Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face Histoire d'une âme écrite par elle-même
SI VOUS CONNAISSIEZ LE DON DE DIEU!  Fresque composée et peinte par Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus  autour du Tabernacle de l'Oratoire intérieur du Carmel. SI VOUS CONNAISSIEZ LE DON DE DIEU!
Fresque composée et peinte par Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus
autour du Tabernacle de l'Oratoire intérieur du Carmel.

Vous tremblerez, habitants de la terre;
Vous tremblerez à votre dernier jour!
Ne pouvant plus soutenir la colère
De cet Enfant, aujourd'hui Dieu d'amour.
Pour vous, mortels, il choisit la souffrance,
Ne réclamant que votre faible cœur;
Au jugement vous verrez sa puissance,
Vous tremblerez devant le Dieu vengeur.

Tous les Anges, à l'exception de l'Ange du jugement dernier.

Air: O Cœur de notre aimable Mère.

Oh! daigne écouter la prière
De tes Anges, divin Jésus!
Toi qui viens racheter la terre,
Prends la défense des élus.

De ta main, ah! brise ce glaive,
Apaise cet Ange en courroux!
Bel Enfant, que ta voix s'élève
Pour sauver le cœur humble et doux.

L'Enfant-Jésus.

Air: Petit oiseau, dis, où vas-tu?

Consolez-vous, Anges fidèles;
Vous seuls, pour la première fois,
Loin des collines éternelles,
Du Verbe, écouterez la voix:

Je vous chéris, ô pures flammes!
Anges du céleste séjour!
Mais, comme vous, j'aime les âmes,
Je les aime d'un grand amour.

Je les ai faites pour moi-même,
J'ai fait leurs désirs infinis;
La plus petite âme qui m'aime
Devient pour moi le paradis.

L'Ange de l'Enfant-Jésus lui demande de cueillir sur la terre une abondante moisson d'âmes innocentes, avant qu'elles soient ternies par le souffle impur du péché.

Réponse de l'Enfant-Jésus.

O bel Ange de mon enfance!
J'exaucerai tes vœux ardents:
Je saurai garder l'innocence
En l'âme des petits enfants.

Je les cueillerai dès l'aurore,
Charmants boutons, pleins de fraîcheur;
Au ciel tu les verras éclore
Sous les purs rayons de mon Cœur.

Leur belle corolle argentée,
Plus brillante que mille feux,
Formera la route lactée
De l'azur étoilé des cieux.

Je veux des lis pour ma couronne,
Moi, Jésus, le beau Lis des champs,
Et je veux, pour former mon trône,
Une gerbe de lis brillants.

L'Ange de la Sainte Face demande le pardon des pécheurs.

Réponse de l'Enfant-Jésus.

Toi qui contemples mon Visage
Dans un ravissement d'amour,
Et qui, pour garder mon image,
Quittas le céleste séjour,

Je veux exaucer ta prière:
Toute âme obtiendra son pardon,
Je la remplirai de lumière,
Dès qu'elle invoquera mon Nom.

O toi qui voulus sur la terre
Honorer ma croix, ma douleur;
Bel Ange, écoute ce mystère:
Toute âme qui souffre est ta sœur.

Au ciel, l'éclat de sa souffrance
Sur ton front viendra rejaillir;
Et le rayon de ton essence
Illuminera le martyr.

L'Ange de l'Eucharistie demande ce qu'il pourra faire pour le consoler de l'ingratitude des hommes.

Réponse de l'Enfant-Jésus.

Ange de mon Eucharistie,
C'est toi qui charmeras mon Cœur;
Oui, c'est ta douce mélodie
Qui consolera ma douleur.

J'ai soif de me donner aux âmes;
Mais bien des cœurs sont languissants:
Séraphin, donne-leur tes flammes,
Attire-les par tes doux chants.

Je voudrais que l'âme du prêtre
Ressemblât à l'Ange du ciel!
Ah! je voudrais qu'il pût renaître
Avant de monter à l'autel.

Afin d'opérer ce miracle,
Il faut que, brûlantes d'amour,
Des âmes, près du Tabernacle,
S'immolent la nuit et le jour.

