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Essais de Montaigne (self-édition) - Volume I
III
C'est faict mon cœur, quitons la liberté.•
Dequoy meshuy seruiroit la deffence,
Que d'agrandir et la peine et l'offence?
Plus ne suis fort, ainsi que i'ay esté.
La raison fust vn temps de mon costé,
Or reuoltée elle veut que ie pense2
Qu'il faut seruir, et prendre en recompence
Qu'oncq d'vn tel neud nul ne fust arresté.
S'il se faut rendre, alors il est saison,
Quand on n'a plus deuers soy la raison.
Je voy qu'amour, sans que ie le deserue,•
Sans aucun droict, se vient saisir de moy?
Et voy qu'encor il faut à ce grand Roy
Quand il a tort, que la raison luy serue.
C'est faict mon cœur, quitons la liberté.•
Dequoy meshuy seruiroit la deffence,
Que d'agrandir et la peine et l'offence?
Plus ne suis fort, ainsi que i'ay esté.
La raison fust vn temps de mon costé,
Or reuoltée elle veut que ie pense2
Qu'il faut seruir, et prendre en recompence
Qu'oncq d'vn tel neud nul ne fust arresté.
S'il se faut rendre, alors il est saison,
Quand on n'a plus deuers soy la raison.
Je voy qu'amour, sans que ie le deserue,•
Sans aucun droict, se vient saisir de moy?
Et voy qu'encor il faut à ce grand Roy
Quand il a tort, que la raison luy serue.
IIII
C'estoit alors, quand les chaleurs passées,
Le sale Automne aux cuues va foulant,3
Le raisin gras dessoubz le pied coulant,
Que mes douleurs furent encommencées.
Le paisan bat ses gerbes amassées,
Et aux caueaux ses bouillans muis roulant,
Et des fruitiers son automne croulant,
Se vange lors des peines aduancées.
Seroit ce point vn presage donné•
Que mon espoir est des-ja moissonné?
Non certes, non. Mais pour certain ie pense,
I'auray, si bien à deuiner i'entends,
Si l'on peut rien prognostiquer du temps,
Quelque grand fruict de ma longue esperance.1
C'estoit alors, quand les chaleurs passées,
Le sale Automne aux cuues va foulant,3
Le raisin gras dessoubz le pied coulant,
Que mes douleurs furent encommencées.
Le paisan bat ses gerbes amassées,
Et aux caueaux ses bouillans muis roulant,
Et des fruitiers son automne croulant,
Se vange lors des peines aduancées.
Seroit ce point vn presage donné•
Que mon espoir est des-ja moissonné?
Non certes, non. Mais pour certain ie pense,
I'auray, si bien à deuiner i'entends,
Si l'on peut rien prognostiquer du temps,
Quelque grand fruict de ma longue esperance.1
V
I'ay veu ses yeux perçans, i'ay veu sa face claire:
(Nul iamais sans son dam ne regarde les dieux)
Froit, sans cœur me laissa son œil victorieux,
Tout estourdy du coup de sa forte lumiere.
Comme vn surpris de nuit aux champs quand il esclaire•
Estonné, se pallist si la fleche des cieux
Sifflant luy passe contre, et luy serre les yeux,
Il tremble, et veoit, transi, Iupiter en colere.
Dy moy Madame, au vray, dy moy si tes yeux vertz
Ne sont pas ceux qu'on dit que l'amour tient couuertz?2
Tu les auois, ie croy, la fois que ie t'ay veüe,
Au moins il me souuient, qu'il me fust lors aduis
Qu'amour, tout à vn coup, quand premier ie te vis,
Desbanda dessus moy, et son arc, et sa veüe.
I'ay veu ses yeux perçans, i'ay veu sa face claire:
(Nul iamais sans son dam ne regarde les dieux)
Froit, sans cœur me laissa son œil victorieux,
Tout estourdy du coup de sa forte lumiere.
Comme vn surpris de nuit aux champs quand il esclaire•
Estonné, se pallist si la fleche des cieux
Sifflant luy passe contre, et luy serre les yeux,
Il tremble, et veoit, transi, Iupiter en colere.
Dy moy Madame, au vray, dy moy si tes yeux vertz
Ne sont pas ceux qu'on dit que l'amour tient couuertz?2
Tu les auois, ie croy, la fois que ie t'ay veüe,
Au moins il me souuient, qu'il me fust lors aduis
Qu'amour, tout à vn coup, quand premier ie te vis,
Desbanda dessus moy, et son arc, et sa veüe.
VI
Ce dit maint vn de moy, de quoy se plaint il tant,•
Perdant ses ans meilleurs en chose si legiere?
Qu'a il tant à crier, si encore il espere?
Et s'il n'espere rien, pourquoy n'est il content?
Quand i'estois libre et sain i'en disois bien autant.
Mais certes celuy là n'a la raison entiere,3
Ains a le cœur gasté de quelque rigueur fiere,
S'il se plaint de ma plainte, et mon mal il n'entend.
Amour tout à vn coup de cent douleurs me point,
Et puis l'on m'aduertit que ie ne crie point.
Si vain ie ne suis pas que mon mal i'agrandisse•
A force de parler: s'on m'en peut exempter,
Ie quitte les sonnetz, ie quitte le chanter.
Qui me deffend le deuil, celuy là me guerisse.
Ce dit maint vn de moy, de quoy se plaint il tant,•
Perdant ses ans meilleurs en chose si legiere?
Qu'a il tant à crier, si encore il espere?
Et s'il n'espere rien, pourquoy n'est il content?
Quand i'estois libre et sain i'en disois bien autant.
Mais certes celuy là n'a la raison entiere,3
Ains a le cœur gasté de quelque rigueur fiere,
S'il se plaint de ma plainte, et mon mal il n'entend.
Amour tout à vn coup de cent douleurs me point,
Et puis l'on m'aduertit que ie ne crie point.
Si vain ie ne suis pas que mon mal i'agrandisse•
A force de parler: s'on m'en peut exempter,
Ie quitte les sonnetz, ie quitte le chanter.
Qui me deffend le deuil, celuy là me guerisse.
VII
Quant à chanter ton los, par fois ie m'aduenture,
Sans oser ton grand nom, dans mes vers exprimer,•
Sondant le moins profond de cette large mer,
Ie tremble de m'y perdre, et aux riues m'asseure.
Ie crains en loüant mal, que ie te face iniure.
Mais le peuple estonné d'ouir tant t'estimer,
Ardant de te connoistre, essaie à te nommer,1
Et cherchant ton sainct nom ainsi à l'aduenture,
Esbloui n'attaint pas à veoir chose si claire,
Et ne te trouue point ce grossier populaire,
Qui n'ayant qu'vn moyen, ne voit pas celuy là:
C'est que s'il peut trier, la comparaison faicte•
Des parfaictes du monde, vne la plus parfaicte,
Lors s'il a voix, qu'il crie hardimant la voyla.
Quant à chanter ton los, par fois ie m'aduenture,
Sans oser ton grand nom, dans mes vers exprimer,•
Sondant le moins profond de cette large mer,
Ie tremble de m'y perdre, et aux riues m'asseure.
Ie crains en loüant mal, que ie te face iniure.
Mais le peuple estonné d'ouir tant t'estimer,
Ardant de te connoistre, essaie à te nommer,1
Et cherchant ton sainct nom ainsi à l'aduenture,
Esbloui n'attaint pas à veoir chose si claire,
Et ne te trouue point ce grossier populaire,
Qui n'ayant qu'vn moyen, ne voit pas celuy là:
C'est que s'il peut trier, la comparaison faicte•
Des parfaictes du monde, vne la plus parfaicte,
Lors s'il a voix, qu'il crie hardimant la voyla.
VIII
Quand viendra ce iour la, que ton nom au vray passe
Par France, dans mes vers? combien et quantes fois
S'en empresse mon cœur, s'en demangent mes doits?2
Souuent dans mes escrits de soy mesme il prend place.
Maugré moy ie t'escris, maugré moy ie t'efface.
Quand astrée viendroit et la foy et le droit,
Alors ioyeux ton nom au monde se rendroit.
