Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face Histoire d'une âme écrite par elle-même

Mes Armes.

A une novice pour sa Profession.

Air: Partez, hérauts...

——

«L'épouse du Roi est terrible comme une armée rangée en bataille; elle est semblable à un chœur de musique dans un camp d'armée.» Cant., VI, 3; VII, I.

«Revêtez-vous des armes de Dieu, afin que vous puissiez résister aux embûches de l'ennemi.» Ephes., VI, II.

Du Tout-Puissant j'ai revêtu les armes,
Sa main divine a daigné me parer;
Rien désormais ne me cause d'alarmes,
De son amour qui peut me séparer?
A ses côtés, m'élançant dans l'arène,
Je ne craindrai ni le fer ni le feu;
Mes ennemis sauront que je suis reine,
Que je suis l'épouse d'un Dieu.

O mon Jésus! je garderai l'armure
Que je revêts sous tes yeux adorés;
Jusqu'au soir de l'exil, ma plus belle parure
Sera mes vœux sacrés.

O Pauvreté, mon premier sacrifice,
Jusqu'à la mort tu me suivras partout;
Car, je le sais, pour courir dans la lice,
L'athlète doit se détacher de tout.
Goûtez, mondains, le remords et la peine,
Ces fruits amers de votre vanité;
Joyeusement, moi je cueille en l'arène
Les palmes de la Pauvreté.

Jésus a dit: «C'est par la violence
Que l'on ravit le royaume des cieux.»
Eh bien! la Pauvreté me servira de lance,
De casque glorieux.

La Chasteté me rend la sœur des Anges,
De ces esprits purs et victorieux.
J'espère un jour voler en leurs phalanges;
Mais, dans l'exil, je dois lutter comme eux.
Je dois lutter, sans repos et sans trêve,
Pour mon Epoux, le Seigneur des seigneurs.
La Chasteté, c'est le céleste glaive
Qui peut lui conquérir des cœurs.

La Chasteté, c'est mon arme invincible;
Mes ennemis, par elle, sont vaincus;
Par elle je deviens, ô bonheur indicible!
L'épouse de Jésus.

L'Ange orgueilleux, au sein de la lumière,
S'est écrié: «Je n'obéirai pas!...»
Moi, je répète en la nuit de la terre:
Je veux toujours obéir ici-bas.
Je sens en moi naître une sainte audace,
De tout l'enfer je brave la fureur.
L'Obéissance est ma forte cuirasse
Et le bouclier de mon cœur.

O Dieu vainqueur! je ne veux d'autres gloires
Que de soumettre en tout ma volonté;
Puisque l'obéissant redira ses victoires
Toute l'éternité!

Si du guerrier j'ai les armes puissantes,
Si je l'imite et lutte vaillamment,
Comme la vierge aux grâces ravissantes,
Je veux aussi chanter en combattant.
Tu fais vibrer de ta lyre les cordes,
Et cette lyre, ô Jésus, c'est mon cœur!
Alors je puis de tes miséricordes
Chanter la force et la douceur.

En souriant je brave la mitraille,
Et dans tes bras, ô mon Epoux divin,
En chantant je mourrai sur le champ de bataille,
Les armes à la main!

25 mars 1897.

Un lis au milieu des épines.

Composé pour une novice.

Air: L'envers du ciel.

——

O Seigneur tout-puissant! dès ma plus tendre enfance,
Je puis bien m'appeler l'œuvre de ton amour;
Je voudrais, ô mon Dieu, dans ma reconnaissance,
Ah! je voudrais pouvoir te payer de retour.
Jésus, mon Bien-Aimé, quel est ce privilège?
Pauvre petit néant, qu'avais-je fait pour toi?
Et je me vois ici, suivant le blanc cortège
Des vierges de ta cour, aimable et divin Roi!

Hélas! je ne suis rien que la faiblesse même;
Tu le sais bien, mon Dieu, je n'ai pas de vertus!
Mais tu le sais aussi, pour moi, le bien suprême
Qui me charma toujours... c'est toi, mon doux Jésus!
Lorsqu'en mon jeune cœur s'alluma cette flamme
Qui se nomme l'amour... tu vins la réclamer.
Et loi seul, ô Jésus, pus contenter mon âme,
Car jusqu'à l'infini j'avais besoin d'aimer!