L'Ange de la Résurrection demande ce que deviendront les pauvres exilés de la terre, quand le Sauveur sera monté aux cieux.

Réponse de l'Enfant-Jésus.

Je remonterai vers mon Père,
Afin d'attirer mes élus;
Après l'exil de cette terre,
Dans mon Cœur ils seront reçus.

Quand sonnera la dernière heure,
Je rassemblerai mon troupeau;
Et, dans la céleste demeure,
Je lui servirai de flambeau.

L'Ange du jugement dernier.

Oublieras-tu, Jésus, bonté suprême,
Que le pécheur doit être enfin puni?
Oublieras-tu, dans ton amour extrême,
Que, des ingrats, le nombre est infini?
Au jugement je châtierai le crime,
Et ma fureur saura se décharger.
Mon glaive est prêt!... Jésus, douce Victime,
Mon glaive est prêt; je viendrai te venger!

L'Enfant-Jésus.

O bel Ange, abaisse ton glaive,
Ce n'est pas à toi de juger
La nature que je relève:
De la paix, je suis Messager.

Celui qui jugera le monde:
C'est moi... que l'on nomme Jésus!
De mon sang, la source féconde
Purifiera tous mes élus.

Sais-tu que les âmes fidèles
Me consoleront chaque jour
Des blasphèmes des infidèles,
Par un simple regard d'amour?

Aussi, dans la sainte patrie,
Mes élus seront glorieux;
Et, leur communiquant ma vie,
J'en ferai comme autant de dieux.

L'Ange du jugement dernier.

Air: Dieu de paix et d'amour.

Devant toi, doux Enfant, le Chérubin s'incline: Il admire, éperdu, ton ineffable amour, Il voudrait, comme toi, sur la sombre colline Pouvoir mourir un jour!

REFRAIN

Chanté par tous les Anges.

Qu'il est grand le bonheur de l'humble créature! Le Séraphin voudrait, dans son ravissement, Délaisser, ô Jésus, l'angélique nature, Et devenir enfant...

Noël 1894.

La fuite en Egypte.

Récréation pieuse (Fragment).

L'Ange avertit saint Joseph.

Air: La folle de la plage.

Vers l'Egypte, bien vite,
Il faut prendre la fuite!...
Joseph, dès cette nuit,
Eloigne-toi sans bruit.

Hérode, en sa furie,
Cherche le Roi nouveau:
A ce divin Agneau
Il veut ôter la vie.
Prends la Mère et l'Enfant,
Fuyez rapidement!

Chant des Anges accompagnant la sainte Famille.
Air: Les gondolières vénitiennes.

Ineffable mystère!
Jésus, le Roi du ciel,
Exilé sur la terre,
Fuit devant un mortel!
A ce Dieu dans les langes,
Offrons tout notre amour;
Que nos blanches phalanges
Viennent former sa cour.

Couvrons-le de nos ailes
Et des fleurs les plus belles;
Far nos concerts joyeux,
Berçons le Roi des cieux.
Pour consoler sa Mère,
Chantons avec mystère
Les charmes du Sauveur,
Sa grâce et sa douceur!

Ah! quittons ce rivage,
Bien loin de l'orage,
Fuyons cette nuit,
Loin de tout bruit.

La Vierge sous son voile
Cache notre étoile:
L'astre des élus,
L'Enfant-Jésus.

Le Roi du ciel
Fuit devant un mortel!...

L'Ange du désert.
Air: du Credo d'Herculanum.

Je viens chanter, de la sainte Famille,
L'éclat divin qui m'attire en ces lieux;
Dans le désert, cette étoile qui brille
Me charme plus que la gloire des cieux.
Ah! qui pourra comprendre ce mystère:
Parmi les siens, Jésus est rejeté!
Il est errant, voyageur sur la terre,
Et nul ne sait découvrir sa beauté.

Mais, si les grands redoutent votre empire,
O Roi du ciel, Astre mystérieux!
Depuis longtemps plus d'un cœur vous désire,
C'est vous l'espoir de tous les malheureux.
Verbe éternel, ô Sagesse profonde!
Vous répandez vos ineffables dons
Sur les petits, les faibles de ce monde:
Et dans le ciel vous écrivez leurs noms.