Ores c'est à ce temps, que cacher il te face,•
C'est à ce temps maling vne grande vergogne
Donc Madame tandis tu seras ma Dourdouigne.
Toutesfois laisse moy, laisse moy ton nom mettre,
Ayez pitié du temps, si au iour ie te metz,
Si le temps ce cognoist, lors ie te le prometz,3
Lors il sera doré, s'il le doit iamais estre.
Quand viendra ce iour la, que ton nom au vray passe
Par France, dans mes vers? combien et quantes fois
S'en empresse mon cœur, s'en demangent mes doits?2
Souuent dans mes escrits de soy mesme il prend place.
Maugré moy ie t'escris, maugré moy ie t'efface.
Quand astrée viendroit et la foy et le droit,
Alors ioyeux ton nom au monde se rendroit.
Ores c'est à ce temps, que cacher il te face,•
C'est à ce temps maling vne grande vergogne
Donc Madame tandis tu seras ma Dourdouigne.
Toutesfois laisse moy, laisse moy ton nom mettre,
Ayez pitié du temps, si au iour ie te metz,
Si le temps ce cognoist, lors ie te le prometz,3
Lors il sera doré, s'il le doit iamais estre.
IX
O entre tes beautez, que ta constance est belle.
C'est ce cœur asseuré, ce courage constant,
C'est parmy tes vertus, ce que l'on prise tant:
Aussi qu'est-il plus beau, qu'vne amitié fidelle?•
Or ne charge donc rien de ta sœur infidele,
De Vesere ta sœur: elle va s'escartant
Tousiours flotant mal seure en son cours inconstant.
Voy tu comme à leur gré les vens se ioüent d'elle?
Et ne te repens point pour droict de ton aisnage•
D'auoir des-ia choisi la constance en partage.
Mesme race porta l'amitié souueraine
Des bons iumeaux, desquels l'vn à l'autre despart
Du ciel et de l'enfer la moitié de sa part,
Et l'amour diffamé de la trop belle Heleine.1
O entre tes beautez, que ta constance est belle.
C'est ce cœur asseuré, ce courage constant,
C'est parmy tes vertus, ce que l'on prise tant:
Aussi qu'est-il plus beau, qu'vne amitié fidelle?•
Or ne charge donc rien de ta sœur infidele,
De Vesere ta sœur: elle va s'escartant
Tousiours flotant mal seure en son cours inconstant.
Voy tu comme à leur gré les vens se ioüent d'elle?
Et ne te repens point pour droict de ton aisnage•
D'auoir des-ia choisi la constance en partage.
Mesme race porta l'amitié souueraine
Des bons iumeaux, desquels l'vn à l'autre despart
Du ciel et de l'enfer la moitié de sa part,
Et l'amour diffamé de la trop belle Heleine.1
X
Ie voy bien, ma Dourdouigne encore humble tu vas:
De te monstrer Gasconne en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue, on fait ores grand conte,
Si a il bien esté quelquefois aussi bas.
Voys tu le petit Loir comme il haste le pas?•
Comme des-ia parmy les plus grands il se conte?
Comme il marche hautain d'vne course plus prompte
Tout à costé du Mince, et il ne s'en plaint pas?
Un seul Oliuier d'Arne enté au bord de Loire,
Le faict courir plus braue et luy donne sa gloire.2
Laisse, laisse moy faire. Et vn iour ma Dourdouigne,
Si ie deuine bien, on te cognoistra mieux:
Et Garonne, et le Rhone, et ces autres grands Dieux
En auront quelque enuie, et possible vergoigne.
Ie voy bien, ma Dourdouigne encore humble tu vas:
De te monstrer Gasconne en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue, on fait ores grand conte,
Si a il bien esté quelquefois aussi bas.
Voys tu le petit Loir comme il haste le pas?•
Comme des-ia parmy les plus grands il se conte?
Comme il marche hautain d'vne course plus prompte
Tout à costé du Mince, et il ne s'en plaint pas?
Un seul Oliuier d'Arne enté au bord de Loire,
Le faict courir plus braue et luy donne sa gloire.2
Laisse, laisse moy faire. Et vn iour ma Dourdouigne,
Si ie deuine bien, on te cognoistra mieux:
Et Garonne, et le Rhone, et ces autres grands Dieux
En auront quelque enuie, et possible vergoigne.
XI
Toy qui oys mes souspirs, ne me sois rigoureux•
Si mes larmes apart toutes miennes ie verse,
Si mon amour ne suit en sa douleur diuerse
Du Florentin transi les regrets languoreux,
Ny de Catulle aussi, le folastre amoureux,
Qui le cœur de sa dame en chatouillant luy perce,3
Ny le sçauant amour du migregeois Properce
Ils n'ayment pas pour moy, ie n'ayme pas pour eux.
Qui pourra sur autruy ses douleurs limiter,
Celuy pourra d'autruy les plaintes imiter:
Chacun sent son tourment, et sçait ce qu'il endure.•
Chacun parla d'amour ainsi qu'il l'entendit.
Ie dis ce que mon cœur, ce que mon mal me dict.
Que celuy ayme peu, qui ayme à la mesure.
Toy qui oys mes souspirs, ne me sois rigoureux•
Si mes larmes apart toutes miennes ie verse,
Si mon amour ne suit en sa douleur diuerse
Du Florentin transi les regrets languoreux,
Ny de Catulle aussi, le folastre amoureux,
Qui le cœur de sa dame en chatouillant luy perce,3
Ny le sçauant amour du migregeois Properce
Ils n'ayment pas pour moy, ie n'ayme pas pour eux.
Qui pourra sur autruy ses douleurs limiter,
Celuy pourra d'autruy les plaintes imiter:
Chacun sent son tourment, et sçait ce qu'il endure.•
Chacun parla d'amour ainsi qu'il l'entendit.
Ie dis ce que mon cœur, ce que mon mal me dict.
Que celuy ayme peu, qui ayme à la mesure.
XII
Quoy? qu'est-ce? ô vens, ô nues, ô l'orage!
A point nommé, quand d'elle m'aprochant•
Les bois, les monts, les baisses vois tranchant
Sur moy d'aguest vous poussez vostre rage.
Ores mon cœur s'embrase d'auantage.
Allez, allez faire peur au marchant,
Qui dans la mer les thresors va cherchant:1
Ce n'est ainsi, qu'on m'abbat le courage.
Quand i'oy les vents, leur tempeste et leurs cris,
De leur malice, en mon cœur ie me ris.
Me pensent ils pour cela faire rendre?
Face le ciel du pire, et l'air aussi:•
Ie veux, ie veux, et le declaire ainsi
S'il faut mourir, mourir comme Leandre.
Quoy? qu'est-ce? ô vens, ô nues, ô l'orage!
A point nommé, quand d'elle m'aprochant•
Les bois, les monts, les baisses vois tranchant
Sur moy d'aguest vous poussez vostre rage.
Ores mon cœur s'embrase d'auantage.
Allez, allez faire peur au marchant,
Qui dans la mer les thresors va cherchant:1
Ce n'est ainsi, qu'on m'abbat le courage.
Quand i'oy les vents, leur tempeste et leurs cris,
De leur malice, en mon cœur ie me ris.
Me pensent ils pour cela faire rendre?
Face le ciel du pire, et l'air aussi:•
Ie veux, ie veux, et le declaire ainsi
S'il faut mourir, mourir comme Leandre.
XIII
Vous qui aimer encore ne sçauez,
Ores m'oyant parler de mon Leandre,
Ou iamais non, vous y debuez aprendre,2
Si rien de bon dans le cœur vous auez.
Il oza bien branlant ses bras lauez,
Armé d'amour, contre l'eau se deffendre,
Qui pour tribut la fille voulut prendre,
Ayant le frere et le mouton sauuez.•
Vn soir vaincu par les flos rigoureux,
Voyant des-ia, ce vaillant amoureux,
Que l'eau maistresse à son plaisir le tourne:
Parlant aux flos, leur iecta cette voix:
Pardonnez moy maintenant que i'y veois,3
Et gardez moy la mort, quand ie retourne.
Vous qui aimer encore ne sçauez,
Ores m'oyant parler de mon Leandre,
Ou iamais non, vous y debuez aprendre,2
Si rien de bon dans le cœur vous auez.
