Fables de La Fontaine

XI

LE CURÉ ET LE MORT[50].

Un mort s’en alloit tristement
S’emparer de son dernier gîte;
Un curé s’en alloit gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt étoit en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,
Et vêtu d’une robe, hélas! qu’on nomme bière,
Robe d’hiver, robe d’été,
Que les morts ne dépouillent guère.
Le pasteur étoit à côté,
Et récitoit, à l’ordinaire,
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des répons:
Monsieur le mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons;
Il ne s’agit que du salaire.
Messire Jean Chouart couvoit des yeux son mort,
Comme si l’on eût dû lui ravir ce trésor;
Et des regards sembloit lui dire:
Monsieur le mort, j’aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondoit là-dessus l’achat d’une feuillette
Du meilleur vin des environs:
Certaine nièce assez propette[51]
Et sa chambrière Pâquette
Devoient avoir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt survient: adieu le char.
Voilà messire Jean Chouart
Qui du choc de son mort a la tête cassée:
Le paroissien en plomb entraîne son pasteur;
Notre curé suit son seigneur;
Tous deux s’en vont de compagnie.
Proprement toute notre vie
Est le curé Chouart qui sur son mort comptoit,
Et la fable du Pot au lait.