Comme un petit agneau loin de la bergerie,
Gaîment je folâtrais, ignorant le danger;
Mais, ô Reine des cieux, ma Bergère chérie,
Ton invisible main savait me protéger!
Ainsi, tout en jouant au bord des précipices,
Déjà tu me montrais le sommet du Carmel;
Je comprenais alors les austères délices
Qu'il me faudrait aimer pour m'envoler au ciel.

Seigneur, si tu chéris la pureté de l'Ange,
De ce brillant esprit qui nage dans l'azur,
N'aimes-tu pas aussi, s'élevant de la fange,
Le lis que ton amour a su conserver pur?
S'il est heureux, mon Dieu, l'Ange à l'aile vermeille
Qui paraît devant toi tout blanc de pureté,
Ma robe, dès ce monde, à la sienne est pareille,
Puisque j'ai le trésor de la virginité!

1897.

La rose effeuillée.

Air: Le fil de la Vierge ou La Rose mousse.

——

Jésus, quand je te vois soutenu par ta Mère,
Quitter ses bras,
Essayer en tremblant sur notre triste terre
Tes premiers pas;
Devant toi je voudrais effeuiller une rose
En sa fraîcheur,
Pour que ton petit pied bien doucement repose
Sur une fleur.

Cette rose effeuillée est la fidèle image,
Divin Enfant!
Du cœur qui veut pour toi s'immoler sans partage
A chaque instant.
Seigneur, sur tes autels plus d'une fraîche rose
Aime à briller;
Elle se donne à toi, mais je rêve autre chose:
C'est m'effeuiller...

La rose en son éclat peut embellir ta fête,
Aimable Enfant!
Mais la rose effeuillée, on l'oublie, on la jette
Au gré du vent...
La rose, en s'effeuillant, sans recherche se donne
Pour n'être plus.
Comme elle, avec bonheur, à toi je m'abandonne,
Petit Jésus!

L'on marche sans regret sur des feuilles de rose,
Et ces débris
Sont un simple ornement que sans art on dispose,
Je l'ai compris...
Jésus, pour ton amour j'ai prodigué ma vie,
Mon avenir;
Aux regards des mortels, rose à jamais flétrie,
Je dois mourir!

Pour toi je dois mourir, Jésus, beauté suprême,
Oh! quel bonheur!
Je veux en m'effeuillant te prouver que je t'aime
De tout mon cœur.
Sous tes pas enfantins je veux avec mystère
Vivre ici-bas;
Et je voudrais encore adoucir au Calvaire
Tes derniers pas...

Mai 1897.

L'abandon.

——

«L'abandon est le fruit délicieux de l'amour.»
Saint Augustin.

Il est sur cette terre
Un arbre merveilleux;
Sa racine, ô mystère!
Se trouve dans les cieux.
Jamais, sous son ombrage,
Rien ne saurait blesser;
Là, sans craindre l'orage,
On peut se reposer.
De cet arbre ineffable,
L'amour, voilà le nom;
Et son fruit délectable
S'appelle l'abandon!

Ce fruit, dès cette vie,
Me donne le bonheur;
Mon âme est réjouie
Par sa divine odeur.
Ce fruit, quand je le touche,
Me paraît un trésor;
Le portant à ma bouche,
Il m'est plus doux encor.
Il me donne en ce monde
Un océan de paix;
En cette paix profonde
Je repose à jamais.

Seul, l'abandon me livre
En tes bras, ô Jésus!
C'est lui qui me fait vivre
Du pain de tes élus;
A toi je m'abandonne,
O mon divin Epoux!
Et je n'ambitionne
Que ton regard si doux.
Toujours je veux sourire,
M'endormant sur ton Cœur...
Et là, je veux redire
Que je t'aime, Seigneur!

Comme la pâquerette
Au calice vermeil,
Moi, petite fleurette,
Je m'entr'ouvre au soleil.
Mon doux soleil de vie,
O mon aimable Roi!
C'est ta divine Hostie,
Petite comme moi...
De sa céleste flamme
Le lumineux rayon
Fait naître dans mon âme
Le parfait abandon.

Toutes les créatures
Peuvent me délaisser;
Je saurai sans murmures
Près de toi m'en passer.
Et si tu me délaisses,
O mon divin Trésor!
N'ayant plus tes caresses,
Je veux sourire encor.
En paix je veux attendre,
Doux Jésus, ton retour,
Et sans jamais suspendre
Mes cantiques d'amour!