Il oza bien branlant ses bras lauez,
Armé d'amour, contre l'eau se deffendre,
Qui pour tribut la fille voulut prendre,
Ayant le frere et le mouton sauuez.•
Vn soir vaincu par les flos rigoureux,
Voyant des-ia, ce vaillant amoureux,
Que l'eau maistresse à son plaisir le tourne:
Parlant aux flos, leur iecta cette voix:
Pardonnez moy maintenant que i'y veois,3
Et gardez moy la mort, quand ie retourne.
XIIII
O cœur leger, ô courage mal seur,
Penses-tu plus que souffrir ie te puisse?
O bontez creuze, ô couuerte malice,
Traitre beauté, venimeuse douceur,•
Tu estois donc tousiours sœur de ta sœur?
Et moy trop simple il falloit que i'en fisse
L'essay sur moy? et que tard i'entendisse
Ton parler double et tes chants de chasseur?
Depuis le iour que i'ay prins à t'aimer,•
I'eusse vaincu les vagues de la mer.
Qu'est-ce meshuy que ie pourrais attendre?
Comment de toy pourrais i'estre content?
Qui apprendra ton cœur d'estre constant,
Puis que le mien ne le luy peut aprendre?1
O cœur leger, ô courage mal seur,
Penses-tu plus que souffrir ie te puisse?
O bontez creuze, ô couuerte malice,
Traitre beauté, venimeuse douceur,•
Tu estois donc tousiours sœur de ta sœur?
Et moy trop simple il falloit que i'en fisse
L'essay sur moy? et que tard i'entendisse
Ton parler double et tes chants de chasseur?
Depuis le iour que i'ay prins à t'aimer,•
I'eusse vaincu les vagues de la mer.
Qu'est-ce meshuy que ie pourrais attendre?
Comment de toy pourrais i'estre content?
Qui apprendra ton cœur d'estre constant,
Puis que le mien ne le luy peut aprendre?1
XV
Ce n'est pas moy que l'on abuse ainsi:
Qu'à quelque enfant ses ruses on employe,
Qui n'a nul goust, qui n'entend rien qu'il oye:
Ie sçay aymer, ie sçay hayr aussi.
Contente toy de m'auoir iusqu'icy•
Fermé les yeux, il est temps que i'y voye:
Et que mes-huy, las et honteux ie soye
D'auoir mal mis mon temps et mon soucy,
Oserois tu m'ayant ainsi traicté
Parler à moy iamais de fermeté?2
Tu prens plaisir à ma douleur extreme:
Tu me deffends de sentir mon tourment:
Et si veux bien que ie meure en t'aimant.
Si ie ne sens, comment veux-tu que i'ayme?
Ce n'est pas moy que l'on abuse ainsi:
Qu'à quelque enfant ses ruses on employe,
Qui n'a nul goust, qui n'entend rien qu'il oye:
Ie sçay aymer, ie sçay hayr aussi.
Contente toy de m'auoir iusqu'icy•
Fermé les yeux, il est temps que i'y voye:
Et que mes-huy, las et honteux ie soye
D'auoir mal mis mon temps et mon soucy,
Oserois tu m'ayant ainsi traicté
Parler à moy iamais de fermeté?2
Tu prens plaisir à ma douleur extreme:
Tu me deffends de sentir mon tourment:
Et si veux bien que ie meure en t'aimant.
Si ie ne sens, comment veux-tu que i'ayme?
XVI
O l'ay ie dict? helas l'ay ie songé?•
Ou si pour vray i'ay dict blaspheme telle?
S'a fauce langue, il faut que l'honneur d'elle
De moy, par moy, desus moy, soit vangé,
Mon cœur chez toy, ô madame, est logé:
Là donne luy quelque geene nouuelle:3
Fais luy souffrir quelque peine cruelle:
Fais, fais luy tout, fors luy donner congé.
Or seras tu (ie le sçay) trop humaine,
Et ne pourras longuement voir ma peine.
Mais vn tel faict, faut il qu'il se pardonne?•
A tout le moins haut ie me desdiray
De mes sonnets, et me desmentiray,
Pour ces deux faux, cinq cent vrais ie t'en donne.
O l'ay ie dict? helas l'ay ie songé?•
Ou si pour vray i'ay dict blaspheme telle?
S'a fauce langue, il faut que l'honneur d'elle
De moy, par moy, desus moy, soit vangé,
Mon cœur chez toy, ô madame, est logé:
Là donne luy quelque geene nouuelle:3
Fais luy souffrir quelque peine cruelle:
Fais, fais luy tout, fors luy donner congé.
Or seras tu (ie le sçay) trop humaine,
Et ne pourras longuement voir ma peine.
Mais vn tel faict, faut il qu'il se pardonne?•
A tout le moins haut ie me desdiray
De mes sonnets, et me desmentiray,
Pour ces deux faux, cinq cent vrais ie t'en donne.
XVII
Si ma raison en moy s'est peu remettre,
Si recouurer astheure ie me puis,•
Si i'ay du sens, si plus homme ie suis
Ie t'en mercie, ô bien heureuse lettre.
Qui m'eust (helas) qui m'eust sçeu recognoistre
Lors qu'enragé vaincu de mes ennuys,
En blasphemant madame ie poursuis?1
De loing, honteux, ie te vis lors paroistre
O sainct papier, alors ie me reuins,
Et deuers toy deuotement ie vins.
Ie te donrois vn autel pour ce faict,
Qu'on vist les traicts de cette main diuine.
Mais de les voir aucun homme n'est digne,•
Ny moy aussi, s'elle ne m'en eust faict.
Si ma raison en moy s'est peu remettre,
Si recouurer astheure ie me puis,•
Si i'ay du sens, si plus homme ie suis
Ie t'en mercie, ô bien heureuse lettre.
Qui m'eust (helas) qui m'eust sçeu recognoistre
Lors qu'enragé vaincu de mes ennuys,
En blasphemant madame ie poursuis?1
De loing, honteux, ie te vis lors paroistre
O sainct papier, alors ie me reuins,
Et deuers toy deuotement ie vins.
Ie te donrois vn autel pour ce faict,
Qu'on vist les traicts de cette main diuine.
Mais de les voir aucun homme n'est digne,•
Ny moy aussi, s'elle ne m'en eust faict.
XVIII
I'estois prest d'encourir pour iamais quelque blasme.
De colere eschauffé mon courage brusloit,
Ma fole voix au gré de ma fureur branloit,
Ie despitois les dieux, et encore ma dame.2
Lors qu'elle de loing iette vn breuet dans ma flamme
Ie le sentis soudain comme il me rabilloit,
Qu'aussi tost deuant luy ma fureur s'en alloit,
Qu'il me rendoit, vainqueur, en sa place mon ame.
Entre vous, qui de moy, ces merueilles oyez,•
Que me dites vous d'elle? et ie vous prie voyez,
S'ainsi comme ie fais, adorer ie la dois?
Quels miracles en moy, pensez vous qu'elle fasse
De son œil tout puissant, ou d'vn ray de sa face.
Puis qu'en moy firent tant les traces de ses doigts.3
I'estois prest d'encourir pour iamais quelque blasme.
De colere eschauffé mon courage brusloit,
Ma fole voix au gré de ma fureur branloit,
Ie despitois les dieux, et encore ma dame.2
Lors qu'elle de loing iette vn breuet dans ma flamme
Ie le sentis soudain comme il me rabilloit,
Qu'aussi tost deuant luy ma fureur s'en alloit,
Qu'il me rendoit, vainqueur, en sa place mon ame.
Entre vous, qui de moy, ces merueilles oyez,•
Que me dites vous d'elle? et ie vous prie voyez,
S'ainsi comme ie fais, adorer ie la dois?
Quels miracles en moy, pensez vous qu'elle fasse
De son œil tout puissant, ou d'vn ray de sa face.
Puis qu'en moy firent tant les traces de ses doigts.3
XIX
Ie tremblois deuant elle, et attendois, transi,
Pour venger mon forfaict quelque iuste sentence,
A moy mesme consent du poids de mon offence,
Lors qu'elle me dict, va, ie te prens à mercy.
