Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face Histoire d'une âme écrite par elle-même

Portrait de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus d'après un tableau de «Celine».  Ce qui m'attire vers la patrie des cieux c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui les béniront éternellement. Portrait de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus d'après un tableau de «Celine».

Ce qui m'attire vers la patrie des cieux c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui les béniront éternellement.

PREMIÈRE PARTIE

Mon chants d'aujourd'hui.

Air: Dieu de paix et d'amour.

——

Ma vie est un instant, une heure passagère,
Ma vie est un moment qui m'échappe et qui fuit.
Tu le sais, ô mon Dieu, pour t'aimer sur la terre,
Je n'ai rien qu'aujourd'hui!

Oh! je t'aime Jésus!... vers toi mon âme aspire...
Pour un jour seulement reste mon doux appui!
Viens régner en mon cœur, donne-moi ton sourire
Rien que pour aujourd'hui!

Que m'importe, Seigneur, si l'avenir est sombre!
Te prier pour demain, oh! non, je ne le puis...
Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre
Rien que pour aujourd'hui!

Si je songe à demain, je crains mon inconstance,
Je sens naître en mon cœur la tristesse et l'ennui;
Mais je veux bien, mon Dieu, l'épreuve, la souffrance
Rien que pour aujourd'hui!

Je dois te voir bientôt sur la rive éternelle,
O Pilote divin, dont la main me conduit!
Sur les flots orageux guide en paix ma nacelle,
Rien que pour aujourd'hui!

Ah! laisse-moi, Seigneur, me cacher en ta Face;
Là je n'entendrai plus du monde le vain bruit.
Donne-moi ton amour, conserve-moi ta grâce
Rien que pour aujourd'hui!

Près de ton Cœur divin, oubliant ce qui passe,
Je ne redoute plus les traits de l'ennemi.
Ah! donne-moi, Jésus, dans ton Cœur une place,
Rien que pour aujourd'hui!

Pain vivant, Pain du ciel, divine Eucharistie,
O mystère touchant que l'amour a produit!
Viens habiter mon cœur, Jésus, ma blanche Hostie,
Rien que pour aujourd'hui!

Daigne m'unir à toi, Vigne sainte et sacrée,
Et mon faible rameau te donnera son fruit,
Et je pourrai t'offrir une grappe dorée,
Seigneur, des aujourd'hui.

Cette grappe d'amour dont les grains sont les âmes,
Je n'ai pour la former que ce jour qui s'enfuit...
Oh! donne-moi, Jésus, d'un apôtre les flammes,
Rien que pour aujourd'hui!

O Vierge Immaculée! O toi la douce Etoile
Qui rayonne Jésus et qui m'unit à lui,
O Mère! laisse-moi me cacher sous ton voile,
Rien que pour aujourd'hui!

O mon Ange gardien! couvre-moi de ton aile,
Eclaire de tes feux ma route, ô doux ami!
Viens diriger mes pas, aide-moi, je t'appelle,
Rien que pour aujourd'hui!

Je veux voir mon Jésus, sans voile, sans nuage;
Cependant ici-bas je suis bien près de lui...
Il ne sera caché son aimable Visage
Rien que pour aujourd'hui!

Je volerai bientôt pour dire ses louanges,
Quand le jour sans couchant sur mon âme aura lui;
Alors je chanterai sur la lyre des anges
L'éternel aujourd'hui!

Juin 1894.

————

Vivre d'amour!

Air du cantique: Il est à moi!

——

«Si quelqu'un m'aime, il gardera ma Parole, et mon Père l'aimera... et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.....

Je vous donne ma paix... demeurez en mon amour.»

(Joan., XIV, 23, 27.—XV, 9.)

Au soir d'amour, parlant sans parabole,
Jésus disait: «Si quelqu'un veut m'aimer,
«Fidèlement qu'il garde ma parole,
«Mon Père et moi viendrons le visiter;
«Et, de son cœur, faisant notre demeure,
«Notre palais, notre vivant séjour,
«Rempli de paix, nous voulons qu'il demeure
«En notre amour.»

Vivre d'amour, c'est te garder toi-même,
Verbe incréé! Parole de mon Dieu!
Ah! tu le sais, divin Jésus, je t'aime!
L'Esprit d'amour m'embrase de son feu.
C'est en t'aimant que j'attire le Père,
Mon faible cœur le garde sans retour;
O Trinité! vous êtes prisonnière
De mon amour.