Si vous donnez la sagesse en partage
A l'ignorant, s'il est humble de cœur,
C'est que toute âme est faite à votre image.
Vous appelez, vous sauvez le pécheur!
Un jour viendra qu'en la même prairie,
L'agneau paîtra doucement près du lion;
Et le désert, votre unique patrie,
Plus d'une fois entendra votre Nom.

O Dieu caché! des âmes virginales,
Brûlant de zèle au foyer de l'amour,
S'élanceront sur vos traces royales,
Et les déserts se peupleront un jour.
Ces cœurs ardents, ces âmes séraphiques
Réjouiront tous les Anges des cieux,
Et l'humble accent de leurs divins cantiques
Fera trembler l'abîme ténébreux.

Dans sa fureur, sa basse jalousie,
Satan voudra dépeupler les déserts;
Il ne sait pas la puissance infinie
Du faible Enfant qu'ignore l'univers.
Il ne sait pas que la vierge fervente
Trouve toujours le repos en son cœur;
Il ne sait pas combien elle est puissante
Cette âme unie à son divin Sauveur!

Peut-être un jour vos épouses chéries
Partageront votre exil, ô mon Dieu!
Mais les pécheurs qui les auront bannies,
De leur amour n'éteindront pas le feu.
Du monde impur la haine sacrilège
N'atteindra pas les vierges du Seigneur
Jusqu'à souiller leur vêtement de neige,
Jusqu'à ternir leur céleste blancheur.

O monde ingrat, déjà ton règne expire;
Ne vois-tu pas que ce petit Enfant
Cueille joyeux la palme du martyre,
La rose d'or, le lis éblouissant?
Ne vois-tu pas que ses vierges fidèles
Tiennent en main la lampe de l'amour?
Ne vois-tu pas les portes éternelles,
Qui, pour les saints, doivent s'ouvrir un jour?

Heureux instant! ô bonheur sans mélange,
Quand les élus, paraissant glorieux,
De leur amour recevront en échange
L'éternité pour aimer dans les cieux!
Après l'exil, plus jamais de souffrance,
Mais le repos du céleste séjour;
Après l'exil, plus de foi, d'espérance,
Rien que la paix, l'extase de l'amour!

21 janvier 1896.

Jésus à Béthanie.

Récréation pieuse.

Air: L'Ange et l'aveugle.

Marie-Madeleine.

O Dieu, mon divin Maître,
Jésus, mon seul amour!
A vos pieds je veux être,
J'y fixe mon séjour.
En vain sur cette terre
J'ai cherché le bonheur.
Une tristesse amère
Seule a rempli mon cœur...

Jésus.

Marie, ô Madeleine!
Je suis ton doux Sauveur!
Oubliant toute peine,
Jouis de ton bonheur.
Tes regrets sont extrêmes,
Et mon Cœur te redit:
Je sais bien que tu m'aimes.
Ton amour me suffit!

Marie-Madeleine.

C'en est trop, mon bon Maître,
Je me sens défaillir...
Que ne puis-je renaître
En ce jour, ou mourir!
Comprenez mes alarmes,
O Jésus, mon Sauveur!
J'ai fait couler vos larmes:
Quelle immense douleur!

Jésus.

Il est vrai, sur ton âme
J'ai répandu des pleurs;
Mais d'un seul trait de flamme,
Te puis changer les cœurs.
Ton âme, rajeunie
Par mon regard divin,
Dans l'éternelle vie
Me bénira sans fin!

Marie-Madeleine.

Jésus, votre amour même
Vient déchirer mon cœur,
Votre bonté suprême
Augmente ma douleur;
J'ai méconnu vos charmes
Et, dans mon repentir,
Je n'ai plus que des larmes,
Seigneur, à vous offrir!

Jésus.

Ces larmes précieuses
Brillent plus à mes yeux
Que les perles nombreuses
Qui scintillent aux Cieux.
A l'étoile charmante
Rayonnant dans l'azur,
Je préfère l'amante
Au cœur devenu pur.

Marie-Madeleine.