Que mon loz desormais par tout soit esclarcy:
Employe là tes ans: et sans plus, mes-huy pense
D'enrichir de mon nom par tes vers nostre France,
Couure de vers ta faute, et paye moy ainsi.
Sus donc ma plume, il faut, pour iouyr de ma peine•
Courir par sa grandeur, d'vne plus large veine.
Mais regarde à son œil, qu'il ne nous abandonne.
Sans ses yeux, nos esprits se mourroient languissants.
Ils nous donnent le cœur, ils nous donnent le sens.
Pour se payer de moy, il faut qu'elle me donne.1
Ie tremblois deuant elle, et attendois, transi,
Pour venger mon forfaict quelque iuste sentence,
A moy mesme consent du poids de mon offence,
Lors qu'elle me dict, va, ie te prens à mercy.
Que mon loz desormais par tout soit esclarcy:
Employe là tes ans: et sans plus, mes-huy pense
D'enrichir de mon nom par tes vers nostre France,
Couure de vers ta faute, et paye moy ainsi.
Sus donc ma plume, il faut, pour iouyr de ma peine•
Courir par sa grandeur, d'vne plus large veine.
Mais regarde à son œil, qu'il ne nous abandonne.
Sans ses yeux, nos esprits se mourroient languissants.
Ils nous donnent le cœur, ils nous donnent le sens.
Pour se payer de moy, il faut qu'elle me donne.1
XX
O vous maudits sonnets, vous qui printes l'audace
De toucher à madame: ô malings et peruers,
Des Muses le reproche, et honte de mes vers:
Si ie vous feis iamais, s'il faut que ie me fasse
Ce tort de confesser vous tenir de ma race,•
Lors pour vous, les ruisseaux ne furent pas ouuerts
D'Appollon le doré, des muses aux yeux verts,
Mais vous receut naissants Tisiphone en leur place.
Si i'ay oncq quelque part à la postérité
Ie veux que l'vn et l'autre en soit desherité.
Et si au feu vangeur des or ie ne vous donne,2
C'est pour vous diffamer, viuez chetifs, viuez,
Viuez aux yeux de tous, de tout honneur priuez
Car c'est pour vous punir, qu'ores ie vous pardonne.
O vous maudits sonnets, vous qui printes l'audace
De toucher à madame: ô malings et peruers,
Des Muses le reproche, et honte de mes vers:
Si ie vous feis iamais, s'il faut que ie me fasse
Ce tort de confesser vous tenir de ma race,•
Lors pour vous, les ruisseaux ne furent pas ouuerts
D'Appollon le doré, des muses aux yeux verts,
Mais vous receut naissants Tisiphone en leur place.
Si i'ay oncq quelque part à la postérité
Ie veux que l'vn et l'autre en soit desherité.
Et si au feu vangeur des or ie ne vous donne,2
C'est pour vous diffamer, viuez chetifs, viuez,
Viuez aux yeux de tous, de tout honneur priuez
Car c'est pour vous punir, qu'ores ie vous pardonne.
XXI
N'ayez plus mes amis, n'ayez plus cette enuie•
Que ie cesse d'aimer, laissez moy obstiné,
Viure et mourir ainsi, puis qu'il est ordonné,
Mon amour c'est le fil, auquel se tient ma vie.
Ainsi me dict la fée, ainsi en Æagrie
Elle feit Meleagre à l'amour destiné,3
Et alluma sa souche à l'heure qu'il fust né,
Et dict, toy, et ce feu, tenez vous compaignie.
Elle le dict ainsi, et la fin ordonnée
Suyuit apres le fil de cette destinée,
La souche (ce dict lon) au feu fut consommée,•
Et deslors (grand miracle) en vn mesme moment
On veid tout à vn coup, du miserable amant
La vie et le tison, s'en aller en fumée.
N'ayez plus mes amis, n'ayez plus cette enuie•
Que ie cesse d'aimer, laissez moy obstiné,
Viure et mourir ainsi, puis qu'il est ordonné,
Mon amour c'est le fil, auquel se tient ma vie.
Ainsi me dict la fée, ainsi en Æagrie
Elle feit Meleagre à l'amour destiné,3
Et alluma sa souche à l'heure qu'il fust né,
Et dict, toy, et ce feu, tenez vous compaignie.
Elle le dict ainsi, et la fin ordonnée
Suyuit apres le fil de cette destinée,
La souche (ce dict lon) au feu fut consommée,•
Et deslors (grand miracle) en vn mesme moment
On veid tout à vn coup, du miserable amant
La vie et le tison, s'en aller en fumée.
XXII
Quand tes yeux conquerans estonné ie regarde,
I'y veoy dedans à clair tout mon espoir escript,•
I'y veoy dedans amour, luy mesme qui me rit,
Et m'y monstre mignard le bon heur qu'il me garde.
Mais quand de te parler par fois ie me hazarde,
C'est lors que mon espoir desseiché se tarit.
Et d'aduouer iamais ton œil, qui me nourrit,1
D'vn seul mot de saueur, cruelle tu n'as garde.
Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que ie dis,
Ce sont ceux-là, sans plus, à qui ie me rendis.
Mon Dieu quelle querelle en toy mesme se dresse,
Si ta bouche et tes yeux se veulent desmentir.•
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les departir,
Et que ie prenne au mot de tes yeux la promesse.
Quand tes yeux conquerans estonné ie regarde,
I'y veoy dedans à clair tout mon espoir escript,•
I'y veoy dedans amour, luy mesme qui me rit,
Et m'y monstre mignard le bon heur qu'il me garde.
Mais quand de te parler par fois ie me hazarde,
C'est lors que mon espoir desseiché se tarit.
Et d'aduouer iamais ton œil, qui me nourrit,1
D'vn seul mot de saueur, cruelle tu n'as garde.
Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que ie dis,
Ce sont ceux-là, sans plus, à qui ie me rendis.
Mon Dieu quelle querelle en toy mesme se dresse,
Si ta bouche et tes yeux se veulent desmentir.•
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les departir,
Et que ie prenne au mot de tes yeux la promesse.
XXIII
Ce sont tes yeux tranchans qui me font le courage
Ie veoy saulter dedans la gaye liberté,
Et mon petit archer, qui mene à son costé2
La belle gaillardise et plaisir le volage.
Mais apres, la rigueur de ton triste langage
Me montre dans ton cœur la fiere honnesteté
Et condamné ie veoy la dure chasteté,
Là grauement assise et la vertu sauuage,•
Ainsi mon temps diuers par ces vagues se passe.
Ores son œil m'appelle, or sa bouche me chasse.
Helas, en cest estrif, combien ay i'enduré.
Et puis qu'on pense auoir d'amour quelque asseurance,
Sans cesse nuict et iour à la seruir ie pense,3
Ny encor de mon mal, ne puis estre asseuré.
Ce sont tes yeux tranchans qui me font le courage
Ie veoy saulter dedans la gaye liberté,
Et mon petit archer, qui mene à son costé2
La belle gaillardise et plaisir le volage.
Mais apres, la rigueur de ton triste langage
Me montre dans ton cœur la fiere honnesteté
Et condamné ie veoy la dure chasteté,
Là grauement assise et la vertu sauuage,•
Ainsi mon temps diuers par ces vagues se passe.
Ores son œil m'appelle, or sa bouche me chasse.
Helas, en cest estrif, combien ay i'enduré.
Et puis qu'on pense auoir d'amour quelque asseurance,
Sans cesse nuict et iour à la seruir ie pense,3
Ny encor de mon mal, ne puis estre asseuré.
XXIIII
Or dis-ie bien, mon esperance est morte.
Or est-ce faict de mon aise et mon bien.
Mon mal est clair: maintenant ie veoy bien,
I'ay espousé la douleur que ie porte.•
Tout me court sus, rien ne me reconforte,
Tout m'abandonne et d'elle ie n'ay rien,
Sinon tousiours quelque nouueau soustien,
Qui rend ma peine et ma douleur plus forte.
Ce que i'attends, c'est vn iour d'obtenir•
Quelques soupirs des gens de l'aduenir:
Quelqu'vn dira dessus moy par pitié:
Sa dame et luy nasquirent destinez,
Egalement de mourir obstinez,
L'vn en rigueur, et l'autre en amitié.1
Or dis-ie bien, mon esperance est morte.
