle
auroit doüé ce membre de quelque particulier priuilege. Autheur
du seul ouurage immortel, des mortels. Ouurage diuin selon Socrates:
et Amour desir d'immortalité, et Dæmon immortel luy1
mesmes. Tel à l'aduenture par cet effect de l'imagination, laisse
icy les escrouëlles, que son compagnon reporte en Espaigne.
Voyla pourquoy en telles choses l'on a accoustumé de demander
vne ame preparée. Pourquoy praticquent les Medecins auant main,
la creance de leur patient, auec tant de fausses promesses de sa•
guerison: si ce n'est afin que l'effect de l'imagination supplee
l'imposture de leur aposéme? Ils sçauent qu'vn des maistres de ce
mestier leur a laissé par escrit, qu'il s'est trouué des hommes à qui
la seule veuë de la medecine faisoit l'operation. Et tout ce caprice
m'est tombé presentement en main, sur le conte que me faisoit vn2
domestique apotiquaire de feu mon pere, homme simple et Souysse,
nation peu vaine et mensongiere: d'auoir cogneu long temps vn
marchand à Toulouse maladif et subiect à la pierre qui auoit,
souuent besoing de clysteres, et se les faisoit diuersement ordonner
aux Medecins, selon l'occurrence de son mal: apportez qu'ils•
estoyent, il n'y auoit rien obmis des formes accoustumées: souuent
il tastoit s'ils estoyent trop chauds: le voyla couché, renuersé, et
toutes les approches faictes, sauf qu'il ne s'y faisoit aucune iniection.
L'apotiquaire retiré apres cette ceremonie, le patient accommodé,
comme s'il auoit veritablement pris le clystere, il en3
sentoit pareil effect à ceux qui les prennent. Et si le Medecin n'en
trouuoit l'operation suffisante, il luy en redonnoit deux ou trois
autres, de mesme forme. Mon tesmoin iure, que pour espargner
la despence, car il les payoit, comme s'il les eut receus, la femme
de ce malade ayant quelquefois essayé d'y faire seulement mettre•
de l'eau tiede, l'effect en descouurit la fourbe; et pour auoir trouué
ceux-la inutiles, qu'il faulsit reuenir à la premiere façon. Vne
femme pensant auoir aualé vne espingle auec son pain, crioit et se
tourmentoit comme ayant vne douleur insupportable au gosier, où
elle pensoit la sentir arrestée: mais par ce qu'il n'y auoit ny enfleure
ny alteration par le dehors, vn habil'homme ayant iugé que
ce n'estoit que fantasie et opinion, prise de quelque morceau de
pain qui l'auoit picquée en passant, la fit vomir, et ietta à la desrobée•
dans ce qu'elle rendit, vne espingle tortue. Cette femme cuidant
l'auoir rendue, se sentit soudain deschargée de sa douleur. Ie
sçay qu'vn Gentil'homme ayant traicté chez luy vne bonne compagnie,
se vanta trois ou quatre iours apres par maniere de ieu, car
il n'en estoit rien, de leur auoir faict manger vn chat en paste:1
dequoy vne damoyselle de la troupe print telle horreur, qu'en
estant tombée en vn grand déuoyement d'estomac et fieure, il fut
impossible de la sauuer. Les bestes mesmes se voyent comme
nous, subiectes à la force de l'imagination: tesmoings les chiens,
qui se laissent mourir de dueil de la perte de leurs maistres: nous•
les voyons aussi iapper et tremousser en songe, hannir les cheuaux
et se debatre. Mais tout cecy se peut rapporter à l'estroite cousture
de l'esprit et du corps s'entre-communiquants leurs fortunes.
C'est autre chose; que l'imagination agisse quelque fois, non contre
son corps seulement, mais contre le corps d'autruy. Et tout2
ainsi qu'vn corps reiette son mal à son voisin, comme il se voit en
la peste, en la verolle, et au mal des yeux, qui se chargent de l'vn
à l'autre:
Dum spectant oculi læsos, læduntur et ipsi:
Multáque corporibus transitione nocent.•
pareillement l'imagination esbranlée auecques vehemence, eslance
des traits, qui puissent offencer l'obiect estrangier. L'ancienneté a
tenu de certaines femmes en Scythie, qu'animées et courroussées
contre quelqu'vn, elles le tuoient du seul regard. Les tortues, et
les autruches couuent leurs œufs de la seule veuë, signe qu'ils y3
ont quelque vertu eiaculatrice. Et quant aux sorciers, on les dit
auoir des yeux offensifs et nuisans.
Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos.
Ce sont pour moy mauuais respondans que magiciens. Tant y a que
nous voyons par experience, les femmes enuoyer aux corps des•
enfans, qu'elles portent au ventre, des marques de leurs fantasies:
tesmoin celle qui engendra le More. Et il fut presenté à
Charles Roy de Boheme et Empereur, vne fille d'aupres de Pise
toute velue et herissée, que sa mere disoit auoir esté ainsi conceuë,
à cause d'vn' image de Sainct Iean Baptiste pendue en son lict.