Quel étonnant mystère!
O mon divin Sauveur,
N'est-il rien sur la terre
Qui charme votre Cœur?
Les lointaines montagnes,
Le blanc et doux agneau,
Les fleurs de nos campagnes,
Est-il rien de plus beau?


Jésus.

Tu vois la fleur éclose
Et son éclat charmant;
Pour moi, je vois la rose
De ton amour ardent.
Cette rose empourprée
A su ravir mon cœur;
Elle est ma préférée
Entre toute autre fleur.

Marie-Madeleine.

L'oiseau, de sa voix pure,
Chante votre grandeur;
Le ruisseau qui murmure
Vous donne sa fraîcheur;
Le lis de la vallée
Vous offre son trésor:
Sa blancheur étoilée
De fines perles d'or.

Jésus.

Salomon, dans sa gloire,
Était moins bien paré
Sur son trône d'ivoire
Que ce beau lis nacré;
Les simples pâquerettes
Surpassent le grand roi,
Et toutes ces fleurettes
N'éclosent que pour toi.

Marie-Madeleine.

Du virginal cortège
Vous offrant son amour,
Le blanc manteau de neige
Brillera sans retour...
Moi, d'une triste vie,
Je vous offre la fin;
Hélas! je l'ai flétrie
Encore à son matin!...

Jésus.

Si j'aime, de l'aurore,
Les purs et brillants feux:
Marie... ah! j'aime encore
Un beau soir radieux.
Ma bonté sans égale
Placera le pécheur
Et l'âme virginale
Ensemble sur mon Cœur!


Marie-Madeleine.

N'avez-vous pas vos Anges,
Aux sublimes ardeurs?
Sur leurs blanches phalanges
Répandez vos faveurs!
Moi, pauvre pécheresse,
Je n'ai pas mérité
L'ineffable tendresse
De votre intimité.


Jésus.

Bien plus haut que les Anges
Tu monteras un jour;
Ils diront tes louanges,
Enviant ton amour!
Mais il faut sur la terre,
Pour tes frères pécheurs,
Que, vivant solitaire,
Tu m'attires leurs cœurs.


Marie-Madeleine.

Seigneur, d'un zèle extrême
Je sens brûler mon cœur;
Et votre voix que j'aime
En redouble l'ardeur.
Mais, pour être un apôtre,
Bien trop faible est ce cœur;
Ah! prêtez-moi le vôtre,
Jésus, mon doux Sauveur!

Marthe.

Considérez ma sœur, bon Maître, elle s'oublie:
Voyez: tout mon travail ne l'inquiète pas.
Dites-lui donc, Seigneur, ah! je vous en supplie,
Dites-lui de m'aider à servir le repas.


Jésus.

Marthe! ma charitable hôtesse,
Pourquoi voudriez-vous blâmer
Votre sœur qui toujours s'empresse
Vers Celui qui sait la charmer?


Marthe.

Mais, ô divin Sauveur, voilà ce qui m'étonne:
Ne devrait-elle pas détourner un instant
Ses regards de Celui qui chaque jour lui donne,
Et songer à donner aussi quelque présent?


Jésus.

O Marthe, je vous le confie:
Si votre amour est généreux,
Celui de votre sœur Marie
M'est infiniment précieux!


Marthe.

Vos paroles, Seigneur, sont pour moi des mystères,
Et je ne puis encor m'empêcher de penser
Qu'il vaut mieux travailler que dire des prières;
Moi, je sens mon amour qui veut se dépenser.


Jésus.

Le travail est bien nécessaire,
Je viens moi-même l'honorer;
Mais, au moyen de la prière,
Vous devez le transfigurer.


Marthe.

Je savais bien, Seigneur, que, restant inactive,
Je ne pouvais avoir de charmes à vos yeux;
C'est pourquoi je m'empresse, adorable Convive,
A préparer pour vous des mets délicieux.

Jésus.

Votre âme est généreuse et pure,
Votre travail peut le prouver;
Mais savez-vous la nourriture
Que je désirerais trouver?

Un seul ouvrage est nécessaire:
Si votre sœur reste à l'écart
Dans une amoureuse prière,
Elle a choisi la bonne part!