Or est-ce faict de mon aise et mon bien.
Mon mal est clair: maintenant ie veoy bien,
I'ay espousé la douleur que ie porte.•
Tout me court sus, rien ne me reconforte,
Tout m'abandonne et d'elle ie n'ay rien,
Sinon tousiours quelque nouueau soustien,
Qui rend ma peine et ma douleur plus forte.
Ce que i'attends, c'est vn iour d'obtenir•
Quelques soupirs des gens de l'aduenir:
Quelqu'vn dira dessus moy par pitié:
Sa dame et luy nasquirent destinez,
Egalement de mourir obstinez,
L'vn en rigueur, et l'autre en amitié.1
XXV
I'ay tant vescu, chetif, en ma langueur,
Qu'or i'ay veu rompre, et suis encor en vie,
Mon esperance auant mes yeux rauie,
Contre l'escueil de sa fiere rigueur.
Que m'a seruy de tant d'ans la longueur?•
Elle n'est pas de ma peine assouuie:
Elle s'en rit, et n'a point d'autre enuie,
Que de tenir mon mal en sa vigueur.
Donques i'auray, mal'heureux en aimant
Tousiours vn cœur, tousiours nouueau tourment.2
Ie me sens bien que i'en suis hors d'halaine,
Prest à laisser la vie soubs le faix:
Qu'y feroit-on sinon ce que ie fais?
Piqué du mal, ie m'obstine en ma peine.
I'ay tant vescu, chetif, en ma langueur,
Qu'or i'ay veu rompre, et suis encor en vie,
Mon esperance auant mes yeux rauie,
Contre l'escueil de sa fiere rigueur.
Que m'a seruy de tant d'ans la longueur?•
Elle n'est pas de ma peine assouuie:
Elle s'en rit, et n'a point d'autre enuie,
Que de tenir mon mal en sa vigueur.
Donques i'auray, mal'heureux en aimant
Tousiours vn cœur, tousiours nouueau tourment.2
Ie me sens bien que i'en suis hors d'halaine,
Prest à laisser la vie soubs le faix:
Qu'y feroit-on sinon ce que ie fais?
Piqué du mal, ie m'obstine en ma peine.
XXVI
Puis qu'ainsi sont mes dures destinées,•
I'en saouleray, si ie puis, mon soucy.
Si i'ay du mal, elle le veut aussi.
I'accompliray mes peines ordonnées.
Nymphes des bois qui auez estonnées,
De mes douleurs, ie croy quelque mercy,3
Qu'en pensez vous? puis-ie durer ainsi,
Si à mes maux trefues ne sont donnees?
Or si quelqu'vne à m'escouter s'encline,
Oyez pour Dieu ce qu'ores ie deuine.
Le iour est pres que mes forces ia vaines•
Ne pourront plus fournir à mon tourment.
C'est mon espoir, si ie meurs en aymant,
A donc, ie croy, failliray-ie à mes peines.
Puis qu'ainsi sont mes dures destinées,•
I'en saouleray, si ie puis, mon soucy.
Si i'ay du mal, elle le veut aussi.
I'accompliray mes peines ordonnées.
Nymphes des bois qui auez estonnées,
De mes douleurs, ie croy quelque mercy,3
Qu'en pensez vous? puis-ie durer ainsi,
Si à mes maux trefues ne sont donnees?
Or si quelqu'vne à m'escouter s'encline,
Oyez pour Dieu ce qu'ores ie deuine.
Le iour est pres que mes forces ia vaines•
Ne pourront plus fournir à mon tourment.
C'est mon espoir, si ie meurs en aymant,
A donc, ie croy, failliray-ie à mes peines.
XXVII
Lors que lasse est, de me lasser ma peine,
Amour d'vn bien mon mal refreschissant,•
Flate au cœur mort ma playe languissant,
Nourrit mon mal, et luy faict prendre alaine,
Lors ie conçoy quelque esperance vaine:
Mais aussi tost, ce dur tyran, s'il sent
Que mon espoir se renforce en croissant,1
Pour l'estoufer, cent tourmens il m'ameine
Encor tous frez: lors ie me veois blasmant
D'auoir esté rebelle à mon tourmant.
Viue le mal, ô dieux, qui me deuore,
Viue à son gré mon tourmant rigoureux.•
O bien-heureux, et bien-heureux encore
Qui sans relasche est tousiours mal'heureux.
Lors que lasse est, de me lasser ma peine,
Amour d'vn bien mon mal refreschissant,•
Flate au cœur mort ma playe languissant,
Nourrit mon mal, et luy faict prendre alaine,
Lors ie conçoy quelque esperance vaine:
Mais aussi tost, ce dur tyran, s'il sent
Que mon espoir se renforce en croissant,1
Pour l'estoufer, cent tourmens il m'ameine
Encor tous frez: lors ie me veois blasmant
D'auoir esté rebelle à mon tourmant.
Viue le mal, ô dieux, qui me deuore,
Viue à son gré mon tourmant rigoureux.•
O bien-heureux, et bien-heureux encore
Qui sans relasche est tousiours mal'heureux.
XXVIII
Si contre amour ie n'ay autre deffence
Ie m'en plaindray, mes vers le maudiront,
Et apres moy les roches rediront2
Le tort qu'il faict à ma dure constance.
Puis que de luy i'endure cette offence,
Au moings tout haut, mes rithmes le diront,
Et nos neueus, alors qu'ils me liront,
En l'outrageant, m'en feront la vengeance.•
Ayant perdu tout l'aise que i'auois,
Ce sera peu que de perdre ma voix.
S'on sçait l'aigreur de mon triste soucy,
Et fut celuy qui m'a faict cette playe,
Il en aura, pour si dur cœur qu'il aye,3
Quelque pitié, mais non pas de mercy.
Si contre amour ie n'ay autre deffence
Ie m'en plaindray, mes vers le maudiront,
Et apres moy les roches rediront2
Le tort qu'il faict à ma dure constance.
Puis que de luy i'endure cette offence,
Au moings tout haut, mes rithmes le diront,
Et nos neueus, alors qu'ils me liront,
En l'outrageant, m'en feront la vengeance.•
Ayant perdu tout l'aise que i'auois,
Ce sera peu que de perdre ma voix.
S'on sçait l'aigreur de mon triste soucy,
Et fut celuy qui m'a faict cette playe,
Il en aura, pour si dur cœur qu'il aye,3
Quelque pitié, mais non pas de mercy.
XXIX
Ia reluisoit la benoiste iournée
Que la nature au monde te deuoit,
Quand des thresors qu'elle te reseruoit
Sa grande clef, te fust abandonnée.•
Tu prins la grace à toy seule ordonnée,
Tu pillas tant de beautez qu'elle auoit:
Tant qu'elle, fiere, alors qu'elle te veoit
En est par fois, elle mesme estonnée.
Ta main de prendre en fin se contenta:•
Mais la nature encor te presenta,
Pour t'enrichir cette terre ou nous sommes.
Tu n'en prins rien: mais en toy tu t'en ris,
Te sentant bien en auoir assez pris
Pour estre icy royne du cœur des hommes.1
Ia reluisoit la benoiste iournée
Que la nature au monde te deuoit,
Quand des thresors qu'elle te reseruoit
Sa grande clef, te fust abandonnée.•
Tu prins la grace à toy seule ordonnée,
Tu pillas tant de beautez qu'elle auoit:
Tant qu'elle, fiere, alors qu'elle te veoit
En est par fois, elle mesme estonnée.
Ta main de prendre en fin se contenta:•
Mais la nature encor te presenta,
Pour t'enrichir cette terre ou nous sommes.
Tu n'en prins rien: mais en toy tu t'en ris,
Te sentant bien en auoir assez pris
Pour estre icy royne du cœur des hommes.1
CHAPITRE XXIX. (TRADUCTION LIV. I, CH. XXIX.)
De la Moderation.
COMME si nous auions l'attouchement infect, nous corrompons par
nostre maniement les choses qui d'elles mesmes sont belles et
bonnes. Nous pouuons saisir la vertu, de façon qu'elle en deuiendra
vicieuse: si nous l'embrassons d'vn desir trop aspre et violant.