Non, rien ne m'inquiète,
Rien ne peut me troubler.
Plus haut que l'alouette
Mon âme sait voler!
Au-dessus des nuages,
Le ciel est toujours bleu;
On touche les rivages
Où règne le bon Dieu!
J'attends en paix la gloire
Du céleste séjour,
Car je trouve au ciboire
Le doux fruit de l'amour!

Mai 1897.

LA VIERGE-MÈRE LA VIERGE-MÈRE  Reproduction d'un tableau peint par «Céline», en 1864 à la demande de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

Reproduction d'un tableau peint par «Céline», en 1864 à la demande de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

A ce Festin d'Amour que te donne ta Mère
Oh! daigne m'inviter, Jésus, mon petit Frère!

DEUXIÈME PARTIE

Première poésie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.

La Rosée divine
ou le Lait virginal de Marie.

Air: Noël d'Adam.

——

Mon doux Jésus, sur le sein de ta Mère
Tu m'apparais tout rayonnant d'amour;
Daigne à mon cœur révéler le mystère
Qui t'exila du céleste séjour.
Ah! laisse-moi me cacher sous le voile
Qui te dérobe à tout regard mortel.
Près de toi seule, ô matinale étoile,
Mon âme trouve un avant-goût du ciel!

Quand, au réveil d'une nouvelle aurore,
Du soleil d'or on voit les premiers feux,
La tendre fleur qui commence d'éclore
Attend d'en haut un baume précieux:
C'est du matin la perle étincelante,
Mystérieuse et pleine de fraîcheur,
Qui, produisant une sève abondante,
Tout doucement fait entr'ouvrir la fleur.

C'est toi, Jésus, la Fleur à peine éclose.
Je te contemple à ton premier éveil;
C'est toi, Jésus, la ravissante rose,
Le frais bouton, gracieux et vermeil.
Les bras si purs de ta Mère chérie
Forment pour toi: berceau, trône royal.
Ton doux soleil, c'est le sein de Marie,
Et ta rosée est le lait virginal!

Mon Bien-Aimé, mon divin petit Frère,
En ton regard je vois tout l'avenir:
Bientôt pour moi tu quitteras ta Mère;
Déjà l'amour te presse de souffrir!
Mais sur la croix, ô Fleur épanouie!
Je reconnais ton parfum matinal;
Je reconnais les perles de Marie:
Ton sang divin c'est le lait virginal!

Cette rosée, elle est au sanctuaire,
L'Ange voudrait s'en abreuver aussi;
Offrant à Dieu sa sublime prière,
Comme saint Jean il redit: «Le Voici!»
Oui, le voici ce Verbe fait Hostie,
Prêtre éternel, Agneau sacerdotal!
Le Fils de Dieu, c'est le Fils de Marie...
Le Pain de l'Ange est le lait virginal!

Le Séraphin se nourrit de la gloire,
Du pur amour et du bonheur parfait;
Moi, faible enfant, je ne vois au ciboire
Que la couleur, la figure du lait.
Mais c'est le lait qui convient à l'enfance,
Du Cœur divin, l'amour est sans égal...
O tendre amour, insondable puissance!
Ma blanche Hostie est le lait virginal!

2 février 1893.

La Reine du ciel à sa petite Marie.

A une postulante nommée Marie.

Air: Petit oiseau, dis, où vas-tu?

——

Je cherche un enfant qui ressemble
A Jésus, mon unique Agneau,
Afin de les cacher ensemble,
Tous deux en un même berceau.

L'Ange de la sainte patrie
De ce bonheur serait jaloux;
Mais je le donne à toi, Marie,
L'Enfant-Dieu sera ton Epoux!

C'est toi-même que j'ai choisie
Pour être de Jésus la sœur.
Veux-tu lui tenir compagnie?
Tu reposeras sur mon cœur!

Je te bercerai sous le voile
Où se cache le Roi des cieux,
Mon Fils sera la seule étoile
Désormais brillante à tes yeux.

Mais pour que, toujours, je t'abrite
Sous mon voile, près de Jésus,
Il te faudra rester petite
Avec d'enfantines vertus.

Je veux que sur ton front rayonne
La douceur et la pureté;
Mais la vertu que je te donne
Surtout, c'est la simplicité.

Le Dieu, l'Unique en trois Personnes,
Qu'adorent les anges tremblants...
L'Eternel veut que tu lui donnes
Le simple nom de Fleur des champs!

Comme une blanche pâquerette
Qui toujours regarde le ciel,
Sois aussi la simple fleurette
Du petit Enfant de Noël.

