Fables de La Fontaine

X

LE LIÈVRE ET LA TORTUE.

Rien ne sert de courir; il faut partir à point:
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Sitôt que moi ce but.—Sitôt! êtes-vous sage?
Repartit l’animal léger:
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore.—
Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,
Ni de quel juge l’on convint.
Notre lièvre n’avoit que quatre pas à faire;
J’entends de ceux qu’il fait lorsque, près d’être atteint,
Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir et pour écouter
D’où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.
Elle part, elle s’évertue;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s’amuse à tout autre chose
Qu’à la gageure. A la fin, quand il vit
Que l’autre touchoit presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait; mais les élans qu’il fit
Furent vains: la tortue arriva la première.
Eh bien! lui cria-t-elle, avois-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse?
Moi l’emporter! et que seroit-ce
Si vous portiez une maison?