Ceux qui disent qu'il n'y a iamais d'exces en la vertu, d'autant que•
ce n'est plus vertu, si l'exces y est, se iouent des paroles.
Insani sapiens nomen ferat, æquus iniqui,
Vltra quàm satis est, virtutem si petat ipsam.
C'est vne subtile consideration de la philosophie. On peut et trop
aymer la vertu, et se porter excessiuement en vne action iuste. A2
ce biaiz s'accommode la voix diuine, Ne soyez pas plus sages qu'il
ne faut, mais soyez sobrement sages. I'ay veu tel grand, blesser la
reputation de sa religion, pour se montrer religieux outre tout
exemple des hommes de sa sorte. I'ayme des natures temperees et
moyennes. L'immoderation vers le bien mesme, si elle ne m'offense,•
elle m'estonne, et me met en peine de la baptizer. Ny la mere de
Pausanias, qui donna la premiere instruction, et porta la premiere
pierre à la mort de son fils: ny le dictateur Posthumius, qui feit
mourir le sien, que l'ardeur de ieunesse auoit heureusement poussé
sur les ennemis, vn peu auant son reng, ne me semble si iuste,3
comme estrange. Et n'ayme ny à conseiller, ny à suiure vne vertu
si sauuage et si chere. L'archer qui outrepasse le blanc, faut comme
celuy, qui n'y arriue pas. Et les yeux me troublent à monter à coup,
vers vne grande lumiere également comme à deualler à l'ombre.
nostre maniement les choses qui d'elles mesmes sont belles et
bonnes. Nous pouuons saisir la vertu, de façon qu'elle en deuiendra
vicieuse: si nous l'embrassons d'vn desir trop aspre et violant.
Ceux qui disent qu'il n'y a iamais d'exces en la vertu, d'autant que•
ce n'est plus vertu, si l'exces y est, se iouent des paroles.
Insani sapiens nomen ferat, æquus iniqui,
Vltra quàm satis est, virtutem si petat ipsam.
C'est vne subtile consideration de la philosophie. On peut et trop
aymer la vertu, et se porter excessiuement en vne action iuste. A2
ce biaiz s'accommode la voix diuine, Ne soyez pas plus sages qu'il
ne faut, mais soyez sobrement sages. I'ay veu tel grand, blesser la
reputation de sa religion, pour se montrer religieux outre tout
exemple des hommes de sa sorte. I'ayme des natures temperees et
moyennes. L'immoderation vers le bien mesme, si elle ne m'offense,•
elle m'estonne, et me met en peine de la baptizer. Ny la mere de
Pausanias, qui donna la premiere instruction, et porta la premiere
pierre à la mort de son fils: ny le dictateur Posthumius, qui feit
mourir le sien, que l'ardeur de ieunesse auoit heureusement poussé
sur les ennemis, vn peu auant son reng, ne me semble si iuste,3
comme estrange. Et n'ayme ny à conseiller, ny à suiure vne vertu
si sauuage et si chere. L'archer qui outrepasse le blanc, faut comme
celuy, qui n'y arriue pas. Et les yeux me troublent à monter à coup,
vers vne grande lumiere également comme à deualler à l'ombre.
Calliclez en Platon dit, l'extremité de la philosophie estre dommageable:•
et conseille de ne s'y enfoncer outre les bornes du profit:
que prinse auec moderation, elle est plaisante et commode:
mais qu'en fin elle rend vn homme sauuage et vicieux: desdaigneux
des religions, et loix communes: ennemy de la conuersation ciuile:
ennemy des voluptez humaines: incapable de toute administration•
politique, et de secourir autruy, et de se secourir soy-mesme:
propre à estre impunement souffletté. Il dit vray: car en son exces,
elle esclaue nostre naturelle franchise: et nous desuoye par vne
importune subtilité, du beau et plain chemin, que nature nous
trace. L'amitié que nous portons à nos femmes, elle est tres-legitime:1
la Theologie ne laisse pas de la brider pourtant, et de la
restraindre. Il me semble auoir leu autresfois chez S. Thomas, en
vn endroit où il condamne les mariages des parans és degrez deffendus,
cette raison parmy les autres: Qu'il y a danger que l'amitié
qu'on porte à vne telle femme soit immoderée: car si l'affection•
maritale s'y trouue entiere et parfaicte, comme elle doit; et qu'on
la surcharge encore de celle qu'on doit à la parentele, il n'y a point
de doubte, que ce surcroist n'emporte vn tel mary hors les barrieres
de la raison. Les sciences qui reglent les mœurs des hommes,
comme la Theologie et la Philosophie, elles se meslent de tout.2
Il n'est action si priuée et secrette, qui se desrobbe de leur cognoissance
et iurisdiction. Bien apprentis sont ceux qui syndiquent leur
liberté. Ce sont les femmes qui communiquent tant qu'on veut leurs
pieces à garçonner: à medeciner, la honte le deffend. Ie veux donc
de leur part apprendre cecy aux maris, s'il s'en trouue encore qui•
y soient trop acharnez: c'est que les plaisirs mesmes qu'ils ont à
l'accointance de leurs femmes, sont reprouuez, si la moderation n'y
est obseruée: et qu'il y a dequoy faillir en licence et desbordement
en ce subiect là, comme en vn subiect illegitime. Ces encheriments
deshontez, que la chaleur premiere nous suggere en ce ieu,3
sont non indecemment seulement, mais dommageablement employez
enuers noz femmes. Qu'elles apprennent l'impudence au
moins d'vne autre main. Elles sont tousiours assés esueillées pour
nostre besoing. Ie ne m'y suis seruy que de l'instruction naturelle
et simple. C'est vne religieuse liaison et deuote que le mariage:•
voyla pourquoy le plaisir qu'on en tire, ce doit estre vn plaisir retenu,
serieux et meslé à quelque seuerité: ce doit estre vne volupté
aucunement prudente et consciencieuse. Et par ce que sa principale fin
c'est la generation, il y en a qui mettent en doubte, si lors que nous
sommes sans l'esperance de ce fruict, comme quand elles sont hors4
d'aage, ou enceintes, il est permis d'en rechercher l'embrassement.
C'est vn homicide à la mode de Platon. Certaines nations, et entre
autres la Mahumetane, abominent la conionction auec les femmes
enceintes. Plusieurs aussi auec celles qui ont leurs flueurs. Zenobia
ne receuoit son mary que pour vne charge; et cela fait elle le laissoit
courir tout le temps de sa conception, luy donnant lors seulement•
loy de recommencer: braue et genereux exemple de mariage.
C'est de quelque poëte disetteux et affamé de ce deduit, que Platon
emprunta cette narration: Que Iuppiter fit à sa femme vne si chaleureuse
charge vn iour, que ne pouuant auoir patience qu'elle eust
gaigné son lict, il la versa sur le plancher: et par la vehemence1
du plaisir, oublia les resolutions grandes et importantes, qu'il
venoit de prendre auec les autres Dieux en sa cour celeste: se ventant
qu'il l'auoit trouué aussi bon ce coup là, que lors que premierement
il la depucella à cachette de leurs parents. Les Roys de
Perse appelloient leurs femmes à la compagnie de leurs festins,•
mais quand le vin venoit à les eschauffer en bon escient, et qu'il
falloit tout à fait, lascher la bride à la volupté, ils les r'enuoioient
en leur priué; pour ne les faire participantes de leurs appetits
immoderez; et faisoient venir en leur lieu, des femmes, ausquelles
ils n'eussent point cette obligation de respect. Tous plaisirs et toutes2
gratifications ne sont pas bien logées en toutes gens. Epaminondas
auoit fait emprisonner vn garçon desbauché; Pelopidas le pria de
le mettre en liberté en sa faueur; il l'en refusa, et l'accorda à vne
sienne garse, qui aussi l'en pria: disant, que c'estoit vne gratification
deuë à vne amie, non à vn Capitaine. Sophocles estant•
compagnon en la Preture auec Pericles, voyant de cas de fortune
passer vn beau garçon: O le beau garçon que voyla! feit-il à Pericles.