Oui, cette part est la meilleure,
Je le proclame dès ce jour;
O Marthe! venez à cette heure
Partager ce repos d'amour...

Marthe.

Je le comprends enfin, Jésus, bonté suprême!
Votre divin regard a pénétré mon cœur.
Tous mes dons sont trop peu: c'est mon âme elle-même
Que je dois vous offrir, ô très aimant Sauveur!

Jésus.

Oui, c'est votre cœur que j'envie.
Jusqu'à lui, je viens m'abaisser:
Les cieux et leur gloire infinie,
Pour lui, j'ai voulu délaisser.

Marthe.

Pourquoi, divin Sauveur, avez-vous, de Marie,
Fait un si grand éloge à Simon le lépreux?
Il me semble pourtant, que, dans toute sa vie,
Vous auriez dû compter plus d'un jour orageux...

Jésus.

J'ai su comprendre le langage,
D'un cœur par l'amour entraîné;
Celui-là chérit davantage
A qui l'on a plus pardonné...

Marthe.

Oh! qu'il en soit ainsi, je m'en étonne encore:
Car vous m'avez, Seigneur, épargné le danger;
Je vous dois mon amour, puisque dès mon aurore
Vous avez bien voulu me suivre et protéger.

Jésus.

Il est bien vrai qu'une âme pure,
Le chef-d'œuvre de mon amour,
Devrait, sans aucune mesure,
M'aimer, me bénir sans retour.

Vous m'avez charmé dès l'enfance
Par votre grande pureté;
Mais, si vous avez l'innocence,
Madeleine a l'humilité.

Marthe.

Jésus, pour vous ravir, je veux toute ma vie
Mépriser les honneurs, la gloire des humains;
En travaillant pour vous, j'imiterai Marie,
Ne recherchant jamais que vos regards divins.

Jésus.

Ainsi vous sauverez les âmes,
Et les attirerez vers moi;
Bien loin, vous porterez mes flammes
Avec le flambeau de la foi.

Marthe et Marie-Madeleine.

Votre voix, doux Jésus, est une mélodie
Qui nous ravit d'amour, enflammant notre cœur.
Restez donc avec nous pour charmer notre vie;
Restez ici toujours, aimable Rédempteur!


Jésus.

Je suis heureux à Béthanie,
Je m'y reposerai souvent;
Et votre Dieu, dans la patrie,
Se montrera reconnaissant...

Vous avez compris le mystère
Qui m'a fait descendre en ces lieux:
L'âme intérieure m'est chère,
Bien plus que la gloire des cieux.

Cette gloire, un jour, sera vôtre,
Et tous mes biens seront à vous:
Honneur comparable à nul autre:
Vous m'appellerez votre Epoux!

Ici-bas, fidèles amies,
Vous vous chargez de me nourrir;
Au festin des noces bénies,
Je me ceindrai pour vous servir.

29 juillet 1895.

Prière de l'enfant d'un Saint.

A son bon Père, rappelé à Dieu le 29 juillet 1894.

——

Rappelle-toi qu'autrefois sur la terre
Ton seul bonheur était de nous chérir:
De tes enfants exauce la prière,
Protège-nous, daigne encor nous bénir!
Tu retrouves là-haut notre mère chérie,
Depuis longtemps déjà dans la sainte patrie;
Maintenant, dans les cieux,
Vous régnez tous les deux...
Veillez sur nous!

Rappelle-toi ton ardente Marie,
Celle qui fut la plus chère à ton cœur;
Rappelle-toi qu'elle remplit ta vie,
Par son amour, de charme et de bonheur.
Pour Dieu, tu renonças à sa douce présence,
Et tu bénis la main qui t'offrait la souffrance.
De ton beau «diamant[266]»
Toujours plus scintillant,
Oh! souviens-toi!

Rappelle-toi ta belle «perle fine»,
Que tu connus faible et timide agneau;
Vois-la, comptant sur la force divine,
Et du Carmel conduisant le troupeau.
De tes autres enfants elle est aujourd'hui mère,
Viens guider ici-bas celle qui t'est si chère;
Et sans quitter le ciel,
De ton petit Carmel,
Oh! souviens-toi...