Le monde méconnaît les charmes
Du Roi qui s'exile des cieux;
Bien souvent tu verras des larmes
Briller en ses doux petits yeux.

Il faudra qu'oubliant tes peines
Pour réjouir l'aimable Enfant,
Tu bénisses tes nobles chaînes,
Et que tu chantes doucement...

Le Dieu dont la toute-puissance
Arrête le flot qui mugit,
Empruntant les traits de l'enfance,
Est devenu faible et petit.

Le Verbe, Parole du Père,
Qui, pour toi, s'exile ici-bas,
Mon doux Agneau, ton petit Frère,
Enfant, ne te parlera pas!

Le silence est le premier gage
De son inexprimable amour.
Comprenant ce muet langage,
Tu l'imiteras chaque jour.

Et si parfois Jésus sommeille,
Tu reposeras près de lui;
Son Cœur divin, qui toujours veille,
Te servira de doux appui!

Ne t'inquiète pas, Marie,
De l'ouvrage de chaque jour;
Ton seul travail en cette vie
Doit être uniquement l'amour!

Et si quelqu'un vient à redire
Que tes œuvres ne se voient pas:
J'aime beaucoup, pourras-tu dire:
Voilà mon travail ici-bas.

Jésus tressera ta couronne,
Si tu ne veux que son amour;
Si ton cœur à lui s'abandonne,
Il te fera régner un jour.

Après la nuit de cette vie,
Tu verras son très doux regard;
Et là-haut ton âme ravie
Volera sans aucun retard...

Noël 1894.

Dernière poésie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.

Pourquoi je t'aime, ô Marie!

Air: La plainte du Mousse.

——

Oh! je voudrais chanter, Mère, pourquoi je t'aime!
Pourquoi ton nom si doux fait tressaillir mon cœur!
Et pourquoi de penser à ta grandeur suprême
Ne saurait à mon âme inspirer de frayeur.
Si je te contemplais dans ta sublime gloire,
Et surpassant l'éclat de tous les bienheureux;
Que je suis ton enfant, je ne pourrais le croire.....
Marie, ah! devant toi je baisserais les yeux.

Il faut, pour qu'un enfant puisse chérir sa mère,
Qu'elle pleure avec lui, partage ses douleurs.
O Reine de mon cœur, sur la rive étrangère,
Pour m'attirer à toi, que tu versas de pleurs!
En méditant ta vie écrite en l'Evangile,
J'ose te regarder et m'approcher de toi;
Me croire ton enfant ne m'est pas difficile,
Car je te vois mortelle et souffrant comme moi.

Lorsqu'un Ange des cieux t'offre d'être la Mère
Du Dieu qui doit régner toute l'éternité,
Je te vois préférer, quel étonnant mystère!
L'ineffable trésor de la virginité.
Je comprends que ton âme, ô Vierge immaculée,
Soit plus chère au Seigneur que le divin séjour.
Je comprends que ton âme, humble et douce vallée,
Contienne mon Jésus, l'Océan de l'amour!

Je t'aime, te disant la petite servante
Du Dieu que tu ravis par ton humilité.
Cette grande vertu te rend toute-puissante,
Elle attire en ton cœur la Sainte Trinité!

Alors l'Esprit d'amour te couvrant de son ombre,
Le Fils égal au Père en toi s'est incarné...
De ses frères pécheurs bien grand sera le nombre,
Puisqu'on doit l'appeler: Jésus, ton premier-né!

ORATOIRE  où se trouve actuellement la «Vierge de la chambre de Thérèse». ORATOIRE
où se trouve actuellement la «Vierge de la chambre de Thérèse».

(Cet oratoire communique avec la cellule de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus
dont ou voit la porte entr'ouverte.

Là sont déposées journellement les nombreuses suppliques adressés à la Servante de Dieu.)

Marie, ah! tu le sais, malgré ma petitesse,
Comme toi je possède en moi le Tout-Puissant.
Mais je ne tremble pas en voyant ma faiblesse:
Le trésor de la Mère appartient à l'enfant...
Et je suis ton enfant, ô ma Mère chérie!
Tes vertus, ton amour ne sont-ils pas à moi?
Aussi, lorsqu'en mon cœur descend la blanche Hostie,
Jésus, ton doux Agneau, croit reposer en toi!