Vivre d'amour, c'est vivre de ta vie,
Roi glorieux, délices des élus!
Tu vis pour moi caché dans une hostie...
Je veux pour toi me cacher, ô Jésus!
A des amants il faut la solitude,
Un cœur à cœur qui dure nuit et jour;
Ton seul regard fait ma béatitude,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, ce n'est pas sur la terre
Fixer sa tente au sommet du Thabor;
Avec Jésus, c'est gravir le Calvaire,
C'est regarder la croix comme un trésor!
Au ciel, je dois vivre de jouissance,
Alors l'épreuve aura fui sans retour:
Mais, ici-bas, je veux dans la souffrance
Vivre d'amour!

Vivre d'amour, c'est donner sans mesure,
Sans réclamer de salaire ici-bas;
Ah! sans compter je donne, étant bien sûre
Que lorsqu'on aime on ne calcule pas.
Au Cœur divin, débordant de tendresse,
J'ai tout donné! légèrement je cours...
Je n'ai plus rien que ma seule richesse:
Vivre d'amour!

Vivre d'amour, c'est bannir toute crainte,
Tout souvenir des fautes du passé.
De mes péchés je ne vois nulle empreinte,
Au feu divin chacun s'est effacé.
Flamme sacrée, ô très douce fournaise,
En ton foyer je fixe mon séjour;
Jésus, c'est là que je chante à mon aise:
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est garder en soi-même
Un grand trésor en un vase mortel.
Mon Bien-Aimé! ma faiblesse est extrême!
Ah! je suis loin d'être un ange du ciel.
Mais, si je tombe à chaque heure qui passe,
Me relevant, m'embrassant tour à tour,
Tu viens à moi, tu me donnes ta grâce,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est naviguer sans cesse,
Semant la joie et la paix dans les cœurs;
Pilote aimé! la charité me presse,
Car je te vois dans les âmes, mes sœurs.
La charité, voilà ma seule étoile:
A sa clarté, je vogue sans détour;
J'ai ma devise écrite sur ma voile:
«Vivre d'amour!»

Vivre d'amour, lorsque Jésus sommeille,
C'est le repos sur les flots orageux.
Oh! ne crains pas, Seigneur, que je t'éveille,
J'attends en paix le rivage des cieux...
La Foi bientôt déchirera son voile,
Et mon Espoir ne comptera qu'un jour;
La Charité gonfle et pousse ma voile,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est, ô mon divin Maître!
Te supplier de répandre tes feux
En l'âme élue et sainte de ton prêtre;
Qu'il soit plus pur qu'un séraphin des cieux!
Protège-la ton Eglise immortelle,
Je t'en conjure à chaque instant du jour.
Moi, son enfant, je m'immole pour elle,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est essuyer ta Face,
C'est obtenir des pécheurs le pardon.
O Dieu d'amour! qu'ils rentrent dans ta grâce,
Et qu'à jamais ils bénissent ton Nom!
Jusqu'à mon cœur retentit le blasphème;
Pour l'effacer je redis chaque jour:
O Nom sacré! je t'adore et je t'aime,
Je vis d'amour!

Vivre d'amour, c'est imiter Marie
Baignant de pleurs, de parfums précieux
Tes pieds divins, qu'elle baise ravie,
Les essuyant avec ses longs cheveux;
Puis, se levant, dans une sainte audace,
Ton doux Visage elle embaume à son tour:
Moi, le parfum dont j'embaume ta Face,
C'est mon amour!

«Vivre d'amour, quelle étrange folie!
Me dit le monde, ah! cessez de chanter;
Ne perdez pas vos parfums, votre vie;
Utilement, sachez les employer!»
—T'aimer, Jésus, quelle perte féconde!
Tous mes parfums sont à toi sans retour.
Je veux chanter en sortant de ce monde:
Je meurs d'amour!

Mourir d'amour, c'est un bien doux martyre,
Et c'est celui que je voudrais souffrir.
O Chérubins! accordez votre lyre,
Car, je le sens, mon exil va finir...
Dard enflammé, consume-moi sans trêve,
Blesse mon cœur en ce triste séjour.
Divin Jésus, réalise mon rêve:
Mourir d'amour!

Mourir d'amour, voilà mon espérance!
Quand je verrai se briser mes liens,
Mon Dieu sera ma grande récompense;
Je ne veux point posséder d'autres biens.
De son amour je suis passionnée;
Qu'il vienne enfin m'embraser sans retour!
Voilà mon ciel, voilà ma destinée:
Vivre d'amour!...

25 février 1895.