Rappelle-toi cette ardente prière
Que tu formas pour ta troisième enfant.
Dieu l'entendit!... elle estime la terre
Un lieu d'exil et de bannissement.
La Visitation la cache aux yeux du monde,
Elle aime le Seigneur, sa douce paix l'inonde;
De ses brûlants soupirs,
De ses ardents désirs,
Oh! souviens-toi...

Rappelle-toi ta fidèle Céline
Qui fut pour toi comme un ange des cieux,
Lorsqu'un regard de la Face divine
Vint t'éprouver par un choix glorieux.
Tu règnes dans le ciel... sa tâche est accomplie;
Maintenant à Jésus elle donne sa vie...
Protège ton enfant
Qui redit bien souvent:
Rappelle-toi!...

Oh! souviens-toi de ta «petite reine»,
Du tendre amour dont son cœur déborda...
Rappelle-toi que sa marche incertaine
Ce fut toujours ta main qui la guida.
Papa, rappelle-toi qu'aux jours de son enfance
Tu voulus pour Dieu seul garder son innocence.
Ses boucles de cheveux
Qui ravissaient tes yeux,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que dans le belvédère,
Tu l'asseyais souvent sur tes genoux,
Et, murmurant alors une prière,
Tu la berçais par ton refrain si doux!
Elle voyait du ciel un reflet sur ta face,
Quand ton regard profond se plongeait dans l'espace...
Et de l'éternité
Tu chantais la beauté,
Rappelle-toi!

Rappelle-toi ce radieux dimanche
Où, la pressant sur ton cœur paternel,
Tu lui donnas une fleurette blanche,
Et lui permis de voler au Carmel.
O père, souviens-toi qu'en ses grandes épreuves,
Du plus sincère amour tu lui donnas des preuves;
A Rome après Bayeux
Tu lui montras les cieux;
Rappelle-toi!

Rappelle-toi que la main du Saint-Père,
Au Vatican, sur ton front se posa;
Mais tu ne pus comprendre le mystère
Du sceau divin qui sur toi s'imprima.
Maintenant tes enfants t'adressent leur prière;
Ils bénissent ta croix et ta douleur amère!
Sur ton front glorieux
Rayonnent dans les cieux
Neuf lis en fleurs!

Août 1894.

Ce que j'aimais...

Composé à la demande de sa sœur Céline pendant son noviciat.

Air: Combien j'ai douce souvenance.

J'ai en mon Bien-Aimé les montagnes.
Les vallées solitaires et boisées,
Les îles étrangères,
Les fleuves retentissants,
Le murmure des zéphyrs amoureux.
    . . . . . . . . . .
La nuit paisible,
Pareille au lever de l'aurore;
La musique silencieuse,
La solitude harmonieuse,
Le souper qui charme et qui accroît l'amour.
(Saint Jean de la Croix.)

Oh! que j'aime la souvenance
Des jours bénis de mon enfance!
Pour garder la fleur de mon innocence,
Le Seigneur m'entoura toujours
D'amour.

Aussi, malgré ma petitesse,
A Dieu je donnai ma tendresse;
Et de mon cœur s'échappa la promesse
D'épouser le Roi des élus,
Jésus.

J'aimais, au printemps de ma vie,
Saint Joseph, la Vierge Marie;
Déjà mon âme se plongeait ravie
Quand se reflétaient dans mes yeux
Les cieux!

J'aimais les champs de blé, la plaine,
J'aimais la colline lointaine;
Dans mon bonheur, je respirais à peine.
En moissonnant avec mes sœurs,
Les fleurs.

J'aimais à cueillir les herbettes,
Les bluets, toutes les fleurettes;
Je trouvais le parfum des violettes
Et surtout celui des coucous
Bien doux.

J'aimais la pâquerette blanche,
Les promenades du dimanche,
L'oiseau léger gazouillant sur la branche,
Et l'azur toujours radieux
Des cieux.

J'aimais à poser chaque année
Mon soulier dans la cheminée;
Accourant dès que j'étais éveillée,
Je chantais la fête du ciel:
Noël!

De maman, j'aimais le sourire,
Son regard profond semblait dire:
«L'éternité me ravit et m'attire,
«Je vais aller dans le ciel bleu
«Voir Dieu!