Tu me le fais sentir, ce n'est pas impossible
De marcher sur tes pas, ô Reine des élus!
L'étroit chemin du ciel, tu l'as rendu visible
En pratiquant toujours les plus humbles vertus.
Marie, auprès de toi j'aime à rester petite;
Des grandeurs d'ici-bas je vois la vanité.
Chez sainte Elisabeth recevant ta visite,
J'apprends à pratiquer l'ardente charité.

Là, j'écoute à genoux, douce Reine des Anges,
Le cantique sacré qui jaillit de ton cœur;
Tu m'apprends à chanter les divines louanges,
A me glorifier en Jésus, mon Sauveur.
Tes paroles d'amour sont de mystiques roses
Qui doivent embaumer les siècles à venir:
En toi, le Tout-Puissant a fait de grandes choses:
Je veux les méditer, afin de l'en bénir.

Quand le bon saint Joseph ignore le miracle
Que tu voudrais cacher dans ton humilité,
Tu le laisses pleurer tout près du tabernacle
Qui voile du Sauveur la divine beauté.
Oh! que je l'aime encor ton éloquent silence!
Pour moi, c'est un concert doux et mélodieux
Qui me dit la grandeur et la toute-puissance
D'une âme qui n'attend son secours que des cieux...

Plus tard, à Bethléem, ô Joseph, ô Marie,
Je vous vois repoussés de tous les habitants;
Nul ne veut recevoir en son hôtellerie
De pauvres étrangers... la place est pour les grands!
La place est pour les grands, et c'est dans une étable
Que la Reine des cieux doit enfanter un Dieu.
O Mère du Sauveur, que je te trouve aimable!
Que je te trouve grande en un si pauvre lieu!

Quand je' vois l'Eternel enveloppé de langes,
Quand, du Verbe divin, j'entends le faible cri...
Marie, à cet instant, envierais-je les Anges?
Leur Seigneur adorable est mon Frère chéri!
Oh! que je te bénis, toi qui sur nos rivages
As fait épanouir cette divine Fleur!
Que je t'aime, écoutant les bergers et les mages,
Et gardant avec soin toute chose en ton cœur!

Je t'aime, te mêlant avec les autres femmes
Qui, vers le Temple saint, ont dirigé leurs pas;
Je t'aime, présentant le Sauveur de nos âmes
Au bienheureux vieillard qui le presse en ses bras;
D'abord en souriant j'écoute son cantique;
Mais bientôt ses accents me font verser des pleurs...
Plongeant dans l'avenir un regard prophétique,
Siméon te présente un glaive de douleurs!

O Reine des martyrs, jusqu'au soir de ta vie
Ce glaive douloureux transpercera ton cœur.
Déjà tu dois quitter le sol de ta patrie,
Pour éviter d'un roi la jalouse fureur.
Jésus sommeille en paix sous les plis de ton voile,
Joseph vient te prier de partir à l'instant;
Et ton obéissance aussitôt se dévoile:
Tu pars sans nul retard et sans raisonnement.

Sur la terre d'Egypte, il me semble, ô Marie,
Que dans la pauvreté ton cœur reste joyeux;
Car Jésus n'est-il pas la plus belle patrie?
Que t'importe l'exil?... Tu possèdes les cieux
Mais à Jérusalem une amère tristesse,
Comme un vaste océan, vient inonder ton cœur...
Jésus, pendant trois jours, se cache à ta tendresse.
Alors c'est bien l'exil dans toute sa rigueur!

Enfin tu l'aperçois, et l'amour te transporte...
Tu dis au bel Enfant qui charme les Docteurs:
«O mon Fils, pourquoi donc agis-tu de la sorte?
«Voilà ton père et moi qui te cherchions en pleurs!...»
Et l'Enfant-Dieu répond—oh! quel profond mystère!—
A la Mère qu'il aime et qui lui tend les bras:
«Pourquoi me cherchiez-vous?... Aux œuvres de mon Père
«Je dois penser déjà!... Ne ne le savez-vous pas?»

L'Evangile m'apprend que, croissant en sagesse,
A Marie, à Joseph, Jésus reste soumis;
Et mon cœur me révèle avec quelle tendresse
Il obéit toujours à ses parents chéris.
Maintenant je comprends le mystère du Temple,
La réponse, le ton de mon aimable Roi:
Mère, ce doux Enfant veut que tu sois l'exemple
De l'âme qui le cherche en la nuit de la foi...