LA SAINTE FACE
DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
(D'après le Saint Suaire de Turin.)
LA SAINTE FACE  DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST  (D'après le Saint Suaire de Turin.)  Propriété réservée.  Carmel de Lisieux, pinx1.

PRIÈRE

O Jésus, qui dans votre cruelle Passion êtes devenu «l'opprobre des hommes et l'homme de douleurs», je vénère votre divin Visage, sur lequel brillaient la beauté et la douceur de la divinité, maintenant devenu pour moi «comme le visage d'un lépreux!» Mais sous ces traits défigurés, je reconnais votre amour infini, et je me consume du désir de vous aimer et de vous faire aimer de tous les hommes. Les larmes qui coulèrent si abondamment de vos yeux m'apparaissent comme des perles précieuses que je veux recueillir, afin d'acheter, avec leur valeur infinie, les âmes des pauvres pécheurs.

O Jésus, dont le Visage est la seule beauté qui ravit mon cœur, j'accepte de ne pas voir ici-bas la douceur de votre regard, de ne pas sentir l'inexprimable baiser de votre bouche; mais je vous supplie d'imprimer en moi votre divine ressemblance et de m'embraser de votre amour, afin qu'il me consume rapidement, et que j'arrive bientôt à voir votre glorieux Visage dans le Ciel!

Ainsi soit-il.

(Prière de la servante de Dieu,      
Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face.
)

Indulgence de 300 jours, chaque fois, applicable aux âmes du Purgatoire.

Pie X, 13 Février 1905.

————

Faveurs accordées par Sa Sainteté Pie X
LE 9 DÉCEMBRE 1905
à tous ceux qui méditeront pendant quelques instants sur la Passion
devant cette Image de la Sainte Face.

1º Toutes les indulgences accordées précédemment par les Souverains Pontifes à la Couronne des Cinq Plaies.

2º La Bénédiction Apostolique.

Cantique à la sainte Face.

Air: Les regrets de Mignon. (F. Boissière.)

——

Jésus, ton ineffable image
Est l'astre qui conduit mes pas;
Tu le sais bien, ton doux Visage
Est pour moi le ciel ici-bas!
Mon amour découvre les charmes
De tes yeux embellis de pleurs.
Je souris à travers mes larmes,
Quand je contemple tes douleurs.

Oh! je veux pour te consoler
Vivre ignorée et solitaire;
Ta beauté que tu sais voiler
Me découvre tout son mystère,
Et vers toi je voudrais voler!

Ta Face est ma seule patrie,
Elle est mon royaume d'amour;
Elle est ma riante prairie,
Mon doux soleil de chaque jour;
Elle est le lis de la vallée
Dont le parfum mystérieux
Console mon âme exilée,
Lui fait goûter la paix des cieux.

Elle est mon repos, ma douceur,
Et ma mélodieuse lyre...
Ton Visage, ô mon doux Sauveur,
Est le divin bouquet de myrrhe
Que je veux garder sur mon cœur!

Ta Face est ma seule richesse;
Je ne demande rien de plus.
En elle, me cachant sans cesse,
Je te ressemblerai, Jésus!
Laisse en moi la divine empreinte
De tes traits remplis de douceurs,
Et bientôt je deviendrai sainte,
Vers toi j'attirerai les cœurs!

Afin que je puisse amasser
Une belle moisson dorée,
De tes feux daigne m'embraser!
Bientôt, de ta bouche adorée,
Donne-moi l'éternel baiser!

12 août 1895.

Dirupisti, Domine, vincula mea!

Vous avez rompu mes liens, Seigneur! (Ps. cxv, 7.)

A Sr MARIE DE L'EUCHARISTIE

POUR LE JOUR DE SON ENTRÉE AU CARMEL

Air: Mignon, connais-tu le pays? (A. Thomas.)

——

O Jésus, en ce jour tu brises mes liens!
C'est dans l'Ordre béni de la Vierge Marie
Que je pourrai trouver les véritables biens.
Seigneur, si j'ai quitté ma famille chérie,
Tu sauras la combler de célestes faveurs...
A moi, tu donneras le pardon des pécheurs!

Jésus, au Carmel je dois vivre,
Puisqu'en cette oasis ton amour m'appela;
C'est là que je veux te suivre,
T'aimer et bientôt mourir...
C'est là, oui, c'est là!

O Jésus, en ce jour tu combles tous mes vœux:
Je pourrai désormais, près de l'Eucharistie,
M'immoler en silence, attendre en paix les cieux!
M'exposant aux rayons de la divine Hostie,
A ce foyer d'amour je me consumerai,
Et comme un séraphin, Seigneur, je t'aimerai.

