Fables de La Fontaine

XII

LE COCHON, LA CHÈVRE ET LE MOUTON.

Une chèvre, un mouton, avec un cochon gras,
Montés sur même char, s’en alloient à la foire.
Leur divertissement ne les y portoit pas;
On s’en alloit les vendre, à ce que dit l’histoire:
Le charton n’avoit pas dessein
De les mener voir Tabarin.
Dom pourceau crioit en chemin
Comme s’il avoit eu cent bouchers à ses trousses:
C’étoit une clameur à rendre les gens sourds.
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s’étonnoient qu’il criât au secours;
Ils ne voyoient nul mal à craindre.
Le charton dit au porc: Qu’as-tu tant à te plaindre?
Tu nous étourdis tous: que ne te tiens-tu coi?
Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi,
Devroient t’apprendre à vivre, ou du moins à te taire:
Regarde ce mouton; a-t-il dit un seul mot?
Il est sage.—Il est un sot,
Repartit le cochon; s’il savoit son affaire,
Il crieroit, comme moi, du haut de son gosier,
Et cette autre personne honnête
Crieroit tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu’on les veut seulement décharger,
La chèvre de son lait, le mouton de sa laine:
Je ne sais pas s’ils ont raison;
Mais quant à moi, qui ne suis bon
Qu’à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit et ma maison.
Dom pourceau raisonnoit en subtil personnage;
Mais que lui servoit-il? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin,
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.