Cela seroit bon à vn autre qu'à vn Preteur, luy dit Pericles;
qui doit auoir non les mains seulement, mais aussi les yeux chastes.
Ælius Verus l'Empereur respondit à sa femme comme elle se3
plaignoit, dequoy il se laissoit aller à l'amour d'autres femmes;
qu'il le faisoit par occasion consciencieuse, d'autant que le mariage
estoit vn nom d'honneur et dignité, non de folastre et lasciue
concupiscence. Et nostre histoire Ecclesiastique a conserué auec
honneur la memoire de cette femme, qui repudia son mary, pour•
ne vouloir seconder et soustenir ses attouchemens trop insolens et
desbordez. Il n'est en somme aucune si iuste volupté, en laquelle
l'excez et l'intemperance ne nous soit reprochable. Mais à parler
en bon escient, est-ce pas vn miserable animal que l'homme? A
peine est-il en son pouuoir par sa condition naturelle, de gouster
vn seul plaisir entier et pur, encore se met-il en peine de le retrancher
par discours: il n'est pas assez chetif, si par art et par estude
il n'augmente sa misere,
Fortunæ miseras auximus arte vias.•
et conseille de ne s'y enfoncer outre les bornes du profit:
que prinse auec moderation, elle est plaisante et commode:
mais qu'en fin elle rend vn homme sauuage et vicieux: desdaigneux
des religions, et loix communes: ennemy de la conuersation ciuile:
ennemy des voluptez humaines: incapable de toute administration•
politique, et de secourir autruy, et de se secourir soy-mesme:
propre à estre impunement souffletté. Il dit vray: car en son exces,
elle esclaue nostre naturelle franchise: et nous desuoye par vne
importune subtilité, du beau et plain chemin, que nature nous
trace. L'amitié que nous portons à nos femmes, elle est tres-legitime:1
la Theologie ne laisse pas de la brider pourtant, et de la
restraindre. Il me semble auoir leu autresfois chez S. Thomas, en
vn endroit où il condamne les mariages des parans és degrez deffendus,
cette raison parmy les autres: Qu'il y a danger que l'amitié
qu'on porte à vne telle femme soit immoderée: car si l'affection•
maritale s'y trouue entiere et parfaicte, comme elle doit; et qu'on
la surcharge encore de celle qu'on doit à la parentele, il n'y a point
de doubte, que ce surcroist n'emporte vn tel mary hors les barrieres
de la raison. Les sciences qui reglent les mœurs des hommes,
comme la Theologie et la Philosophie, elles se meslent de tout.2
Il n'est action si priuée et secrette, qui se desrobbe de leur cognoissance
et iurisdiction. Bien apprentis sont ceux qui syndiquent leur
liberté. Ce sont les femmes qui communiquent tant qu'on veut leurs
pieces à garçonner: à medeciner, la honte le deffend. Ie veux donc
de leur part apprendre cecy aux maris, s'il s'en trouue encore qui•
y soient trop acharnez: c'est que les plaisirs mesmes qu'ils ont à
l'accointance de leurs femmes, sont reprouuez, si la moderation n'y
est obseruée: et qu'il y a dequoy faillir en licence et desbordement
en ce subiect là, comme en vn subiect illegitime. Ces encheriments
deshontez, que la chaleur premiere nous suggere en ce ieu,3
sont non indecemment seulement, mais dommageablement employez
enuers noz femmes. Qu'elles apprennent l'impudence au
moins d'vne autre main. Elles sont tousiours assés esueillées pour
nostre besoing. Ie ne m'y suis seruy que de l'instruction naturelle
et simple. C'est vne religieuse liaison et deuote que le mariage:•
voyla pourquoy le plaisir qu'on en tire, ce doit estre vn plaisir retenu,
serieux et meslé à quelque seuerité: ce doit estre vne volupté
aucunement prudente et consciencieuse. Et par ce que sa principale fin
c'est la generation, il y en a qui mettent en doubte, si lors que nous
sommes sans l'esperance de ce fruict, comme quand elles sont hors4
d'aage, ou enceintes, il est permis d'en rechercher l'embrassement.
C'est vn homicide à la mode de Platon. Certaines nations, et entre
autres la Mahumetane, abominent la conionction auec les femmes
enceintes. Plusieurs aussi auec celles qui ont leurs flueurs. Zenobia
ne receuoit son mary que pour vne charge; et cela fait elle le laissoit
courir tout le temps de sa conception, luy donnant lors seulement•
loy de recommencer: braue et genereux exemple de mariage.
C'est de quelque poëte disetteux et affamé de ce deduit, que Platon
emprunta cette narration: Que Iuppiter fit à sa femme vne si chaleureuse
charge vn iour, que ne pouuant auoir patience qu'elle eust
gaigné son lict, il la versa sur le plancher: et par la vehemence1
du plaisir, oublia les resolutions grandes et importantes, qu'il
venoit de prendre auec les autres Dieux en sa cour celeste: se ventant
qu'il l'auoit trouué aussi bon ce coup là, que lors que premierement
il la depucella à cachette de leurs parents. Les Roys de
Perse appelloient leurs femmes à la compagnie de leurs festins,•
mais quand le vin venoit à les eschauffer en bon escient, et qu'il
falloit tout à fait, lascher la bride à la volupté, ils les r'enuoioient
en leur priué; pour ne les faire participantes de leurs appetits
immoderez; et faisoient venir en leur lieu, des femmes, ausquelles
ils n'eussent point cette obligation de respect. Tous plaisirs et toutes2
gratifications ne sont pas bien logées en toutes gens. Epaminondas
auoit fait emprisonner vn garçon desbauché; Pelopidas le pria de
le mettre en liberté en sa faueur; il l'en refusa, et l'accorda à vne
sienne garse, qui aussi l'en pria: disant, que c'estoit vne gratification
deuë à vne amie, non à vn Capitaine. Sophocles estant•
compagnon en la Preture auec Pericles, voyant de cas de fortune
passer vn beau garçon: O le beau garçon que voyla! feit-il à Pericles.
Cela seroit bon à vn autre qu'à vn Preteur, luy dit Pericles;
qui doit auoir non les mains seulement, mais aussi les yeux chastes.