Jésus, bientôt je dois te suivre
Au rivage éternel, quand finiront mes jours;
Toujours, au ciel je dois vivre,
T'aimer et ne plus mourir,
Toujours, oui, toujours!

15 août 1895.

Jésus, mon Bien-Aimé, rappelle-toi!...

Air: Rappelle-toi.

——

«Ma fille, cherche celles de mes paroles qui respirent le plus d'amour; écris-les, et puis, les gardant précieusement comme des reliques, aie soin de les relire souvent. Quand un ami veut réveiller au cœur de son ami la vivacité première de son affection, il lui dit: Souviens-toi de ce que tu éprouvais quand tu me dis un jour telle parole; ou bien: Te souviens-tu de tes sentiments à telle époque, un tel jour, en un tel lieu? Crois-le donc, les plus précieuses reliques qui demeurent de moi sur la terre sont les paroles de mon amour, les paroles sorties de mon très doux Cœur.»

Notre-Seigneur à sainte Gertrude.

Oh! souviens-toi de la gloire du Père,
Rappelle-toi les divines splendeurs
Que tu quittas, t'exilant sur la terre,
Pour racheter tous les pauvres pécheurs.
O Jésus! t'abaissant vers la Vierge Marie,
Tu voilas ta grandeur et ta gloire infinie.
De ce sein maternel
Qui fut ton second ciel,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi qu'au jour de ta naissance,
Quittant le ciel, les Anges ont chanté:
«A notre Dieu: gloire, honneur et puissance!
Et paix aux cœurs de bonne volonté!»
Depuis dix-neuf cents ans, tu remplis ta promesse.
Seigneur, de tes enfants, la paix est la richesse:
Pour goûter à jamais
Ton ineffable paix,
Je viens à toi!

Je viens à toi, cache-moi dans tes langes,
En ton berceau je veux rester toujours!
Là, je pourrai, chantant avec les anges,
Te rappeler les fêtes de ces jours:
O Jésus! souviens-toi des bergers et des mages
Qui t'offrirent, joyeux, leurs cœurs et leurs hommages;
Du cortège innocent
Qui te donna son sang,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi que, les bras de Marie,
Tu préféras à ton trône royal;
Petit enfant, pour soutenir ta vie,
Tu n'avais rien que le lait virginal!
A ce festin d'amour que te donne ta Mère,
Oh! daigne m'inviter, Jésus, mon petit frère,
De ta petite sœur
Qui fit battre ton Cœur,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi que tu nommas ton père
L'humble Joseph, qui, par l'ordre du Ciel,
Sans t'éveiller sur le sein de ta Mère,
Sut t'arracher aux fureurs d'un mortel.
Verbe-Dieu, souviens-toi de ce mystère étrange:
Tu gardas le silence et fis parler un ange!
De ton lointain exil
Sur les rives du Nil,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi que, sur d'autres rivages,
Les astres d'or et la lune d'argent,
Que je contemple en l'azur sans nuages,
Ont réjoui, charmé tes yeux d'enfant.
De ta petite main qui caressait Marie,
Tu soutenais le monde et lui donnais la vie.
Et tu pensais à moi!
Jésus, mon petit Roi,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que, dans la solitude,
Tu travaillais de tes divines mains;
Vivre oublié fut ta plus chère étude,
Tu rejetas le savoir des humains!
O toi qui d'un seul mot pouvais charmer le monde,
Tu te plus à cacher ta sagesse profonde...
Tu parus ignorant!
O Seigneur tout-puissant,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi qu'étranger sur la terre,
Tu fus errant, toi, le Verbe éternel!
Tu n'avais rien, non pas même une pierre,
Pas un abri, comme l'oiseau du ciel.
O Jésus! viens en moi, viens reposer ta tête,
Viens!... à te recevoir mon âme est toute prête.
Mon bien-aimé Sauveur,
Repose dans mon cœur,
Il est à toi!

Rappelle-toi les divines tendresses
Dont tu comblas les tout petits enfants;
Je veux aussi recevoir tes caresses.
Ah! donne-moi tes baisers ravissants!
Pour jouir dans les cieux de ta douce présence,
Je saurai pratiquer les vertus de l'enfance:
Tu nous l'as dit souvent:
«Le Ciel est pour l'enfant.....»
Rappelle-toi!