«Je vais trouver dans la patrie
«Mes anges, la Vierge Marie.
«De mes enfants que je laisse en la vie,
«A Jésus j'offrirai les pleurs,
«Les cœurs!»

Oh! que j'aimais Jésus-Hostie
Qui vint, au matin de ma vie,
Se fiancer à mon âme ravie!
Oh! que j'ouvris avec bonheur
Mon cœur!

J'aimais encore, au belvédère
Inondé de vive lumière,
A recevoir les doux baisers d'un père,
A caresser ses blancs cheveux
Neigeux.

Sur ses genoux, étant placée
Avec Thérèse, à la veillée,
Je m'en souviens, j'étais longtemps bercée.
J'entends encor, de son doux chant,
L'accent.

O souvenir! tu me reposes.
Tu me rappelles bien des choses...
Les repas du soir, le parfum des roses,
Les Buissonnets pleins de gaîté
L'été.

A l'heure où tout vain bruit s'apaise,
J'aimais à confondre à mon aise
Mon âme avec celle de ma Thérèse;
Je ne formais avec ma sœur
Qu'un cœur!

Alors nos voix étaient mêlées,
Nos mains, l'une à l'autre enchaînées;
Ensemble, chantant les noces sacrées,
Déjà nous rêvions le Carmel,
Le ciel!

De la Suisse et de l'Italie,
Ciel bleu, fruits d'or m'avaient ravie.
J'aimai surtout le regard plein de vie
Du saint Vieillard, Pontife-Roi,
Sur moi.

Avec amour je t'ai baisée,
Terre sainte du Colysée!
Des Catacombes la voûte sacrée
A répété bien doucement
Mon chant.

Mon bonheur fut suivi de larmes;
Bien grandes furent mes alarmes!
De mon Epoux je revêtis les armes,
Et sa croix devint mon soutien,
Mon bien.

Alors j'aimais, fuyant le monde,
Que l'Echo lointain me réponde;
En la vallée ombragée et féconde
Je cueillais, à travers mes pleurs,
Les fleurs.

J'aimais, de la lointaine église,
Entendre la cloche indécise.
Pour écouter les soupirs de la brise,
Dans les champs j'aimais à m'asseoir
Le soir.

J'aimais le vol des hirondelles,
Le chant plaintif des tourterelles;
Avec plaisir j'entendais le bruit d'ailes
De l'insecte au bourdonnement
Bruyant.

J'aimais la perle matinale
Ornant la rose de Bengale;
J'aimais à voir l'abeille virginale
Préparer sous les feux du ciel
Le miel.

J'aimais à cueillir la bruyère;
Courant sur la mousse légère,
Je prenais, voltigeant sur la fougère,
Les papillons au reflet pur
D'azur.

J'aimais le ver luisant dans l'ombre,
J'aimais les étoiles sans nombre...
Surtout j'aimais l'éclat, en la nuit sombre,
De la lune au disque d'argent
Brillant.

A mon père, dans sa vieillesse,
J'offrais l'appui de ma jeunesse...
Il m'était tout: bonheur, enfant, richesse.
Ah! je l'embrassais tendrement
Souvent.

Nous aimions le doux bruit de l'onde,
L'éclat de l'orage qui gronde;
Le soir, en la solitude profonde,
Du rossignol au fond du bois
La voix.

Mais un matin son beau visage
Du Crucifix chercha l'image.....
De son amour il me laissa le gage,
Me donnant son dernier regard:
Ma part!...

Et de Jésus la main divine
Prit le seul trésor de Céline,
Et, l'emportant bien loin de la colline,
Le plaça près de l'Eternel,
Au ciel!

. . . . . . . . . . . . . . .

Maintenant je suis prisonnière,
J'ai fui les bosquets de la terre,
J'ai vu que tout en elle est éphémère,
J'ai vu tout mon bonheur finir,
Mourir!

Sous mes pas l'herbe s'est meurtrie,
La fleur en mes mains s'est flétrie...
Jésus, je veux courir en ta prairie,
Sur elle ne marqueront pas
Mes pas.

