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Fables de La Fontaine
XV
LES DEVINERESSES[52].
C’est souvent du hasard que naît l’opinion,
Et c’est l’opinion qui fait toujours la vogue.
Je pourrois fonder ce prologue
Sur gens de tous états: tout est prévention,
Cabale, entêtement; point ou peu de justice.
C’est un torrent: qu’y faire? il faut qu’il ait son cours
Cela fut, et sera toujours.
Une femme, à Paris, faisoit la pythonisse:
On l’allait consulter sur chaque événement;
Perdait-on un chiffon, avait-on un amant,
Un mari vivant trop, au gré de son épouse,
Une mère fâcheuse, une femme jalouse;
Chez la devineuse on couroit
Pour se faire annoncer ce que l’on désiroit.
Son fait consistoit en adresse:
Quelques termes de l’art, beaucoup de hardiesse,
Du hasard quelquefois, tout cela concouroit,
Tout cela bien souvent faisoit crier miracle.
Enfin, quoique ignorante à vingt et trois carats,
Elle passoit pour un oracle.
L’oracle étoit logé dedans un galetas:
Là, cette femme emplit sa bourse,
Et, sans avoir d’autre ressource,
Gagne de quoi donner un rang à son mari;
Elle achète un office, une maison aussi.
Voilà le galetas rempli
D’une nouvelle hôtesse, à qui toute la ville,
Femmes, filles, valets, gros messieurs, tout enfin
Alloit, comme autrefois, demander son destin;
Le galetas devint l’antre de la Sibylle.
L’autre femelle avoit achalandé ce lieu.
Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire,
Moi devine[53]! on se moque: eh! messieurs, sais-je lire?
Je n’ai jamais appris que ma Croix de par Dieu.
Point de raisons: fallut deviner et prédire,
Mettre à part force bons ducats,
Et gagner malgré soi plus que deux avocats.
Le meuble et l’équipage aidoient fort à la chose:
Quatre siéges boiteux, un manche de balai,
Tout sentoit son sabbat et sa métamorphose.
Quand cette femme auroit dit vrai
Dans une chambre tapissée,
On s’en seroit moqué: la vogue étoit passée
Au galetas; il avoit le crédit.
L’autre femme se morfondit.
Et c’est l’opinion qui fait toujours la vogue.
Je pourrois fonder ce prologue
Sur gens de tous états: tout est prévention,
Cabale, entêtement; point ou peu de justice.
C’est un torrent: qu’y faire? il faut qu’il ait son cours
Cela fut, et sera toujours.
Une femme, à Paris, faisoit la pythonisse:
On l’allait consulter sur chaque événement;
Perdait-on un chiffon, avait-on un amant,
Un mari vivant trop, au gré de son épouse,
Une mère fâcheuse, une femme jalouse;
Chez la devineuse on couroit
Pour se faire annoncer ce que l’on désiroit.
Son fait consistoit en adresse:
Quelques termes de l’art, beaucoup de hardiesse,
Du hasard quelquefois, tout cela concouroit,
Tout cela bien souvent faisoit crier miracle.
Enfin, quoique ignorante à vingt et trois carats,
Elle passoit pour un oracle.
L’oracle étoit logé dedans un galetas:
Là, cette femme emplit sa bourse,
Et, sans avoir d’autre ressource,
Gagne de quoi donner un rang à son mari;
Elle achète un office, une maison aussi.
Voilà le galetas rempli
D’une nouvelle hôtesse, à qui toute la ville,
Femmes, filles, valets, gros messieurs, tout enfin
Alloit, comme autrefois, demander son destin;
Le galetas devint l’antre de la Sibylle.
L’autre femelle avoit achalandé ce lieu.
Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire,
Moi devine[53]! on se moque: eh! messieurs, sais-je lire?
Je n’ai jamais appris que ma Croix de par Dieu.
Point de raisons: fallut deviner et prédire,
Mettre à part force bons ducats,
Et gagner malgré soi plus que deux avocats.
Le meuble et l’équipage aidoient fort à la chose:
Quatre siéges boiteux, un manche de balai,
Tout sentoit son sabbat et sa métamorphose.
Quand cette femme auroit dit vrai
Dans une chambre tapissée,
On s’en seroit moqué: la vogue étoit passée
Au galetas; il avoit le crédit.
L’autre femme se morfondit.
L’enseigne fait la chalandise.
J’ai vu dans le palais une robe mal mise
Gagner gros: les gens l’avoient prise
Pour maître tel, qui traînoit après soi
Force écoutants. Demandez-moi pourquoi.
J’ai vu dans le palais une robe mal mise
Gagner gros: les gens l’avoient prise
Pour maître tel, qui traînoit après soi
Force écoutants. Demandez-moi pourquoi.