Fables de La Fontaine

VIII

LE CHEVAL ET LE LOUP.

Un certain loup, dans la saison
Que les tièdes zéphyrs ont l’herbe rajeunie,
Et que les animaux quittent tous la maison
Pour s’en aller chercher leur vie;
Un loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l’hiver,
Aperçut un cheval qu’on avoit mis au vert.
Je laisse à penser quelle joie.
Bonne chasse, dit-il, qui l’auroit à son croc!
Eh! que n’es-tu mouton! car tu me serois hoc[38];
Au lieu qu’il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. Ainsi dit, il vient à pas comptés;
Se dit écolier d’Hippocrate;
Qu’il connoît les vertus et les propriétés
De tous les simples de ces prés;
Qu’il sait guérir, sans qu’il se flatte,
Toutes sortes de maux. Si dom coursier vouloit
Ne point celer sa maladie,
Lui loup, gratis, le guériroit;
Car le voir en cette prairie
Paître ainsi, sans être lié,
Témoignoit quelque mal, selon la médecine.
J’ai, dit la bête chevaline,
Un apostume sous le pied.
Mon fils, dit le docteur, il n’est point de partie
Susceptible de tant de maux.
J’ai l’honneur de servir nosseigneurs les chevaux,
Et fais aussi la chirurgie.
Mon galant ne songeoit qu’à bien prendre son temps,
Afin de happer son malade.
L’autre, qui s’en doutoit, lui lâche une ruade
Qui vous lui met en marmelade
Les mandibules et les dents.
C’est bien fait, dit le loup en soi-même, fort triste;
Chacun à son métier doit toujours s’attacher.
Tu veux faire ici l’arboriste[39],
Et ne fus jamais que boucher.