←
Fables de La Fontaine
VI
LES FEMMES ET LE SECRET.
Rien ne pèse tant qu’un secret:
Le porter loin est difficile aux dames;
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d’hommes qui sont femmes.
Pour éprouver la sienne un mari s’écria,
La nuit étant près d’elle: O dieux! qu’est-ce cela?
Je n’en puis plus! on me déchire!
Quoi! j’accouche d’un œuf!—D’un œuf?—Oui, le voilà!
Frais et nouveau pondu: gardez bien de le dire;
On m’appelleroit poule. Enfin, n’en parlez pas.
La femme, neuve sur ce cas,
Ainsi que sur mainte autre affaire,
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire;
Mais ce serment s’évanouit
Avec les ombres de la nuit.
L’épouse, indiscrète et peu fine,
Sort du lit quand le jour fut à peine levé;
Et de courir chez sa voisine:
Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé;
N’en dites rien surtout, car vous me feriez battre:
Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.
Au nom de Dieu, gardez-vous bien
D’aller publier ce mystère.—
Vous moquez-vous? dit l’autre: ah! vous ne savez guère
Quelle je suis. Allez, ne craignez rien.
La femme du pondeur s’en retourne chez elle.
L’autre grille déjà d’en conter la nouvelle:
Elle va la répandre en plus de dix endroits:
Au lieu d’un œuf elle en dit trois.
Ce n’est pas encor tout; car une autre commère
En dit quatre, et raconte à l’oreille le fait:
Précaution peu nécessaire;
Car ce n’étoit plus un secret.
Comme le nombre d’œufs, grâce à la renommée,
De bouche en bouche alloit croissant,
Avant la fin de la journée
Ils se montoient à plus d’un cent.
Le porter loin est difficile aux dames;
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d’hommes qui sont femmes.
Pour éprouver la sienne un mari s’écria,
La nuit étant près d’elle: O dieux! qu’est-ce cela?
Je n’en puis plus! on me déchire!
Quoi! j’accouche d’un œuf!—D’un œuf?—Oui, le voilà!
Frais et nouveau pondu: gardez bien de le dire;
On m’appelleroit poule. Enfin, n’en parlez pas.
La femme, neuve sur ce cas,
Ainsi que sur mainte autre affaire,
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire;
Mais ce serment s’évanouit
Avec les ombres de la nuit.
L’épouse, indiscrète et peu fine,
Sort du lit quand le jour fut à peine levé;
Et de courir chez sa voisine:
Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé;
N’en dites rien surtout, car vous me feriez battre:
Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.
Au nom de Dieu, gardez-vous bien
D’aller publier ce mystère.—
Vous moquez-vous? dit l’autre: ah! vous ne savez guère
Quelle je suis. Allez, ne craignez rien.
La femme du pondeur s’en retourne chez elle.
L’autre grille déjà d’en conter la nouvelle:
Elle va la répandre en plus de dix endroits:
Au lieu d’un œuf elle en dit trois.
Ce n’est pas encor tout; car une autre commère
En dit quatre, et raconte à l’oreille le fait:
Précaution peu nécessaire;
Car ce n’étoit plus un secret.
Comme le nombre d’œufs, grâce à la renommée,
De bouche en bouche alloit croissant,
Avant la fin de la journée
Ils se montoient à plus d’un cent.