Rappelle-toi qu'au bord de la fontaine
Un Voyageur, fatigué du chemin,
Fit déborder sur la Samaritaine
Les flots d'amour que renfermait son sein.
Ah! je connais Celui qui demandait à boire:
Il est le «Don de Dieu», la source de fa gloire!
C'est toi l'eau qui jaillit,
Jésus! tu nous as dit:
«Venez à moi!

«Venez à moi, pauvres âmes chargées;
«Vos lourds fardeaux bientôt s'allégeront,
«Et, pour toujours, dans mon Cœur submergées,
«De votre sein des sources jailliront.»
J'ai soif, ô mon Jésus! cette eau, je la réclame.
De ses torrents divins daigne inonder mon âme;
Pour fixer mon séjour
En l'océan d'amour,
Je viens à toi!

Rappelle-toi qu'enfant de la lumière,
Souvent, hélas! je néglige mon Roi;
Oh! prends pitié de ma grande misère,
Dans ton amour, Jésus, pardonne-moi!
Aux affaires du ciel daigne me rendre habile,
Montre-moi les secrets cachés dans l'Evangile.
Ah! que ce livre d'or
Est mon plus cher trésor,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que ta divine Mère
A sur ton Cœur un pouvoir merveilleux!
Rappelle-toi qu'un jour, à sa prière,
Tu changeas l'onde en vin délicieux!
Daigne aussi transformer mes œuvres indigentes...
A la voix de Marie, ô Dieu! rends-les ferventes:
Que je suis son enfant,
Mon Jésus, bien souvent,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que souvent les collines
Tu gravissais au coucher du soleil;
Rappelle-toi tes oraisons divines,
Tes chants d'amour à l'heure du sommeil!
Ta prière, ô mon Dieu, je l'offre avec délice
Pendant mes oraisons, pendant le saint office:
Là, tout près de ton Cœur,
Je chante avec bonheur,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que, voyant la campagne,
Ton divin Cœur devançait les moissons;
Levant les yeux vers la sainte Montagne,
De tes élus tu murmurais les noms!
Afin que ta moisson soit bientôt recueillie,
Chaque jour, ô mon Dieu, je m'immole et je prie.
Que ma joie et mes pleurs
Sont pour tes moissonneurs,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi cette fête des Anges,
Cette harmonie au royaume des cieux,
Et le bonheur des sublimes phalanges,
Lorsqu'un pécheur vers toi lève les yeux!
Ah! je veux augmenter cette grande allégresse...
Jésus, pour les pécheurs je veux prier sans cesse;
Que je vins au Carmel
Pour peupler ton beau ciel,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi cette très douce flamme
Que tu voulais allumer dans les cœurs:
Ce feu du ciel, tu l'as mis en mon âme,
Je veux aussi répandre ses ardeurs.
Une faible étincelle, ô mystère de vie,
Suffit pour allumer un immense incendie.
Que je veux, ô mon Dieu,
Porter au loin ton feu,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi cette fête splendide
Que tu donnas à ton fils repentant;
Rappelle-toi que pour l'âme candide,
Tu la nourris toi-même, à chaque instant!
Jésus, avec amour tu reçois le prodigue...
Mais les flots de ton Cœur, pour moi, n'ont pas de digue.
Que tes biens sont à moi,
Mon Bien-Aimé, mon Roi,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que, méprisant la gloire,
En prodiguant tes miracles divins
Tu t'écriais: «Comment pouvez-vous croire
«Vous qui cherchez l'estime des humains?
«Les œuvres que je fais vous semblent surprenantes:
«Mes amis en feront de bien plus éclatantes.»
Que tu fus humble et doux,
Jésus, mon tendre Epoux,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi qu'en une sainte ivresse
L'Apôtre-vierge approcha de ton Cœur!
En son repos il connut ta tendresse;
Et tes secrets il les comprit, Seigneur!
De ton disciple aimé je ne suis pas jalouse;
Je connais tes secrets, car je suis ton épouse...
O mon divin Sauveur,
Je m'endors sur ton Cœur.
Il est à moi!

Rappelle-toi qu'au soir de l'agonie,
Avec ton sang se mêlèrent les pleurs;
Perles d'amour! leur valeur infinie
A fait germer de virginales fleurs.
Un Ange, te montrant cette moisson choisie,
Fit renaître la joie en ton âme bénie;
Jésus, que tu me vis
Au milieu de tes lis,
Rappelle-toi!