Puisque le Roi des Cieux a voulu que sa Mère
Fût soumise à la nuit, à l'angoisse du cœur,
Alors, c'est donc un bien de souffrir sur la terre?
Oui!... souffrir en aimant, c'est le plus pur bonheur!
Tout ce qu'il m'a donné, Jésus peut le reprendre,
Dis-lui de ne jamais se gêner avec moi;
Il peut bien se cacher, je consens à l'attendre
Jusqu'au jour sans couchant où s'éteindra ma foi.

Je sais qu'à Nazareth, Vierge pleine de grâces,
Tu vis très pauvrement, ne voulant rien de plus;
Point de ravissements, de miracles, d'extases
N'embellissent ta vie, ô Reine des élus!
Le nombre des petits est bien grand sur la terre,
Ils peuvent, sans trembler, vers toi lever les yeux;
Par la commune voie, incomparable Mère,
Il te plaît de marcher pour les guider aux cieux!

Pendant ce triste exil, ô ma Mère chérie,
Je veux vivre avec toi, te suivre chaque jour;
Vierge, en te contemplant je me plonge ravie,
Découvrant dans ton cœur des abîmes d'amour!
Ton regard maternel bannit toutes mes craintes:
Il m'apprend à pleurer, il m'apprend à jouir.
Au lieu de mépriser les jours de fêtes saintes,
Tu veux les partager, tu daignes les bénir.

Des époux de Cana voyant l'inquiétude
Qu'ils ne peuvent cacher, car ils manquent de vin,
Au Sauveur tu le dis, dans ta sollicitude,
Espérant le secours de son pouvoir divin.
Jésus semble d'abord repousser ta prière:
«Qu'importe, répond-il, femme, à vous comme à moi?»
Mais, au fond de son cœur il te nomme sa Mère,
Et son premier miracle il l'opère pour toi!

Un jour que les pécheurs écoutent la doctrine
De Celui qui voudrait au ciel les recevoir:
Je te trouve avec eux, Mère, sur la colline;
Quelqu'un dit à Jésus que tu voudrais le voir.
Alors ton divin Fils, devant la foule entière,
De son amour pour nous montre l'immensité;
Il dit: «Quel est mon frère, et ma sœur, et ma mère,
«Si ce n'est celui-là qui fait ma volonté

O Vierge immaculée, ô Mère la plus tendre!
En écoutant Jésus tu ne t'attristes pas,
Mais tu te réjouis qu'il nous fasse comprendre
Que notre âme devient sa famille ici-bas.
Oui, tu te réjouis qu'il nous donne sa vie,
Les trésors infinis de sa Divinité!
Comment ne pas t'aimer, te bénir, ô Marie!
Voyant, à notre égard, ta générosité?...

Tu nous aimes vraiment comme Jésus nous aime,
Et tu consens pour nous à t'éloigner de lui.
Aimer, c'est tout donner, et se donner soi-même:
Tu voulus le prouver en restant notre appui.
Le Sauveur connaissait ton immense tendresse,
Il savait les secrets de ton cœur maternel...
Refuge des pécheurs, c'est à toi qu'il nous laisse
Quand il quitte la croix pour nous attendre au ciel!

Tu m'apparais, Marie, au sommet du Calvaire,
Debout, près de la Croix, comme un prêtre à l'autel;
Offrant, pour apaiser la justice du Père,
Ton bien-aimé Jésus, le doux Emmanuel.
Un prophète l'a dit, ô Mère désolée:
«Il n'est pas de douleur semblable à ta douleur!»
O Reine des martyrs, en restant exilée,
Tu prodigues pour nous tout le sang de ton cœur!

La maison de saint Jean devient ton seul asile;
Le fils de Zébédée a remplacé Jésus!
C'est le dernier détail que donne l'Evangile:
De la Vierge Marie il ne me parle plus...
Mais son profond silence, ô ma Mère chérie,
Ne révèle-t-il pas que le Verbe éternel
Veut lui-même chanter les secrets de ta vie
Pour charmer tes enfants, tous les élus du ciel?

Bientôt je l'entendrai cette douce harmonie;
Bientôt, dans le beau ciel, je vais aller te voir!
Toi qui vins me sourire au matin de ma vie,
Viens me sourire encor... Mère, voici le soir!
Je ne crains plus l'éclat de ta gloire suprême;
Avec toi j'ai souffert... et je veux maintenant
Chanter sur tes genoux, Vierge, pourquoi je t'aime.....
Et redire à jamais que je suis ton enfant!

Mai 1897.