Comme un cerf, en sa soif ardente,
Soupire après l'eau jaillissante,
O Jésus, vers toi j'accours défaillante:
Il faut, pour calmer mes ardeurs,
Tes pleurs...

C'est ton seul amour qui m'entraîne;
«Mon troupeau je laisse en la plaine,
«De le garder je ne prends pas la peine»;
Je veux plaire à mon seul Agneau
Nouveau.

Jésus, c'est toi l'Agneau que j'aime;
Tu me suffis, ô Bien suprême!
En toi j'ai tout: la terre et le ciel même:
La fleur que je cueille, ô mon Roi,
C'est toi!

Jésus, beau lis de la vallée,
Ton doux parfum m'a captivée.
Bouquet de myrrhe, ô corolle embaumée,
Sur mon cœur je veux te garder,
T'aimer!

Toujours ton amour m'accompagne;
En toi j'ai les bois, la campagne,
J'ai les roseaux, la lointaine montagne,
La pluie et les flocons neigeux
Des cieux.

En toi, Jésus, j'ai toutes choses,
J'ai les blés, les fleurs demi-closes,
Myosotis, boutons d'or, belles roses;
Du blanc muguet, j'ai la fraîcheur,
L'odeur.

J'ai la lyre mélodieuse,
La solitude harmonieuse,
Fleuves, rochers, cascade gracieuse,
Le doux murmure du ruisseau,
L'oiseau.

J'ai l'arc-en-ciel, j'ai l'aube pure,
Le vaste horizon, la verdure;
J'ai l'île étrangère et la moisson mûre,
Les papillons, le gai printemps,
Les champs.

En ton amour je trouve encore
Les palmiers que le soleil dore,
La nuit pareille au lever de l'aurore;
En toi je trouve pour jamais
La paix!

J'ai les grappes délicieuses,
Les libellules gracieuses,
La forêt vierge aux fleurs mystérieuses;
J'ai tous les blonds petits enfants,
Leurs chants.

En toi j'ai sources et collines,
Lianes, pervenche, aubépines,
Frais nénuphars, chèvrefeuille, églantines,
Le frisilis du peuplier
Léger.

J'ai l'avoine folle et tremblante,
Des vents la voix grave et puissante,
Le fil de la Vierge et la flamme ardente,
Le zéphir, les buissons fleuris,
Les nids.

En toi j'ai la colombe pure;
En toi, sous ma robe de bure,
Je trouve joyaux et riche parure,
Colliers, bagues et diamants
Brillants.

J'ai le beau lac, j'ai la vallée
Solitaire et toute boisée;
De l'Océan j'ai la vague argentée,
Perles, corail, trésors divers
Des mers.

J'ai le vaisseau fuyant la plage,
Le sillon d'or et le rivage;
J'ai, du soleil festonnant le nuage
Alors qu'il disparaît des cieux,
Les feux.

En toi j'ai la brillante étoile;
Souvent ton amour se dévoile,
Et j'aperçois comme à travers un voile,
Quand le jour est sur son déclin,
Ta main!

O toi qui soutiens tous les mondes!
Qui plantes les forêts profondes;
D'un seul coup d'œil, toi qui les rends fécondes,
Tu me suis d'un regard d'amour
Toujours!

J'ai ton Cœur, ta Face adorée,
De ta flèche je suis blessée...
J'ai le baiser de ta bouche sacrée,
Je t'aime et ne veux rien de plus,
Jésus!

J'irai chanter avec les Anges
De l'amour sacré les louanges...
Fais-moi voler bientôt en leurs phalanges.
O Jésus, que je meure un jour
D'amour!

Attiré par sa transparence,
Vers le feu l'insecte s'élance;
Ainsi ton amour est mon espérance,
C'est en lui que je veux voler,
Brûler...

Je l'entends déjà qui s'apprête,
Mon Dieu, ton éternelle fête!
Aux saules, prenant ma harpe muette,
Sur tes genoux je vais m'asseoir,
Te voir!

Près de toi, je vais voir Marie,
Les Saints, ma famille chérie;
Je vais, après l'exil de cette vie,
Retrouver le toit paternel
Au ciel...

28 avril 1895.