Ælius Verus l'Empereur respondit à sa femme comme elle se3
plaignoit, dequoy il se laissoit aller à l'amour d'autres femmes;
qu'il le faisoit par occasion consciencieuse, d'autant que le mariage
estoit vn nom d'honneur et dignité, non de folastre et lasciue
concupiscence. Et nostre histoire Ecclesiastique a conserué auec
honneur la memoire de cette femme, qui repudia son mary, pour•
ne vouloir seconder et soustenir ses attouchemens trop insolens et
desbordez. Il n'est en somme aucune si iuste volupté, en laquelle
l'excez et l'intemperance ne nous soit reprochable. Mais à parler
en bon escient, est-ce pas vn miserable animal que l'homme? A
peine est-il en son pouuoir par sa condition naturelle, de gouster
vn seul plaisir entier et pur, encore se met-il en peine de le retrancher
par discours: il n'est pas assez chetif, si par art et par estude
il n'augmente sa misere,
Fortunæ miseras auximus arte vias.•
La sagesse humaine faict bien sottement l'ingenieuse, de s'exercer
à rabattre le nombre et la douceur des voluptez, qui nous appartiennent:
comme elle faict fauorablement et industrieusement,
d'employer ses artifices à nous peigner et farder les maux, et en alleger
le sentiment. Si i'eusse esté chef de part, i'eusse prins autre1
voye plus naturelle: qui est à dire, vraye, commode et saincte: et
me fusse peut estre rendu assez fort pour la borner. Quoy que noz
medecins spirituels et corporels, comme par complot faict entre
eux, ne trouuent aucune voye à la guerison, ny remede aux maladies
du corps et de l'ame, que par le tourment, la douleur et la•
peine. Les veilles, les ieusnes, les haires, les exils lointains et solitaires,
les prisons perpetuelles, les verges et autres afflictions, ont
esté introduites pour cela. Mais en telle condition, que ce soyent
veritablement afflictions, et qu'il y ait de l'aigreur poignante: et
qu'il n'en aduienne point comme à vn Gallio, lequel ayant esté2
enuoyé en exil en l'isle de Lesbos, on fut aduerty à Rome qu'il s'y
donnoit du bon temps, et que ce qu'on luy auoit enioint pour peine,
luy tournoit à commodité. Parquoy ils se rauiserent de le r'appeler
pres de sa femme, et en sa maison; et luy ordonnerent de s'y tenir,
pour accommoder leur punition à son ressentiment. Car à qui le•
ieune aiguiseroit la santé et l'allegresse, à qui le poisson seroit plus
appetissant que la chair, ce ne seroit plus recepte salutaire: non
plus qu'en l'autre medecine, les drogues n'ont point d'effect à l'endroit
de celuy qui les prent auec appetit et plaisir. L'amertume et
la difficulté sont circonstances seruants à leur operation. Le naturel3
qui accepteroit la rubarbe comme familiere, en corromproit l'vsage:
il faut que ce soit chose qui blesse nostre estomac pour le guerir: et
icy faut la regle commune, que les choses se guerissent par leurs contraires:
car le mal y guerit le mal. Cette impression se rapporte
aucunement à cette autre si ancienne, de penser gratifier au Ciel et•
à la nature par nostre massacre et homicide, qui fut vniuersellement
embrassée en toutes religions. Encore du temps de noz peres,
Amurat en la prinse de l'Isthme, immola six cens ieunes hommes
Grecs à l'ame de son pere: afin que ce sang seruist de propitiation
à l'expiation des pechez du trespassé. Et en ces nouuelles terres4
descouuertes en nostre aage, pures encore et vierges au prix des
nostres, l'vsage en est aucunement receu par tout. Toutes leurs
Idoles s'abreuuent de sang humain, non sans diuers exemples
d'horrible cruauté. On les brule vifs, et demy rostis on les retire
du brasier, pour leur arracher le cœur et les entrailles. A d'autres,•
voire aux femmes, on les escorche vifues, et de leur peau ainsi
sanglante en reuest on et masque d'autres. Et non moins d'exemples
de constance et resolution. Car ces pauures gens sacrifiables,
vieillars, femmes, enfans, vont quelques iours auant, questans eux
mesmes les aumosnes pour l'offrande de leur sacrifice, et se presentent1
à la boucherie chantans et dançans auec les assistans. Les
ambassadeurs du Roy de Mexico, faisans entendre à Fernand Cortez
la grandeur de leur maistre; apres luy auoir dict, qu'il auoit trente
vassaux, desquels chacun pouuoit assembler cent mille combatans,
et qu'il se tenoit en la plus belle et forte ville qui fust soubs le•
Ciel, luy adiousterent, qu'il auoit à sacrifier aux Dieux cinquante
mille hommes par an. De vray, ils disent qu'il nourrissoit la guerre
auec certains grands peuples voisins, non seulement pour l'exercice
de la ieunesse du païs, mais principallement pour auoir dequoy fournir
à ses sacrifices, par des prisonniers de guerre. Ailleurs, en2
certain bourg, pour la bien-venue dudit Cortez, ils sacrifierent
cinquante hommes tout à la fois. Ie diray encore ce compte: Aucuns
de ces peuples ayants esté battuz par luy, enuoyerent le recognoistre
et rechercher d'amitié: les messagers luy presenterent trois
sortes de presens, en cette maniere: Seigneur voyla cinq esclaues:•
si tu és vn Dieu fier, qui te paisses de chair et de sang, mange les,
et nous t'en amerrons d'auantage: si tu és vn Dieu debonnaire,
voyla de l'encens et des plumes: si tu és homme, prens les oiseaux
et les fruicts que voicy.
à rabattre le nombre et la douceur des voluptez, qui nous appartiennent:
comme elle faict fauorablement et industrieusement,
d'employer ses artifices à nous peigner et farder les maux, et en alleger
le sentiment. Si i'eusse esté chef de part, i'eusse prins autre1
voye plus naturelle: qui est à dire, vraye, commode et saincte: et
me fusse peut estre rendu assez fort pour la borner. Quoy que noz
medecins spirituels et corporels, comme par complot faict entre
eux, ne trouuent aucune voye à la guerison, ny remede aux maladies
du corps et de l'ame, que par le tourment, la douleur et la•
peine. Les veilles, les ieusnes, les haires, les exils lointains et solitaires,
les prisons perpetuelles, les verges et autres afflictions, ont
esté introduites pour cela. Mais en telle condition, que ce soyent
veritablement afflictions, et qu'il y ait de l'aigreur poignante: et
qu'il n'en aduienne point comme à vn Gallio, lequel ayant esté2
enuoyé en exil en l'isle de Lesbos, on fut aduerty à Rome qu'il s'y
donnoit du bon temps, et que ce qu'on luy auoit enioint pour peine,
luy tournoit à commodité. Parquoy ils se rauiserent de le r'appeler
pres de sa femme, et en sa maison; et luy ordonnerent de s'y tenir,
pour accommoder leur punition à son ressentiment. Car à qui le•
ieune aiguiseroit la santé et l'allegresse, à qui le poisson seroit plus
appetissant que la chair, ce ne seroit plus recepte salutaire: non
plus qu'en l'autre medecine, les drogues n'ont point d'effect à l'endroit
de celuy qui les prent auec appetit et plaisir. L'amertume et
la difficulté sont circonstances seruants à leur operation. Le naturel3
qui accepteroit la rubarbe comme familiere, en corromproit l'vsage:
il faut que ce soit chose qui blesse nostre estomac pour le guerir: et
icy faut la regle commune, que les choses se guerissent par leurs contraires:
car le mal y guerit le mal. Cette impression se rapporte
aucunement à cette autre si ancienne, de penser gratifier au Ciel et•
à la nature par nostre massacre et homicide, qui fut vniuersellement
embrassée en toutes religions. Encore du temps de noz peres,
Amurat en la prinse de l'Isthme, immola six cens ieunes hommes
Grecs à l'ame de son pere: afin que ce sang seruist de propitiation
à l'expiation des pechez du trespassé. Et en ces nouuelles terres4
descouuertes en nostre aage, pures encore et vierges au prix des
nostres, l'vsage en est aucunement receu par tout. Toutes leurs
Idoles s'abreuuent de sang humain, non sans diuers exemples
d'horrible cruauté. On les brule vifs, et demy rostis on les retire
du brasier, pour leur arracher le cœur et les entrailles. A d'autres,•
voire aux femmes, on les escorche vifues, et de leur peau ainsi
sanglante en reuest on et masque d'autres. Et non moins d'exemples
de constance et resolution. Car ces pauures gens sacrifiables,
vieillars, femmes, enfans, vont quelques iours auant, questans eux
mesmes les aumosnes pour l'offrande de leur sacrifice, et se presentent1
à la boucherie chantans et dançans auec les assistans. Les
ambassadeurs du Roy de Mexico, faisans entendre à Fernand Cortez
la grandeur de leur maistre; apres luy auoir dict, qu'il auoit trente
vassaux, desquels chacun pouuoit assembler cent mille combatans,
et qu'il se tenoit en la plus belle et forte ville qui fust soubs le•
Ciel, luy adiousterent, qu'il auoit à sacrifier aux Dieux cinquante
mille hommes par an. De vray, ils disent qu'il nourrissoit la guerre
auec certains grands peuples voisins, non seulement pour l'exercice
de la ieunesse du païs, mais principallement pour auoir dequoy fournir
à ses sacrifices, par des prisonniers de guerre. Ailleurs, en2
certain bourg, pour la bien-venue dudit Cortez, ils sacrifierent
cinquante hommes tout à la fois. Ie diray encore ce compte: Aucuns
de ces peuples ayants esté battuz par luy, enuoyerent le recognoistre
et rechercher d'amitié: les messagers luy presenterent trois
sortes de presens, en cette maniere: Seigneur voyla cinq esclaues:•
si tu és vn Dieu fier, qui te paisses de chair et de sang, mange les,
et nous t'en amerrons d'auantage: si tu és vn Dieu debonnaire,
voyla de l'encens et des plumes: si tu és homme, prens les oiseaux
et les fruicts que voicy.