Ton sang, tes pleurs, cette source féconde
Virginisant les calices des fleurs,
Les a rendus capables, dès ce monde,
De t'enfanter un grand nombre de cœurs.
Je suis vierge, ô Jésus! Cependant, quel mystère!
En m'unissant à toi, des âmes je suis mère...
Des virginales fleurs
Qui sauvent les pécheurs,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi qu'abreuvé de souffrance
Un Condamné, se tournant vers les cieux,
S'est écrié: «Bientôt dans ma puissance
«Vous me verrez paraître glorieux!»
Qu'il fût le Fils de Dieu, nul ne le voulait croire,
Car elle se cachait son ineffable gloire.
O Prince de la Paix!
Moi, je te reconnais...
Je crois en toi!

Rappelle-toi que ton divin Visage,
Parmi les tiens, fut toujours inconnu!
Mais tu laissas pour moi ta douce image...
Et tu le sais, je t'ai bien reconnu!
Oui, je te reconnais, même à travers tes larmes,
Face de L'Eternel, je découvre tes charmes.
Que ton regard voilé
Mon cœur a consolé,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi cette amoureuse plainte
Qui, sur la croix, s'échappa de ton Cœur.
Ah! dans le mien, Jésus, elle est empreinte:
Oui... de ta soif il partage l'ardeur!
Plus il se sent blessé de ses divines flammes,
Plus il est altéré de te donner des âmes.
Que, d'une soif d'amour,
Je brûle nuit et jour,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi, Jésus, Verbe de vie,
Que tu m'aimas jusqu'à mourir pour moi!
Je veux aussi t'aimer à la folie;
Je veux aussi vivre et mourir pour toi:
Tu le sais, ô mon Dieu, tout ce que je désire,
C'est de te faire aimer, et d'être un jour martyre.
D'amour je veux mourir.
Seigneur, de mon désir,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi qu'au jour de ta victoire,
Tu nous disais: «Celui qui n'a pas vu
«Le Fils de Dieu tout rayonnant de gloire,
«Il est heureux... si quand même il a cru!»
Dans l'ombre de la foi, je t'aime et je t'adore:
O Jésus, pour te voir j'attends en paix l'aurore.
Que mon désir n'est pas
De te voir ici-bas,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que, montant vers le Père,
Tu ne pouvais nous laisser orphelins;
Que, te faisant prisonnier sur la terre,
Tu sus voiler tes rayons tout divins;
Mais l'ombre de ton voile est lumineuse et pure,
Pain vivant de la foi, céleste nourriture.
O mystère d'amour!
Mon Pain de chaque jour:
Jésus, c'est toi!

Jésus, c'est toi qui malgré les blasphèmes
Des ennemis du Sacrement d'amour,
C'est toi qui veux montrer combien tu m'aimes,
Puisqu'en mon cœur tu fixes ton séjour.
O Pain de l'exilé! sainte et divine Hostie!
Ce n'est plus moi qui vis; mais je vis de ta vie:
Ton ciboire doré,
Entre tous préféré,
Jésus, c'est moi!

Jésus, c'est moi ton vivant sanctuaire
Que les méchants ne peuvent profaner.
Reste en mon cœur, n'est-il pas un parterre
Dont chaque fleur vers toi veut se tourner?
Mais, si tu t'éloignais, ô blanc Lis des vallées!
Je le sais bien, mes fleurs seraient vite effeuillées.
Toujours, mon Bien-Aimé,
Jésus, Lis embaumé,
Fleuris en moi!

Rappelle-toi que je veux sur la terre
Te consoler de l'oubli des pécheurs;
Mon seul Amour, exauce ma prière:
Ah! pour t'aimer, donne-moi mille cœurs!
Mais c'est encore trop peu, Jésus, beauté suprême,
Donne-moi pour t'aimer ton divin Cœur lui-même;
De mon désir brûlant,
Seigneur, à chaque instant,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi que ta volonté sainte
Est mon repos, mon unique bonheur;
Je m'abandonne et je m'endors sans crainte
Entre tes bras, ô mon divin Sauveur!
Si tu t'endors aussi lorsque l'orage gronde,
Je veux rester toujours en une paix profonde;
Mais pendant ton sommeil,
Jésus! pour le réveil
Prépare-moi!

Rappelle-toi que souvent je soupire
Après le jour du grand avènement.
Qu'il vienne enfin l'Ange qui doit nous dire:
«Le temps n'est plus, venez au jugement!»
Alors rapidement je franchirai l'espace,
Et j'irai me cacher en ta divine Face.
Qu'au séjour éternel
Tu dois être mon ciel,
Rappelle-toi!

21 octobre 1895.